Plus de 40 millions de personnes déplacées par les conflits en Afrique

Poursuivant une tendance de dix ans, le nombre d’Africains déplacés de force a augmenté l’année dernière et s’élève aujourd’hui à plus de 40 millions.

Au cours de l’année écoulée, 3,2 millions de personnes supplémentaires ont été déplacés en raison de conflits en Afrique. Cela représente une augmentation de 13 % et poursuit une tendance à la hausse incontrôlée observée depuis 2011.

On estime aujourd’hui à 40,4 millions le nombre d’Africains déplacés de force (personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, réfugiés et demandeurs d’asile), soit plus du double du chiffre de 2016. À titre de comparaison, 40 millions de personnes déplacées de force représentent plus que les populations de l’Angola, du Ghana ou du Maroc.

Plus de 77 % de ces 40 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur de leur pays. Parmi ceux qui quittent leur pays d’origine, on estime que 96 % restent en Afrique. La plupart de ceux qui quittent le continent le font par des voies légales (en obtenant par exemple des visas de réinstallation ou d’éducation).

Sur les 15 pays africains qui génèrent le plus grand nombre de personnes déplacées de force, 14 sont en situation de conflit. Douze de ces 15 pays sont également de tendance autoritaire, ce qui souligne que l’exclusivité du gouvernement est à la fois un moteur direct (via la répression) et indirect (via les conflits) des déplacements forcés.

Il est donc essentiel de reconnaître et de traiter ces facteurs primaires pour atténuer les symptômes observables déclencheurs d’un nombre record de personnes déplacées de force.

La plupart des 16 pays africains en conflit sont contigus et s’étendent du Sahel occidental à la Corne de l’Afrique, en passant par le bassin du lac Tchad et la région des Grands Lacs. Cela met en relief les répercussions de ces conflits sur la stabilité régionale.

Le Soudan en est une illustration. Les affrontements entre l’armée et la principale force paramilitaire ont poussé les civils à fuir les violences vers six pays voisins, dont beaucoup sont déjà aux prises avec leur propre instabilité ou d’autres formes d’instabilité régionale.

Voici les cinq pays qui ont connu la plus forte augmentation du nombre de personnes déplacées de force au cours de l’année écoulée. Ces cinq pays sont responsables de 64 % des déplacements forcés sur le continent.

Soudan
Refugees from Sudan carrying their belongings into Metema, Ethiopia

Des réfugiés soudanais transportent leurs biens à Metema, en Éthiopie, le 5 mai 2023
(Photo : AFP/Amanuel Sileshi)
Augmentation de 3,4 millions de personnes (changement de 85 %)
Total des personnes déplacées de force : 7 303 959

Le conflit entre les forces armées soudanaises et les forces de soutien rapide a engendré la fuite d’environ 4,5 millions de personnes. Il a également provoqué une reprise des combats (y compris un possible nettoyage ethnique) dans la région tumultueuse du Darfour. S’ajoutant à des années d’instabilité causée par des décennies de gouvernement militaire, le Soudan, avec 7,3 millions de personnes déplacées de force, a maintenant dépassé la République démocratique du Congo (RDC) en tant que pays avec le plus grand nombre de personnes déplacées de forces en Afrique,. Les Nations unies ont déclaré que « 6,3 millions de personnes [au Soudan] sont à un pas de la famine ».
Les pays voisins du Soudan, déjà accablés par leurs propres crises, ont dû absorber les personnes le fuyant, en particulier le Soudan du Sud. Au moins 182 000 Sud-Soudanais réfugiés au Soudan en raison de l’instabilité qui règne dans leur propre pays ont été contraints de rentrer chez eux et ce malgré les ravages de la guerre et des catastrophes naturelles qui y perdurent. Le Soudan du Sud est le pays africain dont le pourcentage de la population totale déplacée de force est le plus élevé (42%). Les organisations humanitaires ont mis en garde contre le fait que les rapatriés pourraient submerger des communautés déjà aux prises avec des crises interdépendantes.

Somalie
Augmentation de 1,5 million de personnes (changement de 39 %)
Total des personnes déplacées de force : 5 134 298

En Somalie, les déplacements forcés ont augmenté de 39 % par rapport à l’année dernière en raison du conflit et de l’insécurité. Cela porte le nombre total de personnes déplacées de forces à plus de 5,1 millions dans ce pays de 18 millions d’habitants. Près de 90 % des personnes déplacées de force (soit 4,4 millions) sont des personnes déplacées en interne.
Alors que le gouvernement fédéral et les gouvernements des États de Somalie continuent de mener une offensive contre les forces d’Al Shabaab, le groupe extrémiste violent a redoublé ses représailles, y compris une augmentation de la violence contre les civils. On peut s’attendre à ce que cela augmente encore les niveaux de déplacement forcé des citoyens somaliens.
L’ampleur des déplacements en Somalie est actuellement encore plus importante si l’on tient compte des incidences sur l’environnement. Bien qu’il soit parfois difficile de distinguer les déplacements forcés dus aux conflits et aux catastrophes naturelles, la Somalie connaît la pire sécheresse depuis 40 ans. Ce phénomène a entraîné des pertes de récoltes successives et tué des millions de têtes de bétail. Par conséquent, les chiffres ci-dessus n’incluent pas les 787 000 Somaliens déplacés à l’intérieur du pays en raison des inondations et de la sécheresse.

République démocratique du Congo
Augmentation de 823 000 de personnes (13%)
Total des personnes déplacées de force : 7 141 093

« Des années de conflit à plusieurs niveaux entraînant des déplacements massifs de population ont réduit la résilience des habitants du Congo ».

Près d’un million de personnes ont été contraintes de quitter leur foyer en RDC au cours de l’année écoulée en raison des violences liées à diverses milices non étatiques, dont le groupe rebelle M23. Le nombre de Congolais déplacés s’élève donc à plus de 7,1 millions, soit une augmentation de 13 % par rapport à l’année dernière. Environ 86% sont déplacés à l’intérieur du pays (plus de 6,1 millions).
Des années de conflit à plusieurs niveaux entraînant des déplacements massifs de population ont réduit la résilience des habitants du Congo. La perte des maisons et des moyens de subsistance, la hausse de l’inflation et l’insuffisance de l’aide humanitaire ont conduit à une insécurité alimentaire aiguë en RDC, touchant quelque 25,8 millions de personnes. Les personnes les plus touchées sont les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les ménages accueillant des familles déplacées ou rentrées au pays, ainsi que les ménages vivant dans des zones touchées par un conflit armé.

Nigeria
Augmentation de 438 000 de personnes (12 %)
Total des personnes déplacées de force : 3 982 883

Les diverses menaces qui pèsent sur la sécurité du Nigeria ont contribué à augmenter 438 000 personnes le nombre de déplacés de force depuis l’année dernière. Les groupes islamistes militants et l’activité criminelle organisée sont aujourd’hui à l’origine de près de 4 millions de personnes déplacées dans les États du nord du Nigeria.
Dans les États du nord-est, théâtre de la violence des militants islamistes, 4,3 millions de personnes sont aujourd’hui confrontées à une insécurité alimentaire aiguë et près d’un demi-million d’entre elles se trouvent au bord de la famine.

Burkina Faso
Augmentation de 203 000 de personnes (11%)
Total des personnes déplacées de force : 2 136 475

Plus de 2,1 millions de personnes ont été déplacées de force en raison de l’escalade des attaques et des violences contre les civils causées par des groupes islamistes militants. Plus de 20 000 personnes sont menacées de famine, les militants ayant assiégé 20 villes, où vivent 800 000 personnes.
Étant donné que l’insécurité au Burkina Faso est en grande partie le résultat des violences des militants islamistes au Mali et que l’instabilité au Mali sous la junte militaire continue de s’aggraver, les déplacements forcés au Burkina Faso risquent d’augmenter encore.

Éthiopie
Diminution de 1,2 million de personnes (-26%)
Total des personnes déplacées de force : 3 422 667

Contrairement aux pays qui enregistrent des pics de déplacements forcés, l’Éthiopie a connu une baisse notable du nombre de personnes déplacées.

Le conflit dans la région du Tigré a provoqué le déplacement d’environ 1,8 million de personnes, contribuant au chiffre record de 3,9 millions d’Éthiopiens déplacés à la fin de l’année 2022. Grâce à la signature d’un cessez-le-feu et à l’apaisement d’autres conflits dans le pays, on estime que 1,2 million d’Africains sont retournés dans leurs communautés. En raison de l’insécurité persistante et de l’accès limité à une grande partie du Tigré, le nombre de personnes déplacées reste toutefois imprécis.
Les tensions intercommunautaires de longue date et la violence inhérente au modèle fédéral ethnique de l’Éthiopie sont toujours à l’origine de plus des deux tiers des déplacements actuels.

Les déplacements forcés liés au climat sont également en hausse

Au cours de l’année écoulée, le nombre de personnes déplacées en raison de catastrophes naturelles a presque triplé pour atteindre 7 millions. Ce bond s’inscrit dans une tendance à l’augmentation constante du nombre de personnes déplacées en raison de catastrophes naturelles en Afrique depuis 2014.
Historiquement, les déplacements forcés dus aux impacts climatiques ont tendance à être plus temporaires que les déplacements dus aux conflits, précisément parce que ces personnes n’ont pas à craindre de manière permanente de subir de la violence envers leur propre personne ou celle des membres de leur famille. La plupart des personnes touchées par une catastrophe naturelle sont en mesure de rentrer chez elles une fois la menace passée. Mais cette situation a changé ces dernières années. Depuis 2019, environ 2 millions de personnes n’ont pas pu rentrer « après la tempête » en raison de la persistance de ces menaces – principalement les inondations, suivies de la sécheresse et de tempêtes. Ce chiffre passera à 3,2 millions en 2022.
Les conflits prolongés et les crises climatiques ont provoqué des déplacements plus permanents de populations des zones rurales vers les zones urbaines, à la recherche de sécurité, de stabilité et de moyens de subsistance. Étant donné que le développement des infrastructures et les possibilités d’emploi dans de nombreux centres urbains du continent ne suivent pas le rythme de ces afflux de population, la plupart de ces personnes déplacées de force s’installent dans des quartiers informels, sans services publics ni moyens de subsistance, à la périphérie des villes et des grandes agglomérations.

Ressources complémentaires

Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Le nombre de décès liés aux groupes islamistes militants africains atteint un niveau record », Infographie, 21 août 2023.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique,« La junte militaire malienne saborde ses partenariats sécuritaires, malgré la déferlante de la violence des militants », Infographie, 1 mars 2023.
Joseph Siegle,« Intervenir pour saper la démocratie en Afrique : La stratégie d’influence de la Russie », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 8 mars 2023.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Comprendre le dernier coup d’État au Burkina Faso », Infographie, 1 novembre 2022.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Le conflit reste le facteur dominant de l’engrenage de la crise alimentaire en Afrique », Infographie, 19 octobre 2022.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique,« Le conflit et la répression causent le déplacement de force de 32 millions d’africains », Infographie, 22 juin 2021.
Wendy Williams,« Frontières en évolution : La crise des déplacements de population en Afrique et ses conséquences sur la sécurité », Rapport d’analyse N° 8, 2020.