Tunisie: qui est Ahmed Mechergui, l’homme qui murmure à l’oreille de Ghannouchi ?

Après le départ de Habib Khedher, le président du parlement tunisien Rached Ghannouchi a choisi une personnalité peu connue du grand public pour diriger son cabinet.

Ahmed Mechergui, 51 ans, discret professeur de philosophie devenu député après la révolution, s’est progressivement hissé dans les rangs d’Ennahdha jusqu’au poste de « Dircab » par intérim. Un choix stratégique qui pourrait servir à booster la communication du cheikh, aussi bien vis-à-vis des autres partis tunisiens que de la scène internationale. Voici cinq choses à savoir à son sujet.

Jendoubien

Issu d’une famille d’agriculteurs du village de Fernana, près de Jendouba dans l’Ouest de la Tunisie, Ahmed Mechergui a rempli deux mandats de député de cette région au sein de la Constituante (ANC) puis de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) depuis 2011.

Mais sa candidature n’a pas passé la barre des élections internes d’Ennahdha pour les législatives de 2019. Désaveu pour la classe politique, ce scrutin a lui aussi été boudé par les habitants de cette région marginalisée proche de la frontière algérienne. Seuls 29% ont fait le déplacement contre 41% à l’échelle nationale, un taux déjà très bas.

Sa nomination pourrait tout de même envoyer un signe de considération aux régions dites « de l’intérieur », voire servir de courroie de transmission pour Rached Ghannouchi afin d’approcher un autre jendoubien, le nouveau chef du gouvernement Hichem Mechichi.

Érudit

À Jendouba, certains le surnomment avec raillerie « le philosophe du parlement ». Boulimique d’études, il enchaîne les diplômes en philosophie, civilisation arabo-musulmane et théologie à Tunis et Kairouan.

Mais la répression du régime Ben Ali vis-à-vis des cercles nahdhaoui le contraint au chômage. Entre 1996 et 2002, il se contente de remplacements dans des lycées privés de sa région.

À la recherche des « valeurs communes à l’islam que sont la liberté, l’égalité, la paix et l’humanité », il s’intéresse à la théologie chrétienne durant six mois au Liban puis aux liens entre philosophie arabe et occidentale durant deux ans en Syrie. Des expériences finalement interrompues en raison de difficultés matérielles.

Il peut servir de porte d’entrée à Rached Ghannouchi à l’international

En 2003, il publie trois tomes sur la mondialisation et part pour Paris où il cumule petits boulots et doctorat sur la métaphysique chez Hegel. Il se tourne vers la philosophie islamique à l’Institut européen de sciences humaines (IESH) où il enseigne notamment l’histoire des idées politiques jusqu’en 2011. En 2013, l’éternel étudiant finit par intégrer, alors qu’il est député, l’École supérieure de défense de Tunisie.

Monsieur monde arabe

C’est comme conseiller des relations avec le monde arabe que Mechergui a d’abord rejoint le cabinet du président du parlement, fin 2019.

Il peut en effet servir de porte d’entrée au cheikh à l’international. Représentant depuis 2012 de la Tunisie au Parlement arabe, instance de la Ligue arabe, il y a été tour à tour vice-président puis président de la commission des relations internationales et de la sécurité arabe.

Le Jendoubien a notamment représenté cette institution auprès du Parlement européen, mais aussi en Afrique et en Amérique latine. Des activités qu’il n’hésite pas à mettre en valeur sur son profil Facebook où les photos de sa vie de parlementaire arabe mais également des clichés des rencontres qu’il a effectuées autour de la crise soudanaise ou encore de la coopération tuniso-allemande.

Discipline

Formé au sein des cellules informelles du parti à la colombe à Jendouba et à Tunis, au temps où il était interdit, Mechergui dit s’être concentré à l’époque sur le volet culturel du mouvement plus que politique. Il ne rejoint d’ailleurs son appareil politique qu’après la révolution.

En parallèle de ses deux mandats de député (2011-2019), il intègre le bureau politique du parti en 2015 et son Conseil de la Choura (organe consultatif) l’année suivante. Des élus d’autres formations le décrivent comme « très discipliné », « toujours fidèle à la décision partisane ».

Homme de consensus

« Son poste de « dircab » donne un habillage administratif à la démarche politique de Rached Ghannouchi », résume un détracteur. Là encore, le choix d’Ahmed Mechergui n’est pas anodin. Ce dernier fait partie des « progressistes » d’Ennahdha.

Il a participé à insuffler le label d’islam démocrate qui habille depuis 2016 la transition d’Ennahdha — il a publié un ouvrage à ce sujet en 2018 (éditions dar El Kitab). Il est salué dans les rangs de l’opposition pour son caractère pacifique, à l’écoute et ouvert. Sa nomination peut donc avoir valeur de gage envers les autres formations avec qui le cheikh souhaite dialoguer, voire négocier.