Tunisie : le chef du Parlement alerte sur “le retour vers le pouvoir absolu d’un seul homme”

Alors que le président Kaïs Saïed est accusé par l’opposition de s’arroger des pouvoirs disproportionnés, le chef du Parlement tunisien, Rached Ghannouchi, a appelé jeudi à lutter contre “le pouvoir absolu d’un seul homme”.

Il dit craindre “un retour en arrière”. Le chef du Parlement tunisien et du parti d’inspiration islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi, a appelé jeudi 23 septembre dans un entretien avec l’AFP, à la “lutte pacifique” contre “le pouvoir absolu d’un seul homme”, après que le président Kaïs Saïed a considérablement renforcé ses pouvoirs.

“C’est un retour en arrière. Un retour à la Constitution de 1959. Le retour vers le pouvoir absolu d’un seul homme contre lequel la révolution a eu lieu”, a-t-il déclaré.

“La seule option aujourd’hui est la lutte, naturellement la lutte pacifique, car nous sommes un mouvement civil. Ennahda, les autres partis et la société civile se battront pour récupérer leur Constitution et leur démocratie”, a ajouté le chef historique d’Ennahda, 80 ans.

Le président tunisien Kaïs Saïed, dont Ennahda est la bête noire, a formalisé mercredi son coup de force du 25 juillet en promulguant des dispositions exceptionnelles. Celles-ci renforcent ses pouvoirs au détriment du gouvernement et du Parlement, auquel il va de facto se substituer en légiférant par décrets.

Ces mesures “sont un coup d’État caractérisé contre la démocratie, contre la révolution [de 2011] et contre la volonté du peuple”, affirme Rached Ghannouchi. “Malheureusement le président est revenu en arrière, il nous a ramenés à l’avant-révolution”.

Il assure qu’Ennahda, principale force parlementaire dans l’assemblée suspendue par Kaïs Saïed, “va participer à toute mobilisation pacifique visant à remettre la Tunisie sur les rails de la démocratie”.

“Nous allons réussir, le peuple tunisien y arrivera”, martelle-t-il, appelant à “lutter contre la dictature”.

Inquiétudes pour la démocratie

Les mesures décidées par Kaïs Saïed, qui tendent à présidentialiser le système de gouvernement hybride encadré par la Constitution de 2014, ont suscité l’ire de tous ses adversaires, dans un pays miné par les divisions et des crises politiques successives ces dernières années.

Elles renforcent en outre les inquiétudes pour la pérennité de la démocratie en Tunisie, seul pays à avoir réussi sa transition démocratique après le Printemps arabe dont il fut le berceau en 2011 en renversant le régime de Ben Ali.

Rached Ghannouchi a reconnu que son parti était partiellement responsable de la crise qui a motivé le 25 juillet le président à s’arroger les pleins pouvoirs : “Ennahda n’était pas au pouvoir, mais a soutenu le gouvernement malgré les reproches que nous avions envers lui”.

Mais il accuse le président de s’être dérobé à tout dialogue avant le 25 juillet pour régler la crise, “car il s’est avéré qu’il avait un plan, une vision, qu’il voulait imposer. Et il a fini par l’imposer le 25 juillet”.

Rached Ghannouchi affirme ne pas être contre une “mise à jour” de la Constitution de 2014, source de conflits récurrents, à condition de passer par le Parlement et non par des décrets présidentiels.

“Front démocratique”

“La Constitution a été élaborée par toutes les forces démocratiques et elle a été adoptée par plus de 90 % des élus au Parlement, islamistes et non-islamistes. Nous tenons à cette Constitution et nous nous battrons avec tous les autres partis qui l’ont approuvée afin qu’elle soit respectée”, a déclaré le chef du Parlement.

Dans le système régi par la Constitution de 2014 que Kaïs Saïed souhaite amender, l’essentiel du pouvoir exécutif est aux mains du gouvernement et les mesures adoptées mercredi font clairement pencher la balance du côté de la présidence.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Rached Ghannouchi estime que les mesures d’exception prises par le président avaient “un côté positif”, car elles ont poussé les partis politiques à mettre de côté leurs divergences pour faire bloc contre lui.

Cependant, pour Rached Ghannouchi, le fait que Kaïs Saïed semble jouir d’un fort soutien populaire ne lui donne pas le droit d’agir sans tenir compte des institutions démocratiquement élues.

“La performance du président aujourd’hui n’est pas bonne. La preuve en est que tous les partis politiques qui étaient opposés à Ennahda sont aujourd’hui opposés au président”.

Quatre partis politiques ont annoncé mercredi la formation du “Front démocratique”, une alliance pour “faire face au coup d’État”.

Ennahda participera à d’éventuelles élections anticipées qui seraient convoquées par Kaïs Saïed : “Nous participerons, absolument”, a déclaré Rached Ghannouchi.