[Tribune] Tunisie : des incertitudes mais un optimisme certain

Le nouveau président Kaïs Saïed a prêté serment, mercredi 23 octobre, devant l’Assemblée. Son discours d’investiture a été certes rassurant, mais n’a pas permis d’en savoir plus sur ses orientations, ni de dissiper les inquiétudes engendrées par les thèmes développés au cours de sa campagne.

Il est utile d’observer qu’avant cette allocution, l’annonce du résultat a été l’occasion pour les soutiens de l’élu d’engager une campagne acerbe d’intimidation de journalistes, de médias et de la centrale syndicale UGTT. Est-ce que nous avons voté pour tant d’intolérance ? Je ne le crois pas.

Les risques du rétrécissement de l’espace du débat politique contradictoire et du retour de la violence physique sont réels. L’entourage contradictoire de Kaïs Saïed ne présage rien de bon. Son silence non plus, car il vaut absolution. La situation pourrait dégénérer rapidement.

Cette victoire est aussi le désaveu du « consensus » entre le parti moderniste Nidaa Tounes et celui des islamistes d’Ennahdha, censé mettre fin à huit années d’impuissance de l’État et d’autisme de ses dirigeants, pendant lesquelles la pauvreté a augmenté, les classes moyennes se sont paupérisées, les entreprises ont été mises en difficulté et la jeunesse poussée au désespoir. Le vote a été un vote contre ce système. Mais le candidat « antisystème » est aujourd’hui à la tête du système.
Plongée dans l’inconnu

Coté institutions, le nouveau président a plaidé pour une profonde révision du système constitutionnel tunisien en un régime d’assemblée aussi inédit qu’inexpérimenté, où le Parlement ne serait plus élu au suffrage universel direct, mais serait l’émanation des élus locaux, avec en prime la révocabilité des mandats législatifs.

Sur le plan économique, la seule proposition de Kaïs Saïed est relative à l’encadrement local de l’investissement, sans autre précision

Cela implique une concentration des pouvoirs entre les mains du seul président de la République. Ce projet s’oppose ainsi à un équilibre mieux agencé et à une distribution des compétences plus fonctionnelle entre les deux têtes de l’exécutif, gages de la fin de l’inaction du pouvoir. L’ordre du jour est à la réforme, non à l’inconnu. Dommage que le débat ait été escamoté.

Sur le plan économique, après huit ans de débat sur la nécessité de mesures d’urgence, la seule proposition de Kaïs Saïed est relative à l’encadrement local de l’investissement, sans autre précision. Serait-ce le prélude à la généralisation des comités populaires chers à l’ex-président libyen Mouammar Kadhafi ? Il n’y a là qu’un pas et, encore une fois, pas d’explication.

Tomber les masques

Le nouveau chef de l’État pourra-t-il, enfin, mettre en œuvre ses projets de réformes, au regard de la limite constitutionnelle des compétences dévolues à sa fonction, mais aussi d’une majorité parlementaire incertaine?

Des partis, qui avaient annoncé au lendemain des législatives qu’ils seraient dans l’opposition à Ennahdha, se ravisent. Ils sont tentés de se présenter à la nouvelle législature en tant que bloc parlementaire présidentiel destiné à composer, lui aussi, avec la formation islamiste. Un gouvernement technocratique ne serait qu’une déclinaison de cette tentation, la légitimité des urnes en moins.

Ennahdha cherche désespérément à reconstruire le défunt « consensus ». Or, il faut mettre fin à ce système malsain de gouvernement nahdhaoui par partis et personnes démocratiques interposées. Fini le bal masqué. Qu’Ennahdha s’assume. Ou bien le parti forme le gouvernement sous sa responsabilité, ou bien nous retournerons rapidement aux urnes. Il ne faut pas refaire l’histoire à reculons.

Instabilité

La transition démocratique est en difficulté. L’instabilité guette le pays, sur fond d’accumulation des problèmes et des insatisfactions. Au risque de voir le temps du parlementarisme heurter le temps de la jeunesse furieuse.

Les élections de 2019 sonnent le glas de l’ancien régime et de la transition actuelle, sans pour autant consacrer la démocratie

Les élections de 2019 sonnent le glas de l’ancien régime et de la transition actuelle, sans pour autant consacrer la démocratie. La deuxième République en enfantera-t-elle une troisième, ou la révolution se contentera-t-elle de son acte II ?

L’avenir de notre pays passe par une refondation politique, un projet d’avenir, un sérieux « toilettage » de la classe politique et un nouveau comportement des élites. Face à la tentation d’un plaidoyer pour l’ivraie, je suis convaincu que la Tunisie saura choisir le bon grain, par delà toutes les tentations.