Syrie : Gagnants et perdants ou les deux

Il est désormais très probable que le pays se désagrège. Les acteurs extérieurs et intérieurs tenteront de s’emparer et/ou de contrôler autant de parties du cadavre qu’ils le pourront.

Il s’ensuivra des années de chaos et de conflits.

Israël s’empare d’une autre grande partie du territoire syrien. Il a pris le contrôle de la ville syrienne de Quneitra, ainsi que des villes d’Al-Qahtaniyah et d’Al-Hamidiyah dans la région de Quneitra. Elle a également progressé sur le mont Hermon, en Syrie, et se trouve désormais à 30 kilomètres seulement de la capitale syrienne (et au-dessus d’elle).

Elle poursuit également la démilitarisation de la Syrie en bombardant tous les sites de stockage militaire syriens à sa portée. Les positions de défense aérienne et les équipements de levage sont ses principales cibles. Pendant des années, la Syrie, ou ce qui pourrait en advenir, sera totalement dépourvue de moyens de défense contre les attaques extérieures.

Israël est pour l’instant le grand gagnant en Syrie. Mais avec les djihadistes agités qui se trouvent désormais à sa frontière, il reste à voir combien de temps cela durera.

Les États-Unis bombardent le désert central de la Syrie. Ils prétendent frapper ISIS, mais la véritable cible est toute résistance locale (arabe) qui pourrait empêcher une connexion entre l’est de la Syrie contrôlé par les États-Unis et le sud-ouest contrôlé par Israël. Il pourrait bien y avoir des plans pour construire davantage cette connexion dans un Eretz Israël, un État contrôlé par les sionistes «de la rivière à la mer».

La Turquie a joué et joue un rôle important dans l’attaque contre la Syrie. Elle finance et contrôle l’«Armée nationale syrienne» (ANS, anciennement Armée syrienne libre), qu’elle utilise principalement pour combattre les séparatistes kurdes en Syrie.

La Turquie compte quelque 3 à 5 millions de réfugiés syriens que le prétendu sultan Erdogan souhaite, pour des raisons de politique intérieure, renvoyer en Syrie. L’évolution du chaos ne le permettra pas.

La Turquie a encouragé et poussé Hayat Tahrir al-Sham, dérivé d’Al-Qaïda, à s’emparer d’Alep. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il aille plus loin. La chute de la Syrie devient maintenant un problème pour la Turquie, car les États-Unis en prennent le contrôle. Washington essaiera d’utiliser HTS pour ses propres intérêts qui ne sont pas nécessairement compatibles avec ce que la Turquie pourrait vouloir faire.

Les insurgés kurdes de Turquie et le soutien qu’ils reçoivent des Kurdes de Syrie constituent une cible de choix pour la Turquie. Organisés sous le nom de Forces démocratiques syriennes, les Kurdes sont parrainés et contrôlés par les États-Unis. Les FDS combattent déjà l’ANS d’Erdogan et toute nouvelle intrusion turque en Syrie se heurtera à elles.

Les FDS, soutenues par l’occupation américaine de l’est de la Syrie, contrôlent les principaux champs de pétrole, de gaz et de blé de l’est du pays. Quiconque souhaite gouverner à Damas devra avoir accès à ces ressources pour pouvoir financer l’État.

Malgré une récompense de 10 millions de dollars sur sa tête, le chef de HTS, Abou Mohammed al-Joulani, est actuellement présenté par les médias occidentaux comme le nouveau leader unificateur et tolérant de la Syrie. Mais son HTS est lui-même une coalition de djihadistes purs et durs originaires de divers pays. Il ne reste plus grand-chose à piller en Syrie et dès que ces ressources seront épuisées, les combats au sein de HTS commenceront. Al-joulani sera-t-il capable de contrôler les pulsions sectaires de ses camarades lorsque ceux-ci commenceront à piller les sanctuaires chiites et chrétiens de Damas ?

Au cours des dernières années, la Russie s’est moins investie dans le gouvernement Assad qu’il n’y paraît. Elle savait qu‘Assad était devenu un partenaire pratiquement inutile. La base méditerranéenne russe de Khmeimim, dans la province de Lattaquié, est son tremplin vers l’Afrique. Les États-Unis feront pression sur les nouveaux dirigeants syriens pour qu’ils chassent les Russes. Cependant, tout nouveau dirigeant syrien, s’il est intelligent, voudra maintenir les Russes à l’intérieur du pays. Il n’est jamais mauvais d’avoir un choix alternatif si l’on en a besoin. La Russie pourrait bien rester à Lattaquié pour les années à venir.

Avec la chute de la Syrie, l’Iran a perdu le principal maillon de son axe de résistance contre Israël. Ses défenses avancées, assurées par le Hezbollah au Liban, sont désormais en ruines.

Comme l’a rapporté l’ancien général Wesley Clark à propos d’un entretien qu’il a eu un jour au Pentagone :

«Il s’agit d’un mémo qui décrit comment nous allons éliminer sept pays en cinq ans, en commençant par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et, pour finir, l’Iran».

Six des sept pays mentionnés dans ce fameux mémo sont aujourd’hui plongés dans le chaos. L’Iran est, pour l’instant, le seul survivant de ces plans. Il devra d’urgence renforcer ses défenses locales. Il est grand temps pour lui de se doter enfin de véritables armes nucléaires.

La nouvelle administration Trump considère la Chine comme son principal ennemi. En plongeant la Syrie (et l’Ukraine) dans le chaos, l’administration Biden sortante a garanti que Trump devra rester impliqué au Moyen-Orient (et en Europe de l’Est).

Le « pivot vers l’Asie » massif des États-Unis devra à nouveau attendre. Cela donne à la Chine plus de temps pour construire sa sphère d’influence. Elle pourrait bien être la seule puissance à en sortir gagnante.