Les alliés occidentaux d’Israël pensent-ils sortir indemnes d’une guerre généralisée ? Comment croient-ils pouvoir armer une agression contre un pays tout en restant en sécurité dans leur capitale ?
L’assaut militaire brutal d’Israël sur Gaza, en cours depuis neuf mois, bénéficie du soutien total de plusieurs États alliés de l’Occident, non seulement en fournissant à la machine de guerre de l’armée d’occupation une large gamme d’armements et de munitions, mais aussi en participant directement à l’action militaire. Les États-Unis et la Grande-Bretagne, par exemple, ont fourni des données de reconnaissance et de renseignement essentielles et ont envoyé leurs forces spéciales pour aider Israël dans ses opérations militaires.
Le 8 juin, le New York Times a révélé que les forces américaines avaient aidé les Israéliens à récupérer quatre prisonniers israéliens dans le camp de réfugiés de Nuseirat à Gaza, tuant au moins 274 civils palestiniens et trois autres prisonniers, et faisant plus de 698 blessés. Selon les sources israéliennes du journal, les États-Unis et le Royaume-Uni ont fourni des renseignements aériens et du cyberespace qu’Israël ne pouvait pas obtenir seul.
Le 29 mai, le média Declassified UK a rapporté que Londres avait autorisé le nombre sans précédent de 60 vols à destination d’Israël au moyen d’avions-cargos décollant de la base aérienne britannique RAF Akrotiri à Chypre, une installation clandestinement utilisée par l’armée de l’air américaine pour acheminer des armes à destination d’Israël.
Le gouvernement britannique n’a pas révélé le contenu du fret aérien transporté et maintient qu’il ne contient aucun «soutien létal». Londres affirme au contraire que les vols de la RAF vers l’État d’occupation servent à soutenir son «engagement diplomatique» avec Tel-Aviv et à rapatrier des sujets britanniques – étrange recours à des avions militaires alors que l’aéroport israélien Ben Gourion est toujours opérationnel pour le transport régulier de passagers.
Londres a activement invoqué sa D-Notice depuis le début de la guerre, une directive militaire et sécuritaire visant à empêcher les médias de publier des informations susceptibles de nuire à la sécurité nationale, notamment en ce qui concerne les opérations des forces spéciales aéroportées britanniques (SAS) dans la bande de Gaza. Aucune autre information n’a été révélée depuis la publication de la directive, le 28 octobre 2023.
Comment les services secrets occidentaux infiltrent l’Asie de l’Ouest
Mais tous ces efforts de dissimulation ont été mis à mal lors de l’opération militaire disproportionnée menée par Israël pour obtenir la libération de prisonniers lors du récent fiasco du camp de Nuseirat. Des vidéos ont été diffusées montrant un hélicoptère israélien atterrissant à côté d’un «ponton d’aide humanitaire» américain à 320 millions de dollars récemment aménagé, ainsi que des «camions d’aide» transportant des équipes d’opérations spéciales encadrées par des véhicules blindés au cours de l’opération.
Les médias ont ensuite rapporté que des dizaines de drones américains et britanniques avaient participé à l’assaut du camp de Nuseirat, apparemment en fournissant des services de reconnaissance à l’armée israélienne.
Ces incidents mettent en évidence non seulement la participation militaire directe de l’Occident à la guerre contre Gaza, mais aussi l’exploitation éhontée de la couverture diplomatique ou du travail humanitaire pour préparer et mener des actions militaires entraînant des pertes civiles massives et des crimes de guerre, comme le décrivent de nombreuses institutions des Nations unies.
La question est maintenant de savoir si les installations et les troupes occidentales seront prises pour cible lorsque la guerre s’étendra, possiblement au Liban, étant donné la collusion évidente des États occidentaux avec les agressions d’Israël – en particulier celles qui constituent une violation flagrante des normes et du droit internationaux.
Bien que le recours aux ambassades et institutions civiles – au sens moderne du terme – comme bases pour la collecte de renseignements et le lancement de missions spéciales ne soit pas une pratique nouvelle et remonte au moins au dix-neuvième siècle, les développements actuels en matière de technologie et d’informatique ont permis à ces installations de servir de centres de surveillance et d’écoute, de contrôle et de stockage d’informations pour un pays entier.
Ce qui était auparavant impossible est devenu réalité grâce aux communications sans fil et à l’internet. Les renseignements obtenus auparavant par la mise en place de dispositifs d’écoute peuvent désormais être consultés à l’aide d’un smartphone ordinaire, et les données sont acheminées vers ces centres situés à l’intérieur d’États souverains.
La deuxième plus grande ambassade américaine au monde
Sur environ 174 000 mètres carrés, à quelque 13 kilomètres de la capitale libanaise, Beyrouth, se trouve la deuxième plus grande ambassade d’Asie occidentale – et du monde. La nouvelle ambassade des États-Unis à Beyrouth n’est surpassée en taille que par son homologue de la «zone verte» de Bagdad.
Si l’on ne tient pas compte de la taille imposante de l’ambassade et de son coût – près d’un milliard de dollars – de nombreuses questions se posent quant à la nécessité de telles installations et à leur contenu.
Les images de synthèse publiées par l’ambassade montrent un complexe comprenant des bâtiments de plusieurs étages avec de hautes baies vitrées, des espaces de divertissement, une piscine entourée de verdure et des vues sur la capitale libanaise. Selon le site web du projet, le complexe comprend des bureaux, des logements de fonction pour les employés, des équipements collectifs et des installations de soutien connexes.
En mai 2023, le site web Intelligence Online a rapporté que le complexe massif d’un milliard de dollars comprendra une installation de collecte de données, préparant le site à devenir le nouveau siège régional des services de renseignement américains. Le rapport indique qu’en raison de sa proximité avec la Syrie,
«le Liban est considéré comme un endroit sûr et stratégique pour le déploiement des agents de renseignement déjà présents dans la région ainsi que du nouveau personnel, sélectionné directement dans les agences basées à Washington».
Bien qu’il semble impossible d’obtenir des informations précises sur la conception de cette ambassade, les fouilles effectuées en sous-sol, l’utilisation de béton armé dans la structure et son emplacement sécurisé au sommet d’une colline suggèrent que ses activités sont plus complexes, d’autant qu’il existe plusieurs précédents d’implication de la mission diplomatique américaine de Beyrouth dans les activités des services de renseignement.
L’attentat à la bombe de 1983 contre l’ambassade américaine a mis en évidence un lourd bilan pour la CIA : huit personnes ont été tuées, dont le principal analyste de la CIA pour l’Asie occidentale et le directeur pour le Proche-Orient, Robert Ames, le chef de station Kenneth Haass, James Lewis et la plupart des employés de la CIA à Beyrouth.
L’ambassade n’était pas seulement utilisée comme plaque tournante de la CIA, mais aussi comme une base de renseignement régionale essentielle en raison de la proximité du Liban avec la mer et avec deux bases britanniques de l’OTAN dans le sud de Chypre, Dhekelia et Akrotiri, à partir desquelles des renforts ou des transferts par hélicoptère peuvent arriver rapidement sur le sol libanais. Un exemple récent, en 2020, est le transfert clandestin par Washington de son agent Amer al-Fakhouri de l’ambassade américaine à bord d’un hélicoptère Osprey.
Miradors britanniques aux frontières du Liban
Le 3 mai, le Liban a annoncé la visite d’une délégation officielle et d’un haut responsable des services de renseignement britanniques le mois précédent, afin de négocier la construction de nouveaux miradors construits au Royaume-Uni. Ceux-ci s’ajoutent aux plus de trois douzaines de miradors construits par la Grande-Bretagne pendant la guerre syrienne le long de la frontière sensible entre le Liban et la Syrie.
Selon des fuites rapportées par le journal libanais Al-Akhbar, la délégation britannique avait demandé à l’armée libanaise «d’approuver un plan visant à installer des miradors le long de la frontière avec la Palestine occupée, semblables à ceux situés aux frontières orientale et septentrionale avec la Syrie».
À la suite de cette visite discrète, le Premier ministre intérimaire libanais, Najib Mikati, a déclaré : «La construction des miradors et toutes les mesures prises le long de la frontière sont les conditions posées par Israël pour mettre fin à la guerre contre le Liban».
En février dernier, le ministère libanais des Affaires étrangères a reçu une note officielle de protestation de la Syrie qualifiant les miradors britanniques de menace pour la sécurité nationale syrienne à plusieurs niveaux. La principale menace concerne les équipements de renseignement et d’espionnage sensibles des tours, qui «balayent le territoire syrien et collectent des informations sur la vie de la population syrienne».
Selon le rapport d’Al-Akhbar, «les informations fournies par ces équipements parviennent aux Britanniques, et l’ennemi israélien en profite pour cibler le territoire syrien et mener des frappes à l’intérieur de la Syrie». Le mémorandum syrien mentionne également «la présence d’officiers britanniques dans les tours».
Les 38 miradors britanniques qui prétendent aider les autorités libanaises à «lutter contre la contrebande» soulèvent de nombreuses questions, dont celle de savoir pourquoi un si grand nombre de ces structures ont été édifiées. Pourquoi ces miradors contiennent-elles également des équipements de surveillance thermique, d’écoute, de renseignement et de communication, surtout si l’on tient compte des relations étroites entre Tel-Aviv et Londres et de la présence périodique d’officiers britanniques dans ces tours sous prétexte de former l’armée libanaise ?
Un commandant des Forces armées libanaises (FAL), longuement interviewé par The Cradle en août 2021, contredit les affirmations publiques de Londres au sujet des miradors, en déclarant que «L’objectif des tours aujourd’hui est de surveiller les mouvements du Hezbollah et des Syriens».
Forces spéciales néerlandaises à Dahiyeh
En mars, le Hezbollah a fait prisonniers plusieurs militaires néerlandais opérant secrètement à Dahiyeh, la banlieue sud de Beyrouth, qui abrite plusieurs antennes de la Résistance libanaise. Les détenus, découverts avec du matériel militaire d’une valeur de plusieurs centaines de milliers de dollars sur eux et dans leurs véhicules, ont affirmé qu’ils opéraient sous le couvert de l’ambassade des Pays-Bas au Liban.
Au cours de l’enquête, les Néerlandais ont affirmé qu’ils étaient entrés dans la banlieue sud dans le cadre d’un exercice d’évacuation de citoyens et de diplomates néerlandais en cas de guerre. Or, aucun ressortissant néerlandais de l’ambassade ne résidait dans cette zone. Les militaires n’avaient pas non plus communiqué leur mission au ministère libanais des Affaires étrangères, aux services de sécurité libanais ou à l’ambassade de leur pays.
Le même mois, un citoyen espagnol a été arrêté pour avoir filmé dans la même banlieue sud de Beyrouth, avant de découvrir plus tard qu’il possédait un passeport diplomatique, et que son téléphone contenait un logiciel avancé qui bloquait l’accès à ses données.
Ces événements et une myriade d’autres exemples montrent que certains gouvernements occidentaux utilisent en permanence des installations diplomatiques et civiles occidentales pour recueillir des renseignements ou mener des missions spéciales d’entraînement dans le Liban souverain.
Ces actions constituent une violation flagrante de la Convention de Vienne sur les relations internationales et de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, qui proscrivent toute activité d’espionnage de la part de diplomates en poste dans les ambassades. Ces actions mettent en danger non seulement les populations civiles, mais aussi les milliers de diplomates professionnels présents dans le pays, toutes les missions diplomatiques et les installations civiles utilisées comme couverture pour des opérations illégales. Elles impliquent également des installations diplomatiques par ailleurs protégées dans le cadre juridique des «hostilités», de manière intentionnelle ou accidentelle.
Ce danger se trouve aggravé par les violations répétées par Israël des normes diplomatiques et internationales, qui sont soit ignorées, soit soutenues par les États alliés occidentaux. Les frappes militaires israéliennes sans précédent contre le consulat d’Iran à Damas en avril, par exemple, n’ont pas été condamnées à leur juste mesure par la plupart des capitales occidentales, permettant ainsi d’éviter un blâme du Conseil de sécurité de l’ONU.
Ces attaques soutenues par l’Occident se retourneront très probablement contre lui, entraînant des représailles contre des installations et des ambassades occidentales, le tout dans le contexte de nouveaux précédents juridiques et de nouveaux usages qui n’interdisent plus les frappes sur des installations non militaires suspectes.
On ne sait pas encore à quel point les gouvernements occidentaux pensent maintenir leur politique de deux poids deux mesures dans l’application du droit international et des coutumes, en particulier si la guerre de Gaza qu’ils soutiennent matériellement s’étend au Liban ou à d’autres régions de l’Asie de l’Ouest.
L’axe de la résistance, qui au cours des neuf derniers mois a normalisé les frappes militaires sur Israël, les attaques de missiles sur les navires destinés à Israël et les frappes hebdomadaires sur les flottes américaines et britanniques, est à deux doigts d’une intensification – comme dans le cas d’une guerre déclarée contre le Liban – qui entraînerait un nouvel éventail de zones cibles au-delà des précédentes.
Cela inclut-il l’ambassade américaine à Bagdad, la plus importante de la région – et du monde – qui héberge 10 000 employés et soldats américains, ou, plus près de nous, la deuxième plus grande ambassade d’Asie occidentale, l’ambassade américaine à Beyrouth ?
Il est difficile de concevoir que de telles infrastructures puissent rester à l’abri si l’implication occidentale perdure, laquelle, nous le savons déjà, se traduit par un flux constant et quotidien d’armements destinés à alimenter la machine de guerre d’Israël, et à fournir à Tel-Aviv des renseignements militaires et des banques de données sur les cibles visées.
Il sera encore plus difficile de protéger les missions diplomatiques s’il s’avère qu’elles servent essentiellement de centres de commandement militaire ou de centres de renseignement pendant la durée de la guerre. Cibler ces installations – qui enfreignent déjà la Convention de Vienne – relève clairement de l’autodéfense et de la réciprocité tant que les États occidentaux et Israël continuent de normaliser ces activités illicites.
Si la guerre de Gaza a établi des règles d’engagement entièrement inédites dans toute la région, les alliés occidentaux d’Israël s’attendent-ils à sortir indemnes d’une guerre généralisée ? Comment pensent-ils pouvoir armer une agression militaire contre un pays tout en restant en sécurité dans leur capitale ?