C’est l’histoire d’un village du Togo, dont le malheur réside dans sa proximité avec la frontière burkinabè. En relatant l’attaque qu’il a subie le 21 avril, le site togolais “Laabali” raconte aussi une lente diffusion du terrorisme sahélien vers les pays du golfe de Guinée.
Waldjouague ou la colline de chasse. 21 avril 2023. Matinée ensoleillée. En ce jour de ramadan, la fête de l’Aïd El-Fitr n’a pas eu lieu. Et pour cause : six villageois ont trouvé la mort dans des circonstances troublantes.
Situé au sud des villages maraîchers de Diakaarga et de Djaal (Burkina), Waldjouague traverse l’histoire la plus triste de son existence. Nous sommes à plus de 600 kilomètres de Lomé, dans ce village parsemé de karité où jadis les chasseurs gourma s’offraient des gibiers.
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Quand nos talons foulent le sol dudit village, ça sent le brûlé. L’odeur des motos et des engins roulants vandalisés et brûlés y est restée. L’air est encore si lourd, dans ce village où, vingt-quatre heures plus tôt, la mort est passée.
Sur les sentiers du village, des va-et-vient ; des parents des personnes assassinées s’y rendent afin d’assister à l’enterrement et soutenir les familles endeuillées. On ne parle que de ce drame.
Peur de représailles
On rencontre aussi des femmes et des enfants, baluchons sur la tête, qui se ruent vers les villages environnants du poste avancé de Pomona [à quelques encablures du village de Waldjouague]. Il s’agit de futurs déplacés internes, qui abandonnent leurs terres de Waldjouague.
Interrogées sur les raisons de leur fuite, [les femmes] répondent qu’elles ont peur de représailles des groupes armés extrémistes, malgré la présence de l’armée togolaise.
Au cœur du village, un attroupement est visible à l’entrée d’une concession : c’est le domicile de Paguindame Kombaté, l’un des boutiquiers assassinés. Sur les visages, la douleur se mêle à la peur. L’homme a été abattu par des extrémistes, lors de leur visite dans le village la veille.
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Autour de la tombe creusée dans les champs, non loin de la maison, l’imam prononce quelques prières après l’enterrement et, rapidement, l’on se disperse. Pas de salutations d’usage. L’amertume est grande dans ce village.
On raconte que, la veille, certains corps ont été inhumés tard dans la nuit. On parle burkinabè, mais en réalité, pour les populations, ils sont de Waldjouague tout simplement, car la frontière, pour eux, n’existe que dans la tête des autorités.
Panique et débandade
Installé sous un grand karité qui servait jadis de place du village, le marché de Waldjouague s’est développé très vite, avec la construction de plusieurs boutiques qui servent de lieu de ravitaillement pour les villages environnants situés de part et d’autre de la frontière.
Sur place, le constat est alarmant après le passage des assaillants, et les dégâts parlent d’eux-mêmes : des carcasses de motos et de vélos brûlés à plusieurs endroits, les restes noircis des apatams [construction légère formée d’un toit fait de végétaux soutenu par des piquets] brûlés, des morceaux de bois encore fumants, des étuis de balles…
Les populations peinent à ouvrir la bouche, et celles qui le font prononcent juste un soupir. L’émotion est forte, et la panique s’est emparée du village.
Alors que nous faisons le tour de quelques concessions, tout à coup, des cris se font entendre et se relaient : “Ils arrivent encore, ils arrivent encore.” C’est la débandade, on court dans tous les sens.
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Pourtant, les hommes de l’opération Koundjoaré sont postés partout dans le village, le regard vers l’est, la main sur la gâchette.
La frayeur dure quelques minutes, puis l’on se rend compte que c’était une fausse alerte. Dans les familles que nous avons visitées, chacun fait ses colis. Il faut quitter avant qu’il ne soit trop tard.
Selon les témoignages des habitants, les assaillants, après avoir créé la psychose, sont passés de maison en maison pour emporter moutons et bœufs.
“Nous allons partir, nous ne savons pas si les militaires dormiront avec nous ici”, explique une dame. Dehors, son mari, tranquille dans son fauteuil, est ferme :
“Moi je n’irai nulle part. Mettez-vous à l’abri, moi je resterai ici. Écoute, mon fils, chez qui irai-je habiter ? Tous ceux-là qui fuient s’en vont sans savoir où ils seront hébergés. Moi je resterai ici.”
Tout près de sa maison, la mosquée du village est restée orpheline en ce jour de ramadan. Les villageois nous confient que le muezzin n’a plus appelé [à la prière] depuis la veille. Tout autour, des militaires sont visibles.
Outre les pertes en vies humaines, les dégâts matériels, l’on déplore des disparitions, des enfants qui, pour la plupart, se seraient certainement perdus dans leur fuite.
Dans la cour de l’école du village, un monsieur, le téléphone à l’oreille, effectue des appels sans interruption. C’est le tâcheron chargé de la construction de l’école du village, nous apprend-on. L’un de ses apprentis, parti au moulin peu avant l’arrivée des hommes armés, est resté introuvable jusqu’ici.
Au carrefour des groupes armés
Le 25 juillet dernier, le gouvernement togolais avait exigé la relocalisation de certains villages frontaliers avec le Burkina Faso. Dans la préfecture de Tône, ce sont les villages de Djakpaga, Tchiégle, Yembouate et Boale, un village voisin de Waldjouague, qui étaient concernés. Heureusement, jusqu’ici, aucune de ces localités n’a été inquiétée.
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Pour certains villageois, l’attaque de Waldjouague serait due à sa proximité avec une base terroriste qui se trouverait à quelques kilomètres, de l’autre côté de la frontière. L’attaque viserait, selon les dires, “à se procurer, pour les groupes armés, des vivres et aussi du bétail, qui sert de financement”. Mais difficile de le prouver.
Peu avant la mi-journée, des autorités locales sont arrivées pour témoigner leur compassion aux familles endeuillées, réconforter les populations, et les rassurer pour ne pas qu’elles cèdent à la panique. Mais le message sera-t-il entendu ? Aux dernières nouvelles, les populations continuent de vider le village pour [s’installer dans] des localités plus sécurisées.