La France a longtemps été connue pour sa démographie dynamique. Mais des signes très préoccupants d’un dérèglement apparaissent ces dernières années, alerte le haut-commissaire au Plan François Bayrou. Les critiques lui ont reproché de vouloir ouvrir grand les vannes de l’immigration. Or le rapport ne dit pas vraiment cela.
En 1982, le président de la Chambre des représentants des Etats-Unis avait décrit la réforme des retraites comme l’équivalent politique du « troisième rail » des voies ferrées : celui auquel il ne faut surtout pas toucher du fait du risque d’électrocution. L’expression a depuis fait florès outre-Atlantique. La démographie a toujours été un sport de combat politique, mais l’immigration est trop longtemps restée le troisième rail du débat français. Il est cependant souhaitable que toute la classe politique s’en saisisse, car c’est une préoccupation importante des Français. La laisser de côté, c’est garantir qu’elle ne sera traitée que par les démagogues ou les incompétents à grands coups de « il n’y a qu’à » et autres « il faut qu’on ».
Notre natalité en berne
Le Haut-commissariat au Plan (HCP) a récemment produit un rapport (auquel l’auteur de ces lignes a contribué) sur l’avenir de la population française. Il part d’un constat simple : cet avenir n’est plus assuré. La population croît de moins en moins vite et l’indicateur conjoncturel de fécondité est tombé à 1,8. Dans l’un des scénarios construits par l’INSEE (basse fécondité, faible solde migratoire, baisse de l’espérance de vie), elle connaîtrait son maximum en 2040 avant de décroître. Et quand bien même on ne mesurerait plus, au 21ème siècle, « la grandeur des Rois au nombre de leurs sujets » (Vauban), un déclin démographique aurait nombre de conséquences politiques, économiques et culturelles négatives.
Seulement voilà : il n’existe pas de remède miracle. Outre qu’elle n’a de vrais effets qu’à long terme, la politique familiale ne peut totalement compenser la tendance historique lourde de la réduction de la fécondité dans les pays modernes. Et si l’impact des mesures financières relatives à cette politique sur le taux de natalité est peu discutable, son ampleur exacte reste un sujet de débat. Quant à la politique migratoire, elle ne peut régler à elle seule – à supposer que ce fût souhaitable – le problème du renouvellement des générations. Comme l’avait démontré en 2000 (par l’absurde) le célèbre rapport de l’ONU Migrations de remplacement: s’agit-il d’une solution au déclin et au vieillissement des populations?, la France aurait eu « besoin » de 900 000 immigrants de plus chaque année pour conserver le même ratio actifs/inactifs en 2050 ! Lorsque le rapport du HCP dit « l’apport des migrations peut aider à améliorer le rapport actifs-retraités », les trois qualificatifs sont importants (« peut aider à améliorer »). Du point de vue strictement économique – salaires, emploi, comptes sociaux –, au niveau national, l’immigration n’est, sur le long terme, pas plus une solution miraculeuse qu’elle n’est d’ailleurs un vrai problème.
Un rapport beaucoup plus nuancé que les critiques qu’il reçoit
Ce que le Haut-commissariat propose, c’est d’adopter une démarche dépassionnée et holistique du sujet : il faut traiter simultanément de la politique familiale et de la politique
d’immigration pour définir l’avenir de la population française que nous voulons. Car les lois de la démographie sont incontournables : une nation croît ou décroît chaque année du fait de la combinaison de deux soldes, le solde naturel (naissances et décès) et le solde migratoire (entrées et sorties). D’où l’idée d’une « politique démographique » qui tienne compte de ces deux volets qui sont autant de leviers possibles, alors qu’ils sont généralement traités de manière séparée. L’histoire enseigne d’ailleurs que l’immigration n’est bien acceptée que lorsqu’un pays dispose d’une certaine vitalité démographique.
Loin de prôner une approche strictement comptable et encore plus loin de vouloir naïvement ouvrir les vannes de l’immigration, le rapport affirme noir sur blanc que : « la question migratoire est moins démographique ou économique que politique au sens large du terme », c’est-à-dire avec une dimension culturelle, voire identitaire, majeure. Suggérer comme il le fait que « la France devra jouer des deux leviers dans des proportions raisonnables qui garantissent le maintien de la cohésion nationale » devrait dès lors être assez consensuel, sauf pour ceux qui prétendent que la fin de toute immigration serait LA solution. Au-delà des obstacles juridiques d’ordre interne et international qu’il faudrait abattre à cet effet – et ils seraient lourds – cela voudrait dire ne pas pouvoir satisfaire rapidement aux besoins des métiers en tension ; interdire aux conjoints de Français de mener une vie normale ; refuser d’accueillir des individus persécutés ; et renoncer à la contribution au rayonnement de la France que constitue l’accueil d’étudiants étrangers.
Les vraies questions restent : quelle immigration, d’où, comment et à quelle hauteur? Elles soulèvent des choix politiques aux conséquences lourdes, et qui ne pourront être évacués des prochaines échéances électorales.