Alors que vendredi 23 août marque un an que le cofondateur du groupe de mercenaires russes Wagner Evgueni Prigojine est mort, les activités militaires russes se poursuivent en Afrique. Depuis son décès dans le crash de son avion en Russie, les activités de Wagner en Afrique ont été reprises par l’État russe sous le nom d’Africa Corps. Qu’en est-il de l’évolution du groupe paramilitaire sur le continent depuis un an ? Dimitri Zufferey, membre du collectif All Eyes On Wagner, répond à Sidy Yansané.
RFI : Dimitri Zufferey, Depuis la mort d’Evgueni Prigojine et la reprise en main des activités paramilitaires de Wagner par l’État russe, une nouvelle structure appelée Africa Corps a fait son apparition dans le Sahel. Qu’est-ce qui la distingue de Wagner ?
Dimitri Zufferey : On pourrait utiliser la métaphore du réfrigérateur et du frigo. « Frigo » a été la marque qui est devenue le terme employé par tout le monde pour désigner un réfrigérateur. Aujourd’hui, Wagner est en quelque sorte un frigo puisque les paramilitaires russes sont tous désignés, peu importe où ils travaillent, sous l’appellation de Wagner, par la presse et même par les spécialistes. Dans le cas de African Initiative, c’est le secteur de la communication qui poursuit ses activités, notamment avec les fermes à trolls. Aujourd’hui, il est très difficile de déterminer à qui il appartient et qui le gère effectivement. On peut parler encore de la Fondation pour les valeurs nationales. Et tout ce secteur de propagande et d’influence qui reste très actif est très probablement piloté par les services de renseignement russes.
Et de quelle manière l’appareil sécuritaire du Kremlin pilote l’entité Africa Corps ?
La chaîne de commandement n’est pas si simple à comprendre. On a pu analyser et comprendre un peu ce qui se passe, notamment en prenant les photos de réunion officielle entre des Russes et des dirigeants africains du Mali, du Niger, du Burkina Faso par exemple. En regardant précisément quels sont les Russes qui sont présents, on arrive à déterminer quels sont les corps d’armée, quelles sont les unités, les services qui sont présents sur place et qui vont jouer un rôle. En l’occurrence, vous avez le général Averianov qui est un spécialiste des opérations spéciales et psychologiques, et les deux services principaux qui jouent un peu des coudes dans la région sont le SVR, le service de renseignement extérieur, et la GRU, le service des renseignements militaires.
Wagner qui est également très présent en Libye depuis l’époque Prigogine, aux côtés du maréchal Khalifa Haftar, et il semblerait que le territoire libyen serve de base arrière à Wagner en Afrique.
Effectivement, pour tout ce qui est de la Libye, il y a les bases aériennes du sud du pays comme Al Qaïm par exemple, qui sont toujours sous contrôle des forces du général Haftar. All Eyes On Wagner avait pu documenter en avril dernier l’arrivée notamment d’à peu près 1 800 paramilitaires russes dans cette région, avant d’être en partie dispatchés vers le Niger et le Mali. Comme Wagner est plus ou moins très proche de l’Africa Corps, on utilise aujourd’hui assez indistinctement les deux noms pour désigner des paramilitaires russes.
Est ce qu’il y a un objectif militaire clair de l’État russe dans le Sahel ?
Wagner et ses franchises dans la région du Sahel, et même partout où Wagner est déployé en Afrique, ma co-autrice Lou Osborne et moi avions évoqué dans notre livre Wagner, enquête au cœur du système Prigojine (Ed. du Faubourg) cette notion de « préservation de régime ». À savoir, tout faire pour apporter une certaine stabilité politique. Pour ce qui est de la lutte contre le djihadisme et les groupes armés et terroristes, il est difficile d’analyser puisqu’il y a très peu d’informations qui remontent depuis les chaînes des commandements et les communications entre l’état-major des forces armées maliennes, par exemple, et les « wagnériens ». On ne sait pas qu’elle est la stratégie exactement poursuivie, mais une volonté de préservation de régime, ça c’est sûr.
Au début du mois, les renseignements militaires ukrainiens annonçaient que la défaite de Wagner dans la localité malienne de Tinzaouatène était le fruit d’une coopération avec les rebelles touareg du CSP. Y a-t-il un échange d’informations entre les rebelles et l’État ukrainien, voire même des forces ukrainiennes directement présentes au Mali ?
Pour reprendre une métaphore, Vladimir Poutine avait dit à la suite d’un attentat en 1999 qu’il irait « buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Les Ukrainiens semblent avoir repris ce même adage en allant traquer les wagnériens aux quatre coins de la planète. Et aujourd’hui, effectivement, la présence des Forces spéciales ukrainiennes au Soudan a pu être démontrée par le groupe de recherche Bellingcat. Mais pour ce qui est de la présence de Forces spéciales ukrainiennes dans le nord du Mali, cela semble peu clair et peu documenté. Ça semble très peu probable qu’il y ait vraiment eu des soldats de l’Ukraine présents sur le terrain malien. Ça ressemble plus à de la communication stratégique ou une opération d’influence, ou peut-être une tentative malheureuse de Kiev de vouloir s’attribuer quelque chose où elle n’aurait pas fait grand-chose.