Nouveau pas en Libye pour tourner la page d’une décennie de chaos: 120 prisonniers qui avaient combattu dans le camp de Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est du pays, et participé à son offensive contre Tripoli, ont été relâchés mercredi sur fond de réconciliation nationale.
Les détenus ont été libérés à l’issue d’une cérémonie organisée par les autorités de Zawiya, ville située à 45 kilomètres à l’ouest de Tripoli et dont les combattants avaient participé à la défense de la capitale dès avril 2019.
Membres de la Brigade 107 loyale au maréchal Haftar, ils avaient été capturés près de Zawiya par des combattants de cette ville au début de l’offensive avortée visant à s’emparer Tripoli.
Les combats entre les forces loyales de l’ancien Gouvernement d’union nationale (GNA, reconnu par l’ONU et basé à Tripoli) et celles du puissant militaire septuagénaire ont pris fin à l’été 2020.
Un cessez-le-feu est observé depuis octobre et un nouveau gouvernement unifié vient d’être mis sur pied, à l’issue d’un processus chapeauté par l’ONU, pour gérer la transition jusqu’à des élections nationales en décembre.
La cérémonie de mercredi, signe de cette embellie politique, a été ponctuée par de longs discours centrés sur le thème de l’unité et de la réconciliation.
- “Reconstruire le pays” –
Abdallah Ellafi, vice-président du Conseil présidentiel, a ainsi appelé à “aller de l’avant pour reconstruire le pays” et a prôné la “réconciliation nationale”. “Nous ne devons pas transmettre la haine et la rancune à nos enfants”, a-t-il insisté.
“C’est aujourd’hui que nous avons le plus besoin les uns des autres”, a déclaré Moussa al-Koni, autre vice-président du Conseil présidentiel.
Le Conseil présidentiel, composé de trois membres, a été désigné en février par 75 responsables libyens de tous bords réunis à Genève, qui ont également choisi un Premier ministre, le riche homme d’affaires Abdelhamid Dbeibah.
Entourée par d’importantes mesures de sécurité, la cérémonie de mercredi s’est déroulée au siège du club olympique de Zawiya, à l’initiative d’un groupe de dialogue local.
Avant de donner la parole aux personnalités présentes, des versets coraniques ont été récités, suivis par l’hymne national.
Les prisonniers, vêtus de longues chemises et sarouels blancs, coiffe blanche sur la tête, ont ensuite pu retrouver sous les youyous leurs familles qui les attendaient sur place.
Les membres de la Brigade 107 sont originaires de l’ouest du pays, notamment de Sorman et Sabratha, respectivement à 60 et 70 km de la capitale. Certains étaient encore mineurs lorsqu’ils avaient été recrutés pour combattre aux côtés des forces pro-Haftar.
Pour Khaled el-Michri, président du Haut conseil d’Etat, la libération de ces détenus représente un événement “crucial” qui marque “un tournant positif dans la crise libyenne”.
Ces jeunes ont été “trompés” alors que certains “n’étaient pas encore majeurs” lorsqu’ils ont été recrutés, a-t-il dit.
En décembre 2020 et janvier 2021, les camps rivaux avaient procédé à un échange de plusieurs dizaines de prisonniers, conformément à l’accord de cessez-le-feu, facilité par une commission militaire conjointe composée de cinq membres de chaque camp.
- Mercenaires –
La Libye tente de s’extraire d’une décennie de conflit, depuis la chute en 2011 du régime de Mouammar Kadhafi, un chaos marqué par l’existence ces dernières années de pouvoirs rivaux, en Tripolitaine (Ouest) et Cyrénaïque (Est).
Mais la réconciliation en cours se heurte à la présence sur le sol libyen de milliers de mercenaires et militaires étrangers –estimés à 20.000 en décembre par l’ONU– alors que le conflit a été largement alimenté par des puissances extérieures.
Lors de la guerre entre les pouvoirs rivaux en 2019 et 2020, la Turquie a soutenu activement le GNA alors que le camp de l’Est a reçu l’appui des Emirats, de la Russie et de l’Egypte.
Parmi les acteurs extérieurs figuraient des mercenaires du groupe privé russe Wagner, soutiens du camp de l’Est, des Tchadiens, Soudanais et Syriens, mais aussi des militaires turcs en vertu d’un accord bilatéral conclu avec le précédent gouvernement de Tripoli.
L’ONU et plusieurs pays réclament depuis des mois le départ de ces forces étrangères.
Dans un rapport publié mercredi, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a recommandé d’établir une “composante d’observateurs” de l’arrêt des hostilités au sein de la mission de paix Manul en Libye, parallèlement au “mécanisme de surveillance du cessez-le-feu” dirigé et contrôlé par les Libyens.