Bâtisses en ruines, magasins vides, tas de ferrailles et voitures calcinées où viennent jouer les gamins: dans le nord du Mozambique, la ville portuaire de Mocimboa da Praia reprend doucement son souffle, un an après avoir été libérée des jihadistes.
La province pauvre et à majorité musulmane du Cabo Delgado, frontalière avec la Tanzanie, est secouée depuis 2017 par la rébellion jihadiste des shebab, affiliée à l’État islamique.
En août 2020, après trois ans d’offensives repoussées par l’armée mozambicaine, ils avaient installé leur QG et imposé leur terreur à Mocimboa.
Un an plus tard, l’armée et les forces rwandaises appelées à la rescousse par le gouvernement du président Filipe Nyusi ont libéré la petite cité côtière. Depuis, elle panse lentement ses plaies.
Il reste rare de croiser des véhicules sur les routes alentours. Les jihadistes multiplient désormais les attaques contre les civils dans le sud de la province. Mais environ 130.000 déplacés sont revenus chez eux dans les districts septentrionaux de Palma et Mocimboa, selon l’armée rwandaise qui contrôle ces deux zones.
Les boutres ont repris leur va-et-vient sur l’océan Indien. La plage est de nouveau envahie de pêcheurs aux bras chargés de raies et poissons colorés extirpés de l’eau turquoise.
Maintenant que le pire est passé, les revenants vivotent dans les ruines en attendant une aide humanitaire qui tarde à venir.
“Nous avons la sécurité ici à Mocimboa, mais j’attends encore de pouvoir rentrer dans mon village, on a besoin que les soldats nous escortent”, explique à l’AFP Abdallah, un pêcheur, qui ne donne pas son nom complet. “La plupart des gens n’ont pas de travail et nous n’avons pas reçu d’aide du gouvernement”.
“Ils ont coupé des têtes”
A deux pas du marché où quelques échoppes ont rouvert, des centaines de supporteurs se sont massés pour un match de foot entre l’équipe locale et celle des soldats rwandais. La foule envahit le terrain dans un tourbillon de poussière quand les joueurs de Mocimboa ouvrent le score.
Les femmes du quartier chantent en chœur et dansent, vêtues de leurs chatoyantes capulanas, pagnes traditionnels. Parmi elles, Lucia Da Silva, avalanche de longues tresses et foulard noué autour d’un visage gracieux, robe à imprimés léopard et piercing à la narine, détonne et tonne. “Oui je veux bien vous parler, si vous me donnez cent meticals (environ 1,6 euro)!”, tance-t-elle dans un grand éclat de rire.
Mais tandis qu’elle arpente les ruelles jonchées de ruine de son quartier de Unitade, les souvenirs remontent, le bagout s’étiole et l’humeur s’assombrit. “Ici, il y avait quarante, cinquante morts… Des policiers, des vieillards”, se souvient Lucia en pointant du doigt un terrain vague.
“Ils sont venus pendant que nous dormions. Certains étaient des Tanzaniens, ils disaient: ‘Tuez! Tuez’. Nous étions terrorisés. Ils nous ont ordonné de partir avant quinze jours, mais nous n’avions pas de famille ailleurs. Alors on est restés”.
“Ensuite, ces bandits ont commencé à tuer. Ils ont coupé des têtes. Ils ont attaqué les églises, les mosquées”, dit-elle.
Employée par une ONG internationale, Lucia s’en sortait plutôt bien dans cette région parmi les plus pauvres au monde. Mais de sa belle maison de quatre chambres, il ne reste que les fondations, une bâche jetée sur des piquets en bois et une carcasse de pickup calciné.
“J’étais en train de faire à manger pour les enfants quand ils sont revenus. Trois fois, ils nous ont demandé d’ouvrir. Ils ont dit ‘on va brûler la maison’. J’ai fini par ouvrir”, raconte-t-elle le regard dans le vide.
“L’un d’eux est entré dans la chambre et a pris les enfants, ils ont dit qu’ils allaient bien s’occuper d’eux. J’ai réussi à m’échapper, ils ont mis le feu aux moustiquaires avec de l’essence et tout a brûlé”, poursuit-elle.
Des milliers d’enfants ont été arrachés à leurs familles par les jihadistes. “Je n’ai aucune nouvelle”, souffle Lucia, en haussant les bras avec l’impuissance de celles qui ont épuisé leurs larmes.