L’état de siège : un échec personnel du président Tshisekedi ?

Un des problèmes majeurs auxquels Félix Tshisekedi n’a pas apporté de solution pendant son mandat, c’est l’insécurité dans l’est de la RDC. Malgré l’état de siège, cette partie du Congo reste un véritable mouroir. Beaucoup de civils y ont perdu la vie. Massacres, viols, embuscades, destruction d’habitations par des groupes armés, tel est le quotidien de la population du Kivu et de l’Ituri. La tragédie dure depuis près de 30 ans.

Critiqué de toute part pour son incapacité à rétablir la paix et l’autorité de l’État dans l’est de la RDC, le président Félix Tshisekedi a misé sur l’état de siège comme une thérapie de choc pour mettre fin à l’insécurité et à l’activisme des groupes armés. En mettant en place une administration militaire dans les provinces les plus touchées par l’insécurité, il espérait ainsi ramener la paix et faire taire les critiques de ses détracteurs.

Un pari difficile

En effet, l’est de la RDC est un réservoir de groupes armés, les uns nationaux, les autres étrangers. L’insécurité et la criminalité y sont endémiques. Même la mission de paix des Nations Unies déployée dans le pays depuis près de 25 ans, n’a jamais réussi à résoudre le problème.

A l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir, la situation allait de mal en pis. On ne pouvait plus compter le nombre de massacres à Beni, Djugu, Irumu… Cette partie du pays est une zone rouge où s’aventurer peut vous coûter la vie. L’ambassadeur d’Italie en RDC, Luca Attanasio, l’a appris à ses dépens. Il a été tué par balles dans l’est du pays.

Ainsi, l’état de siège a été décrété le 03 mai 2021 dans deux provinces : l’Ituri et le Nord-Kivu. Les gouverneurs civils de ces provinces ont été remplacés par des gouverneurs militaires nommés, à savoir : le général Johnny Luboya Nkashama pour l’Ituri et le général Constant Ndima pour le Nord-Kivu. Au niveau des territoires et des mairies, outre une présence massive des Forces armées de la RDC, des autorités militaires et de la police ont également été nommées dans les deux provinces. La traque des groupes armés a été lancée et elle était sans merci.

Puis la déception…

L’idée d’imposer un état de siège a été bien accueillie par une grande partie de l’opinion publique congolaise. Beaucoup y ont cru, espérant qu’avec une administration militaire et un déploiement massif des troupes des Forces armées de la RDC, le président Tshisekedi allait, une fois pour toutes, mettre fin à l’insécurité. Hélas, aujourd’hui, deux ans après, l’espoir a fait place à la déception. L’est du Congo n’est toujours pas pacifié. Les massacres des civils n’ont pas cessé. Les viols et les crimes en tout genre continuent.

Plus grave, le retour du mouvement rebelle M23 est venu compliquer l’équation. Appuyé et entretenu par l’armée rwandaise, le M23 a conquis en quelques mois une bonne partie de la province du Nord-Kivu. Ces rebelles ont instauré une administration parallèle, faisant payer des taxes aux populations locales et exploitant les ressources minières.

Plus, les jours et les mois passent, plus la paix s’éloigne. Les populations ne croient plus à l’efficacité de l’état de siège. Les militaires déployés sont accusés de tracasser les civils. Au Parlement, députés et sénateurs en ont ras-le-bol, surtout lorsqu’ils sont obligés de voter la prorogation de cet état de siège tous les 15 jours. Cela devient fastidieux.

Selon l’article 85 de la Constitution congolaise, l’état de siège est une mesure exceptionnelle de 15 jours renouvelables et qui n’a pas vocation à s’éterniser. Là, voilà plus de deux ans qu’il est en vigueur ! Si bien qu’au lieu d’être une solution à l’insécurité, l’état de siège est devenu lui-même un problème. Faute de résultats escomptés, les populations concernées n’en veulent plus.

L’état de siège n’a pas été que négatif

Qu’on le veuille ou non, l’état de siège a aussi donné quelques résultats positifs à ses débuts. Plusieurs membres de groupes armés ont été neutralisés, et de nombreux villages sous contrôle rebelle récupérés par les FARDC. Le trafic illicite des minerais et d’autres ressources du pays, a également été mis à mal. Et si certains ont critiqué l’état de siège, c’est parce que leurs intérêts maffieux étaient mis en difficulté par les opérations militaires au Nord-Kivu et en Ituri. Comme on le sait, il y a des gens au Congo qui tirent leurs revenus de la guerre et de l’insécurité.

Sur le plan financier, l’état de siège s’avère très coûteux pour le Trésor public. De gros moyens de l’État sont dirigés vers les dépenses d’armement et de prise en charge des troupes. Si bien que d’aucuns ont qualifié l’état de siège de véritable gouffre financier.

Pour toutes ces raisons, plusieurs voix dans la classe politique, dans la société civile comme dans la population, se sont levées pour réclamer la levée de cette mesure. Et, au vu de maigres résultats sur le terrain des opérations, le gouvernement s’est vu contraint de reconnaître son échec, mais sans le dire ouvertement. En effet, l’état de siège est vu dans l’opinion comme un échec personnel du président Tshisekedi, cela compte tenu de l’espoir qu’il y avait placé pour rétablir la paix dans l’est du pays.
Des traitres au sein de l’armée

L’échec des opérations militaires au Nord-Kivu et dans l’Ituri, peut s’expliquer aussi par des trahisons internes. Certains officiers et personnalités politiques sont pointés du doigt dans la déstabilisation du pays. Ils sont accusés de collaborer avec les groupes armés et les forces ennemies.

Au cours d’une parade à Kinshasa, le général Tshiwewe, chef d’Etat-major des Forces armées de la RDC, dénonçait des traîtres dans l’armée en ces termes : « Tu as porté la tenue pour trahir ? [..] Trop de traîtres à tous les niveaux. Loyauté zéro. Même une conversation simple est envoyée ailleurs. Vous planifiez une chose, on dévoile. Mais entre-temps, tu as porté la tenue des FARDC. »

De son côté, le président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso a appelé les députés du Kivu à quitter les groupes armés : « Nous exhortons tous nos compatriotes congolais qui collaborent de près ou de loin avec les groupes armés et les groupes terroristes toujours actifs à l’est de notre pays, de les quitter définitivement pour prouver leur attachement à la patrie et leur amour pour notre peuple. Il ne faut pas que les Congolais se montrent complices de ceux qui tuent et massacrent à longueur des journées nos frères et sœurs. »

L’état de siège pour justifier les violations des droits de l’homme ?

Au nom de l’état de siège, les libertés publiques et les droits de l’homme ont été systématiquement violés en RDC. Des militants des mouvements citoyens et des membres de la société civile ont fait l’objet d’arrestations arbitraires pour avoir critiqué l’état de siège.

En gros, ils étaient accusés de jouer le jeu de l’ennemi. Des ONG locales et internationales n’ont cessé de dénoncer les bavures de la police et des militaires déployés sur le terrain. L’état de siège était considéré comme une sorte de blanc-seing donné aux hommes en uniforme pour commettre des exactions.

Toute manifestation dans la rue était violemment dispersée par la police. Des discours de haine et de xénophobie contre les populations tutsies rwandophones ont proliféré dans le pays pendant cette période. Le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme (BCNUDH) fait état d’une augmentation de violations des droits de l’homme au premier semestre de l’année 2023. La majorité des cas enregistrés proviennent des provinces en état de siège.

Tshisekedi avait promis de « s’installer dans l’Est pour ramener la paix »

Parmi les promesses de campagne de Felix Tshisekedi en 2018, figurait celle d’aller s’installer dans l’est du pays s’il est élu. L’idée était que sa présence sur place puisse contribuer à empêcher les massacres et à restaurer l’autorité de l’État. Après son élection, il y est allé plusieurs fois, mais ne s’y est pas installé. Dans une interview, Félix Tshisekedi explique pourquoi il a changé d’avis : « Lors de la campagne électorale, je m’étais dit que je m’installerais là-bas. Mais une fois que j’ai accédé à la fonction, je me suis rendu compte qu’en tant que commandant suprême des Forces armées de notre République, je n’ai pas besoin de m’installer physiquement là-bas pour que les choses avancent ! J’ai réussi à les faire avancer depuis ici. »

Ainsi, sous pression, Félix Tshisekedi a dû convoquer une table ronde sur l’évaluation de l’état de siège. Dans son discours d’ouverture, le chef de l’État a déclaré : « Au vu des préoccupations exprimées par les populations du Nord-Kivu et de l’Ituri, j’ai relevé la nécessité de procéder à une évaluation solennelle de l’état de siège sous la forme d’une table ronde inclusive, afin de réfléchir et d’entériner ensemble les bases d’une orientation optimale tout en préservant les acquis générés par cette mesure d’exception. Je vous demande de bien vouloir prendre la mesure de la vraie situation tout en appelant au sens élevé de votre responsabilité, car il en va de la survie de la nation tout entière. »

Cette table ronde sur l’évaluation de l’état de siège a eu lieu à Kinshasa du 14 au 16 août 2023. Ses conclusions ont été remises au chef de l’État qui pourra décider de la levée ou non de l’état de siège. Au moins, une tendance s’est dessinée lors de cette table ronde : la majorité des participants souhaite la levée pure et simple de cette mesure.

Quoi qu’il arrive, des questions vont subsister. Par exemple, quelle sera la suite des événements si l’état de siège est levé ou maintenu ? Les troupes déployées au front seront-elles retirées ou renforcées ? Quand est-ce que la paix sera effective ?