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L’histoire des échanges transsahariens montre que l’inhospitalité de l’environnement et du climat ne les a jamais entravés. Leurs animateurs ont en effet toujours su s’adapter et même contourner les obstacles qui se présentaient à eux comme l’instauration de frontières.
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Tracées arbitrairement lors de la conférence de Berlin (1898), elles ne constituent plus depuis déjà longtemps un obstacle aux échanges de par leur perméabilité. Elles sont même devenues des rentes pour les commerçants et les populations, mais aussi pour ceux (douaniers, policiers et gendarmes) qui doivent en assurer la surveillance. Ces rentes reposent sur les différences de politiques économiques suivies par les États (protectionnistes pour certains, libérales pour d’autres), sur le prix et la disponibilité des produits agricoles et manufacturés variable d’un pays à l’autre et sur leur appartenance à des zones monétaires distinctes : l’inconvertibilité des dinars algérien et libyen a donné naissance à des marchés des changes parallèles qui régissent la quasi-totalité des transactions transfrontalières.
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Notre étude qui porte sur le Sahara central (Algérie, Libye, Mali, Niger), retracera tout d’abord l’évolution des échanges transsahariens depuis l’ère précoloniale jusqu’en 2011. Cette année constitue une date charnière marquée par des événements politiques majeurs : printemps arabes en Tunisie et en Égypte, chute du régime du colonel Kadhafi (20 octobre) qui inaugure une guerre civile qui déchire toujours le pays, déclenchement dans le nord du Mali d’une nouvelle rébellion touareg (novembre 2011) par le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad). Dans un deuxième temps, nous analyserons les incidences de ces événements politiques sur les flux transsahariens et soulignerons le développement continu de l’économie informelle, qu’il s’agisse de la contrebande, concernant des produits autorisés revendus illégalement, ou des trafics, correspondant à la circulation frauduleuse de produits interdits (drogues, armes) examinée dans une troisième partie.
L’évolution des échanges transsahariens depuis l’ère précoloniale jusqu’en 2011
Des échanges libres et dynamiques à l’ère précoloniale
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L’aire saharo-sahélienne n’étant pas découpée en sous-ensembles, les échanges entre le Maghreb et le Sahel s’effectuaient sans frontières, ce qui ne signifie pas librement puisque les routes étaient contrôlées par des groupes arabes, touareg ou toubou qui percevaient des tributs sur le passage des caravanes. Les premiers explorateurs européens rapportent qu’au milieu du xixe siècle les deux rives du Sahara étaient liées malgré la difficile et longue traversée du désert. Le négoce alors florissant portait sur la traite des esclaves ainsi que sur une multitude de produits : certains étaient exportés depuis le Sahel vers l’Afrique du Nord (peaux tannées, henné, gomme arabique, etc.) voire en Europe (plumes d’autruche, ivoire, poudre d’or, etc.) tandis que d’autres étaient importés au Sahel depuis le Maghreb (corans, cotonnades, chéchias, burnous, etc.) et l’Europe (tissus, sucre en pains, armes à feu, thé, quincaillerie, etc.). Enfin, des caravanes acheminaient des dattes, des céréales, du bétail et des marchandises d’une oasis à l’autre et reliaient ces oasis aux villes du Sahel : au Niger, des convois de chameaux apportaient le sel et le natron de Bilma et Fachi à Agadez, Zinder et Kano (Nigeria) tandis qu’au Mali l’azalaï apportait à Tombouctou le sel de Taoudéni [Grégoire, 2018].
Des échanges entravés durant la colonisation
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La conférence de Berlin découpa la bande sahélo-saharienne en une série de territoires délimités par des frontières tracées ex nihilo, ce qui n’empêcha pas les populations de continuer à entretenir des liens familiaux et tribaux étroits, au-delà donc de ces nouvelles limites qu’elles considéraient comme illégales puisqu’imposées de l’extérieur. En balkanisant ainsi cette vaste région, les puissances européennes en bouleversèrent l’économie.
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Durant l’entre-deux-guerres et même un peu avant, le commerce transsaharien périclita, car les puissances européennes interdirent la traite esclavagiste qui en était le principal pilier. Elles firent aussi en sorte de le détourner à leur profit en mettant en place des voies de communication modernes qui partaient du golfe de Guinée pour remonter à l’intérieur de l’Afrique : il s’agissait d’affaiblir ce vieux négoce en privilégiant les flux côtiers qu’elles contrôlaient. Il ne put tenir la concurrence de ces nouvelles routes qui offraient des conditions de transport plus avantageuses et sûres face aux routes sahariennes qui ont toujours été exposées aux risques de rezzous [1], même si les puissances coloniales ont drastiquement réduit l’ampleur de ce banditisme. Aussi, seuls quelques petits courants d’échanges purent se maintenir comme ceux qui reliaient les oasis aux villes sahéliennes ainsi que les caravanes de sel [2].
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Après la Seconde Guerre mondiale, des familles arabes, chaamba de Metlili et mozabite de Ghardaïa, s’installèrent à Agadez où elles prolongeaient les réseaux marchands qu’elles avaient tissés le long de la route transsaharienne : elles y exportaient des dattes, des produits alimentaires (couscous, pâtes), des pains de sucre et quelques biens manufacturés et importaient des moutons, du mil, du henné et des objets artisanaux. Plus à l’ouest, des réseaux analogues reliaient les commerçants arabes d’Adrar (Touat) à leurs parents installés à Tombouctou et à Gao (ils échangeaient les mêmes produits).
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Malgré les progrès réalisés en matière de transport grâce à des camions plus performants et fiables, les circulations marchandes furent limitées durant toute l’époque coloniale, au mécontentement des populations qui commerçaient auparavant sans entraves.
Des échanges toujours modestes et sous surveillance après les indépendances (1960-1990)
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L’accession des pays à l’indépendance n’entraîna pas de rupture avec la période coloniale : elle ne modifia en effet pas la nature des flux qui demeuraient modestes tant en valeur qu’en quantité. Les nouveaux États étaient alors soucieux de contrôler leurs frontières pour asseoir leur souveraineté et leurs dirigeants, pour la plupart « sudistes », se méfiaient des populations sahariennes (prioritairement touareg) qui avaient vu dans l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) un moyen de regagner leur autonomie [Grégoire, 1999] [3]. En outre, les relations entre les pays du Maghreb et du Sahel pouvaient être tendues, comme les rapports algéro-nigériens en raison du soutien du président Ahmed Ben Bella au parti d’opposition Sawaba de Djibo Bakary qui combattait le régime du président Diori Hamani.
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Il fallut attendre les années 1970 pour qu’on assiste à un léger essor des échanges [4] : des convois de camions reliaient le Sud algérien au Mali et au Niger tandis que Tamanrasset devenait un carrefour commercial pour des négociants de toutes nationalités qui s’y ravitaillaient en produits subventionnés en Algérie. Socialiste, ce pays avait mis en place un système de subvention des prix des produits de grande consommation applicable à l’ensemble du pays [Bensassi et al., 2015]. Mais ces produits, avec à leur tête le lait en poudre Lahda, franchissaient frauduleusement les frontières si bien qu’on les retrouvait sur les marchés des régions du nord du Mali et du Niger dont les populations et les commerçants s’approvisionnaient à plus faible coût que si ces produits provenaient du sud de ces pays. La politique de subvention de l’Algérie fut une véritable rente pour les pays limitrophes (elle concernait également les carburants et le gaz), mais sa législation contraignante en matière d’exportation et d’importation amena les acteurs du commerce transfrontalier à verser dans la contrebande. À partir des années 1990, celle-ci prit une grande ampleur et la même forme dans tout le Sud algérien. L’inconvertibilité du dinar contraignit les opérateurs à commercer sous forme de troc, tout comme avec la Libye [5]. Enfin, conscients qu’il fallait faciliter la circulation des personnes et des biens, l’Algérie, le Mali, le Niger et la Tunisie, auxquels se joignirent par la suite le Nigeria et le Tchad, lancèrent, en 1966, le projet de construction d’une route transsaharienne dont près de 5 000 km sont réalisés (des tronçons visant à l’achever sont actuellement en travaux).
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Si de timides mouvements de marchandises s’effectuaient entre le Sahel et l’Algérie, il en fut, au départ, de même avec la Libye : quelques convois de camions chargés de vivres et de diverses marchandises reliaient au début des années 1970 le Sud libyen au nord du Niger et du Tchad. Mais le conflit frontalier qui opposa ce dernier au colonel Kadhafi à propos de la bande d’Aozou rendit impossible toute relation commerciale entre les deux pays de 1973 à 1987. De même, la crise entre le Niger et la Libye (1981-1984) conduisit le général Seyni Kountché, qui accusait le régime libyen de s’être emparé de l’oasis de Toummo et le soupçonnait d’inciter les Touareg à la révolte, à renforcer son dispositif militaire le long de la frontière si bien qu’aucun camion ne s’aventurait dans la zone [6].
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À cette époque déjà, les échanges officiels entre les pays du Maghreb et du Sahel étaient très faibles (Algérie) voire inexistants (Libye), ce qui est toujours le cas aujourd’hui.
Des échanges réactivés, diversifiés et frauduleux (1990-2011)
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Cette période inaugura une ère nouvelle marquée par de profondes transformations nées de la mondialisation qui s’étendit à l’espace saharo-sahélien et par l’intensification des flux [7], notamment ceux dirigés vers la Libye qui ne pouvait plus s’approvisionner par la mer étant l’objet d’un embargo (1992-1999) décrété par la communauté internationale à la suite des attentats perpétrés contre des avions de ligne sur ordre du colonel Kadhafi. Simultanément, la surveillance des frontières s’affaiblit sous la pression des échanges clandestins, bien que perturbés par les rébellions touareg malienne et nigérienne du début des années 1990. L’insécurité qu’elles induisirent [8] freina un moment les échanges qui se développèrent fortement par la suite.
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Ces flux portèrent principalement sur les produits de première nécessité, le pétrole, le gaz, les véhicules et les matériaux de construction importés d’Afrique du Nord. Dans cette économie de troc, les flux de contrepartie étaient constitués de produits agricoles (mil, henné), de bétail (chameaux, moutons) et de cigarettes exportées au Maghreb depuis le Sahel. Au Niger, de grosses quantités de Marlboro furent acheminées à Agadez depuis les ports de Cotonou et de Lomé pour être ensuite exportées frauduleusement en Algérie où leur importation était prohibée, et surtout en Libye soumise à un embargo international : ce gros négoce explique la fortune d’hommes d’affaires et de hautes personnalités politiques nigériennes et libyennes, dont la famille du colonel Kadhafi [Grégoire, 1999]. Depuis le Mali, via le Burkina Faso notamment, des flux analogues, mais moins importants furent mis en place : des commerçants arabes (Lahmar tout d’abord, puis Berabiche) et touareg se lancèrent vers le milieu des années 1990 dans le trafic de cigarettes. La levée de l’embargo (avril 1999) mit fin à ce trafic avec la Libye. Avec l’Algérie, la contrebande baissa fortement à partir de 2005 du fait de la mise sur le marché des marques américaines par la Staem (Société algéro-émiratie de fabrication de tabac) [Bensassi et al., 2015].
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Parallèlement, des trafics de haschich produit au Maroc se développèrent, avant que l’importation de cocaïne n’explose à son tour au début des années 2000, les trafiquants latino-américains jugeant l’espace sahélo-saharien plus sûr pour gagner l’Europe que l’océan Atlantique. Le Sahara est ainsi devenu une aire de transit de stupéfiants (15 % de la production mondiale de cocaïne transitait alors par l’Afrique de l’Ouest) décrite par Alain Antil [2009] et Julien Simon [2011] qui identifièrent les principales routes empruntées par les trafiquants ainsi que leur organisation. De récents entretiens menés au Mali laissent penser que ces groupes djihadistes n’ont pas pénétré ces filières interdites (haram) qu’ils ont maintes fois condamnées, contrairement donc à ce qui est habituellement avancé. Pour autant, en dépit de quelques incinérations de cigarettes et de drogues en 2012, ils n’ont pas engagé de lutte contre des acteurs trafiquants armés dont ils préfèrent, de manière intéressée, bénéficier du savoir-faire logistique. Ces flux vont de pair avec une accélération du trafic d’armes, légères et lourdes, à la faveur de la fin des rébellions nigérienne et malienne dans les années 1990. Faute de processus de DDR (démobilisation, désarmement, réintégration) mené à son terme dans les deux pays, les anciens rebelles se reconvertissent dans l’économie criminelle et valorisent leur armement. De même, l’implantation du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat devenu Aqmi en 2007) dans le nord du Mali alimente une demande continue en armements lourds. Ces trafics de drogues et d’armes s’effectuent en toute impunité : les frontières protègent les trafiquants des poursuites et ralentissent les enquêtes alors que les États s’avèrent incapables de les contrôler, car les trafiquants bénéficient de l’appui de hautes personnalités politiques et de militaires de haut rang. À une économie formelle et de contrebande s’est donc juxtaposée depuis le milieu des années 1990 une économie criminelle qui constitue un autre mode d’insertion du Sahara et du Sahel dans l’économie mondiale.
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Les années 1990 ont aussi été marquées par le développement de flux portant sur des vivres et des biens manufacturés si bien qu’une intégration économique régionale s’est opérée par le bas : les régions de Kidal et Gao sont davantage tournées vers l’Algérie que vers le sud du Mali et profitent ainsi de la politique de subvention algérienne. Cette intégration s’effectue en l’absence d’organisation supranationale : la Cen-Sad (Communauté des États sahélo-sahariens) promue par le colonel Kadhafi est restée à l’état de projet (l’Algérie n’y adhéra pas, ce qui l’affaiblit dès le départ) alors qu’elle devait libéraliser les échanges et faciliter la circulation des personnes. On assiste donc à une régionalisation informelle qui ignore les frontières et profite de la faiblesse des États pour instaurer une économie parallèle et parfois mafieuse : plus les États instaurent du droit, plus cette économie prospère, en jouant et en se jouant des lois contraignantes de certains États (interdictions d’importation et d’exportation).
Les échanges transsahariens depuis 2011
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Les crises libyenne et malienne ont eu de fortes incidences sur les échanges transsahariens dont le volume et la valeur ont considérablement diminué. Toutefois, le développement du transit des migrants et de l’orpaillage saharien leur a donné une petite bouffée d’oxygène, aujourd’hui partiellement remise en cause du fait de la politique antimigratoire initiée par les États sahéliens.
L’impact des crises libyenne et malienne sur les flux commerciaux
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La chute du colonel Mouammar Kadhafi provoqua ou accéléra d’importants bouleversements géopolitiques, dont le principal fut la rébellion touareg au Mali qui débuta à la fin de l’année 2011. Elle a aussi profondément perturbé la circulation des marchandises dans tout l’espace saharo-sahélien. Ainsi au Niger, le tarissement des importations de produits de première nécessité libyens, la fin des politiques de subvention sur ces produits et le contrôle sur les exportations de carburant entraînèrent une chute brutale des flux de marchandises dirigés vers le Nord-Niger [9]. Ils ont aussi induit une hausse des prix dans toute la région d’Agadez, et même au-delà, tout en réorientant une partie des opérateurs commerciaux, majoritairement arabes et touareg, sur la frontière algérienne : le poste d’In Guezzam a connu en 2011 et 2012 une forte augmentation de la circulation de marchandises qui n’étaient plus accessibles sur le marché libyen. On assista donc à un rééquilibrage des échanges entre la région d’Agadez et ses voisins septentrionaux, la Libye perdant de son influence commerciale au profit de l’Algérie alors qu’elle a été toujours plus forte que celle de sa rivale.
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Progressivement, certains produits comme les dattes, la farine de blé, les macas (pâtes alimentaires), le riz, les couvertures, les tapis, etc. sont réapparus sur le marché libyen. Leur négoce est devenu l’apanage des réseaux toubou et arabes opérant à la frontière nigéro-libyenne, leur influence dans le Fezzan s’étant renforcée à la faveur de la révolution au détriment des Touareg qui ont majoritairement soutenu le colonel Kadhafi jusqu’à sa disparition. L’un des nouveaux commerces les plus rentables est celui des véhicules et des engins de construction (Caterpillar) volés en Libye dont les Toubou se sont faits les spécialistes (ils les revendent ensuite au Niger, parfois au Tchad). Les Toubou, mais aussi quelques Arabes, disposent ainsi à Agadez de parcs automobiles étendus de véhicules libyens dédouanés où ils attendent des acheteurs. En revanche, la contrebande de carburants, auparavant très lucrative, n’a pas repris depuis la Libye si bien que le prix du litre de carburants désormais importés de Zinder a plus que doublé depuis 2011 à Agadez, passant de 275 XOF à 650 XOF aujourd’hui [10].
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L’intégration économique du nord du Niger à la Libye est plus forte que pour le Mali qui ne possède aucune frontière avec celle-ci. Par contre, le nord du Mali est plus intégré que le Niger à l’économie algérienne si bien qu’il est davantage impacté par les mesures prises par Alger.
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Le déclenchement de la rébellion touareg malienne constitua un second choc pour l’économie saharo-sahélienne. La surveillance accrue, dès 2012, par l’Algérie de sa frontière avec le Mali a eu pour effet de réduire l’intensité des flux transfrontaliers entre les deux pays, les groupes bénéficiant du soutien politique d’Alger ayant plus de facilités pour traverser la frontière que les autres. Le déclenchement de l’opération Serval (janvier 2013) poussa l’Algérie à fermer sa frontière (13 janvier) pour se prémunir d’incursions islamistes qui fuiraient le Mali, mesure toujours effective aujourd’hui. Toutefois, si les flux se sont taris, ils n’ont jamais été interrompus [Bensassi et al., 2015]. Cela s’explique par les facilités administratives dont jouissent certains opérateurs algériens et/ou maliens basés à Tamanrasset et à Adrar et par l’impossibilité pour l’Algérie de surveiller intégralement et en continu l’ensemble de sa frontière longue de plus de 1 300 km avec le Mali et de 950 avec le Niger. Dans les deux cas, la quasi-totalité des produits vendus dans ces deux pays sont les dattes et ceux qui sont subventionnés en Algérie avec en tête les vivres et les carburants. Les flux de contrepartie sont toujours constitués de camelins, d’ovins et de produits agricoles comme le henné et même de produits manufacturés comme le bazin [11], mais dans des volumes moindres que par le passé.
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L’Algérie a aussi fermé sa frontière avec le Niger, menaçant cette fois-ci d’asphyxie l’économie des villes d’Agadez et Tahoua. Cette mesure a été lourde de conséquences sur le marché de l’emploi de ces deux régions, notamment pour les acteurs qui opéraient dans la revente de véhicules d’occasion depuis Tamanrasset et dont l’activité n’est plus permise aujourd’hui. Toutefois, pour alléger ces conséquences, l’Algérie procède à une ouverture de la frontière une fois tous les quinze jours.
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Dans les échanges entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb, le marché des changes parallèle, comme nous l’avons déjà souligné, joue un rôle capital de même que l’évolution du cours des monnaies. Depuis 2011, on constate une faiblesse persistante du dinar algérien qui ne cesse de se déprécier à l’égard du franc CFA du fait des difficultés rencontrées par l’économie algérienne. Dans le même temps, on assiste à un effondrement du cours du dinar libyen en raison de la guerre civile qui affecte le pays et de la chute des exportations de pétrole [12]. En 2014, le conflit provoqué à Tripoli par Fajr Libya [13] entraîna une nouvelle chute du dinar libyen. Ce n’est que depuis le printemps 2018, grâce à la reprise des exportations pétrolières, qu’il reprend de la valeur.
Le développement du transit des migrants à destination de l’Europe
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Cette perturbation des flux commerciaux transsahariens a été en partie compensée par une économie migratoire très prospère dans laquelle Agadez fait figure de hub. Cela est lié en partie à la fermeture de la voie marocaine (2006) qui a redirigé les migrants vers la voie libyenne. De son côté, la crise malienne a eu aussi pour effet de réorienter une partie importante des flux transitant par Gao et Kidal vers Agadez. Le transit des migrants y a créé au moins 2 000 emplois directs (propriétaires de véhicules, passeurs, chauffeurs, coxeurs [14], gérants de ghettos [15], restaurateurs, etc.), mais a surtout généré le développement de commerces et de services associés dans toute la région. Le boom des banques et des agences de transferts monétaires en est l’illustration la plus visible, mais il s’agit de secteurs économiques largement improductifs. Au contraire, l’augmentation tendancielle, mais non exponentielle des flux migratoires vers la Libye depuis 2011 a soutenu le secteur des transports, qu’il s’agisse des mototaxis d’Agadez ou de filières d’acheminement des migrants jusqu’à la frontière libyenne. De nombreux détaillants de produits de première nécessité ont également profité de cet afflux de population. Selon un rapport [Hall, 2016], chaque migrant consommait en moyenne 19 000 XOF lors de son passage à Agadez. Plus récemment, l’institut néerlandais des relations internationales Clingendael estimait qu’un habitant sur deux a profité économiquement de ce boom migratoire [Hoffman, Meester et Manou Nabara, 2017] qui a eu un réel impact sur l’emploi : « seuls chôment ceux qui ne veulent pas travailler » expliquait un orpailleur en novembre 2016. L’enrichissement de la population a accru la demande en de nombreux produits manufacturés (électroménager, matériel hi-fi, etc.) acheminés depuis la Libye.
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La loi criminalisant le transport de migrants, adoptée après le sommet de La Valette (2015), marque un coup d’arrêt pour l’économie de ce secteur. Elle a tout d’abord abouti à l’arrestation de près de 300 personnes impliquées dans l’économie de la migration, et a poussé la majorité des 6 565 acteurs identifiés par le projet européen Plan d’actions à impact économique rapide à Agadez (Paiera), mis en œuvre par la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP), à abandonner leurs activités. Pour l’heure, le Niger et les bailleurs de fonds internationaux n’ont pas su offrir d’alternatives économiques crédibles à ces acteurs, si ce n’est ce projet dont la seule phase pilote vient d’être clôturée [Pellerin, 2018]. Elle a, au contraire, poussé une partie d’entre eux dans la clandestinité si bien qu’ils pratiquent désormais des tarifs jusqu’à six fois plus élevés qu’auparavant pour l’acheminement des migrants en Libye. La clandestinité de leurs opérations, depuis la frontière du Nigeria jusqu’à la frontière libyenne, autant que cette profitabilité nouvelle les rapprochent des acteurs du narcotrafic et du trafic d’armes.
Le boom aurifère dans le Sahara nigérien
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Depuis 2014, la région d’Agadez connaît un boom aurifère dont l’impact sur les populations procède peut-être autant des emplois directs dans l’orpaillage, que des opportunités économiques offertes par l’arrivée de plusieurs dizaines de milliers d’acteurs, qui sont autant de consommateurs. En termes d’emplois directs, outre les lieux d’extraction proprement dits, plusieurs sites de transformation du minerai ont été installés (Agadez, Arlit, Tabelot), ainsi qu’un certain nombre de comptoirs destinés à la commercialisation de l’or. Si près de 70 000 personnes ont été recensées sur les sites en 2014 [Grégoire et Gagnol, 2017], les chiffres ont décru en raison de la fermeture du site du Djado pour des raisons de sécurité (novembre 2016, mais appliqué en février 2017). Plusieurs milliers d’orpailleurs se sont alors redirigés vers les sites du massif de l’Aïr, d’autres ont rejoint la Libye et le Tchad tandis que d’autres encore attendent dans le département de Bilma la réouverture promise du site.
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L’afflux massif d’orpailleurs sur les deux principaux sites (Djado, Tchibarakaten), qui se situent à proximité respectivement de la Libye et de l’Algérie, a généré d’importants besoins dans ces zones très enclavées et dépourvues de toute infrastructure et ressource. Une forte demande en produits de première nécessité (eau, vivres, viande, etc.), en logistique (groupes électrogènes, carburants, soins de santé, garages, ateliers de réparation, etc.), mais aussi en divertissements (restaurants, salons de télévision, etc.) a alimenté une économie secondaire prospère et principalement alimentée par le marché libyen [Pellerin, 2017]. Des commerçants arabes et toubou du Fezzan se sont notamment spécialisés dans ces filières, redynamisant le commerce transfrontalier nigéro-libyen. Les besoins d’extraction propres au Djado nécessitaient l’emploi de détecteurs de métaux et d’engins lourds d’excavation. Plusieurs centaines d’entre eux ont ainsi été importées de Libye entre 2014 et 2017. L’acheminement de l’or extrait des sites vers Agadez et Dirkou a également soutenu le marché de véhicules importés de Libye. Ce boom aurifère touche aussi le Tibesti tchadien, la région de Zouerate (Mauritanie), le Sud algérien et désormais la région de Kidal (Mali) où de nombreux notables liés à la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) investissent ce secteur.
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Au Niger, l’orpaillage s’est en partie substitué à la migration de travail en Libye devenue impossible en raison de la guerre civile. Dans le même temps, il a favorisé l’arrivée d’acteurs lourdement armés, en particulier dans le Djado, venus du Tchad, de Libye et du Soudan. Il a également accéléré le trafic d’armes entre la Libye et le Niger, la détention d’armes de type pistolet automatique ou dérivé d’AK47 étant recommandée pour les acteurs de l’orpaillage exposés à un risque accru de braquage sur les axes reliant les sites à Agadez et Dirkou [Grégoire et Gagnol, 2017 ; Pellerin, 2017]. À proximité de chaque site important, des marchés d’armes se sont ainsi discrètement organisés et développés.
L’explosion des flux et des réseaux de criminalité
La reconfiguration des réseaux de narcotrafic
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La succession de crises qu’a connue la bande sahélo-saharienne depuis 2011 a eu pour effet de déséquilibrer profondément les ordres sociopolitiques existants, tout d’abord en Libye, puis au nord du Mali. L’économie grise en croissance continue depuis le milieu des années 2000, comme nous l’avons montré plus haut, était déjà au cœur de ces ordres sociopolitiques qui ont été largement transformés. Les réseaux opérant au sud de la Libye se sont autonomisés d’une tutelle auparavant exercée par le régime de Kadhafi et ses proches installés à Tripoli, tandis que l’État malien, qui a joué un rôle majeur dans la régulation des trafics jusqu’en 2011 [Lacher, 2012], a entièrement perdu le contrôle du nord du Mali au profit des groupes armés touareg (MNLA, Ansar ed-Dine) et islamistes (Aqmi, Mujao). Ces groupes ont donc progressivement pris le contrôle de l’ensemble des hubs du narcotrafic dans le nord du Mali, notamment à In Khalil, Ber et Tabankort.
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Cet affaiblissement de la présence étatique au Sahara a eu pour effet de permettre à de nouveaux acteurs de se lancer dans un secteur auparavant partiellement régulé et contrôlé par ces deux États. On observe donc, depuis 2011, une « démocratisation » des réseaux de narcotrafic [ICG, 2018], singulièrement au Mali avec l’entrée de nouvelles communautés dans cet univers à travers les groupes armés auxquels elles appartiennent. La même donne est observable dans le sud de la Libye, avec le développement notable de trafiquants toubou qui mettent à profit leur puissance militaire acquise depuis la révolution. Dans ces deux territoires, aucun réseau dominant n’est en mesure d’imposer un ordre quelconque. Au contraire, la concurrence accrue à laquelle se livrent ces différents réseaux constitue un facteur certain de conflictualité. Au nord du Mali, ces réseaux sont liés ou appartiennent aux différents groupes armés composant la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) et la Plateforme (alliance de groupes armés maliens progouvernementaux formée pendant la rébellion). Aussi ces conflits ont-ils une résonance politique particulière et nuisent-ils à la mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger [ICG, 2018]. Enfin, cette « démocratisation » est visible partout au Sahara, au Sahel et plus encore en Afrique de l’Ouest avec l’introduction sur le marché des drogues de médicaments détournés de leur usage pharmaceutique, en particulier le Tramadol, le Rivotril et désormais la codéine. Les circuits de revente de ces produits sont bien plus diversifiés et généralisés parmi la population que pour le haschich et la cocaïne, qui demeurent, malgré tout, des filières concentrées entre un nombre très réduit de réseaux et d’individus.
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Le Niger, qui constitue le principal territoire de transit de ce trafic entre le Mali et la Libye, est logiquement et directement impacté par ces évolutions sous-régionales. La diversification des réseaux dans ces deux pays se fait ressentir au Niger où de nouveaux acteurs émergent à partir de 2011, certains revenant de Libye où ils étaient déjà actifs dans le narcotrafic. La mort du trafiquant Cherif Ould Ghabidine (février 2017), après un meeting de campagne du parti au pouvoir, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), constitue un tournant majeur dans l’univers du narcotrafic. Jusqu’à sa mort, ce commerçant arabe membre actif du PNDS était la principale figure du narcotrafic dans la région d’Agadez, et l’étendue de son influence et ses puissants moyens lui permettaient d’éviter que des réseaux concurrents n’émergent [16]. Pour les autorités, cela avait pour vertu de réduire le risque d’apparition de réseaux narcotrafiquants échappant à tout contrôle et pouvant constituer un embryon de rébellion ou de soutien à des groupes d’opposition voire religieux. Sa disparition soudaine inaugure au Niger une ère de plus grande concurrence, marquée par des rivalités fortes entre réseaux dont l’affaire de la saisie de trois tonnes de résine de cannabis à Niamey en juin 2018, d’une valeur de 4,75 millions d’euros, est probablement l’illustration.
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La dernière dynamique structurelle influant sur les modes opératoires des trafiquants au Sahara et au Sahel est la militarisation progressive de son espace. Celle-ci est bien entendu observable au nord du Mali, à travers la Minusma (force de l’ONU) et les opérations françaises Barkhane et Sabre qui traquent les djihadistes, mais aussi au Niger avec la présence des mêmes forces françaises de Niamey, Tillabéry et Madama, des troupes de l’Africom (Commandement américain pour l’Afrique) et des agents de la CIA à Agadez et Dirkou. Le Tchad, qui abrite le quartier général de Barkhane, est tout autant concerné. Ces forces étrangères, qui n’ont pas pour mandat de lutter contre le narcotrafic [17], constituent malgré tout un frein à la circulation des trafiquants, les obligeant à plus de prudence et de discrétion. Le lancement de la Force du G5 Sahel, qui a dans son mandat la lutte contre la criminalité organisée, constitue le dernier échelon de cette militarisation, sans que pour l’instant elle ait eu quelque volonté de lutter contre le narcotrafic.
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Dans ce contexte plus répressif, les trafiquants ont dû parfois se réorganiser : leurs routes ont ainsi été modifiées (2017) sous l’effet du contrôle de la passe de Salvador [18] par les militaires français et les forces armées nigériennes (FAN) et des attaques répétées de convois par des groupes toubou et zaghawa proches du régime tchadien près des frontières libyenne, nigérienne et tchadienne.
Le trafic d’armes
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La crise libyenne a également fortement accentué les trafics d’armes dans la zone, l’arsenal de Kadhafi constituant un marché d’armes à ciel ouvert après sa chute. Les flux plus importants ont été dirigés vers le Mali en 2011 et en 2012 pour alimenter les besoins en armement des groupes armés rebelles et djihadistes. Depuis 2013, les flux d’armes entre la Libye et le Mali demeurent actifs, mais sont de moindre ampleur. En parallèle, d’autres filières d’approvisionnement du nord du Mali existent, depuis la Guinée, le Sahara occidental, le Nigeria, ou la côte atlantique. Toutefois, la majorité des flux de trafic d’armes porte depuis 2013 sur les munitions dont les groupes armés sont souvent à court. Les besoins, qui sont continus pour les trafiquants et les djihadistes, dépendent en revanche des épisodes de conflits pour les groupes appartenant à la CMA et à la Plateforme.
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Depuis 2013, le trafic d’armes au Mali est très majoritairement généré par les armes appartenant à l’armée malienne [Conflict Armament Research, 2016], volées lors de la prise des casernes militaires au nord du Mali en 2012 puis lors des nombreuses attaques perpétrées par les groupes djihadistes contre des unités de l’armée malienne ou bien nigérienne près de la frontière malienne (régions de Tillabéry et de Tahoua). Le constat est le même à propos de Boko Haram dont la principale source d’approvisionnement en armes demeure les forces de défense et de sécurité nigérianes, camerounaises, nigériennes et tchadiennes. Plusieurs attaques menées depuis 2015 à Bosso, ou récemment à Toumour, ont donné lieu à d’importantes prises d’armes et de munitions par la secte.
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Toutes les communautés nomades sont impliquées dans ce trafic depuis le sud de la Libye. Les Toubou, de par l’importance de leur arsenal, sont très actifs sur ce marché qui porte aussi sur des missiles de défense aérienne SAM 7. Bon nombre de ces armes issues des stocks du colonel Kadhafi et qui circulent toujours en Libye font l’objet d’un marché spécifique dans lequel les acheteurs sont des États occidentaux qui rachètent cet armement susceptible de finir entre les mains des djihadistes. Dans l’une des rares opérations menées par Barkhane au Niger contre un convoi djihadiste ayant quitté Oubari (Libye) pour rejoindre Kidal (octobre 2014), ledit convoi transportait des SAM 7. Les Touareg et les Arabes contrôlent l’essentiel du trafic d’armes pour les groupes armés conventionnels. Quant aux djihadistes, ils disposent généralement de leur propre réseau de trafiquants.
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Ces trafics d’armes demeurent une activité spécialisée, bien moins démocratisée que les trafics de drogue et plus discrète encore. Ils donnent également lieu à du blanchiment d’argent.
Conclusion
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Le Sahara est redevenu un espace de transit pour toutes sortes de marchandises acheminées clandestinement d’un pays à l’autre. Il est désormais aussi un espace largement incontrôlé que se partagent djihadistes, trafiquants, contrebandiers, passeurs de migrants et orpailleurs se rendant d’un site à un autre avec l’espoir de faire fortune. Dans ce contexte, les États sont soit absents ou trop faibles (du fait de l’étendue des frontières), soit complices de cette informalité.
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La corruption, présente au plus haut niveau des États comme à celui des agents de terrain, constitue un ingrédient essentiel à la circulation des flux d’échanges dans quasiment tout le Sahara [19]. Dans le cadre de gros trafics comme autrefois celui des cigarettes et aujourd’hui de la drogue, des « mafias d’État » constituées de personnes venues du monde des affaires, de la haute administration, et de personnalités politiques de premier plan [Julien, 2011], sont directement impliquées et leur assurent protection, tirant ainsi de substantiels bénéfices. Pour ce qui est des autres flux transfrontaliers, ce sont les agents locaux des douanes, les gendarmes et les policiers qui en retirent des prébendes si bien qu’une affectation, par exemple, dans la région d’Agadez au Niger est devenue très lucrative alors qu’autrefois elle était peu rentable comparée à une affectation à la frontière du Nigeria.
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Ces commerces parallèles permettent aux populations de s’approvisionner dans de meilleures conditions que si les vivres et les biens provenaient des Suds malien et nigérien. En cela, ils ont un impact positif sur le produit intérieur brut (PIB) des régions frontalières, car ils accroissent le pouvoir d’achat de leurs habitants et leur offrent des opportunités d’emplois (négoce et transport). Cette économie informelle pallie les défaillances des États malien et nigérien incapables de promouvoir le développement de leurs régions septentrionales et de les doter de services administratifs et sociaux efficaces. Par ailleurs, ces acteurs, tant au Mali qu’au Niger, ne vivent pas en marge des États. Ils sont connectés aux appareils politiques de ces États, parfois à très haut niveau, et réinvestissent une partie de leurs bénéfices dans l’économie formelle, après diverses formes de blanchiment dont certaines relèvent du troc (drogue contre véhicules neufs). Les secteurs de blanchiment sont sensiblement les mêmes que ceux observés en Amérique latine par exemple : immobilier, transport logistique et de voyageurs, stations-service, boulangerie, etc. Reste que le blanchiment s’opère surtout dans les pays de la sous-région, comme le Maroc, l’Algérie ou la Côte d’Ivoire, voire au-delà avec la Turquie ou Dubaï, reflétant la dimension régionale et même internationale de cette nouvelle économie.
Notes
[1]
Bandes armées arabes ou touareg qui pillaient des caravanes ou des campements dans le Sahara.
[2]
Pour relancer l’économie, la France organisa (1930) à Tamanrasset une foire ouverte aux ressortissants des pays d’Afrique occidentale française (AOF), son objectif étant d’offrir de nouveaux débouchés aux commerçants algériens touchés par la récession et la fermeture des marchés européens consécutive à la crise de 1929.
[3]
L’OCRS devait permettre à la France de conserver le Sahara dans son giron en raison de ses richesses minières et pétrolières, l’indépendance de l’Algérie et des pays de l’AOF et de l’AEF se profilant.
[4]
En juillet 1971, la Commission mixte algéro-nigérienne fut créée et une coopération bilatérale débuta, mais ces initiatives concernèrent peu les échanges, celles-ci privilégiant l’éducation et la formation.
[5]
L’Algérie fixa la liste des marchandises admises dans le cadre du troc en suspension des droits (1994) et des taxes et les espaces concernés (wilayas d’Adrar, de Tamanrasset et d’Illizi).
[6]
Des négociants réactivèrent la voie algérienne, les camions passant par Tamanrasset, Djanet pour regagner Ghât. Ces flux étaient marginaux, car le trajet était périlleux en raison de la difficulté du parcours, et coûteux.
[7]
Avec l’essor de la fraude, les grands axes dotés de postes de douane ont été doublés de pistes parallèles qui permettent de franchir les frontières en toute impunité.
[8]
De résiduelle après les rébellions, l’insécurité devint structurelle avec l’arrivée de groupes islamistes dans le nord du Mali, au début des années 2000.
[9]
Les exportations nigériennes de bétail diminuèrent considérablement avec la dévaluation du dinar et la baisse du pouvoir d’achat des Libyens.
[10]
XOF est le code ISO 4217 désignant le franc CFA de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
[11]
Tissu à base de coton teinté artisanalement, d’où sa brillance ; il sert de tenue de cérémonie dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest.
[12]
En novembre 2017, 5 000 francs CFA s’échangeaient contre 95 dinars libyens alors que la même somme s’échange, un an plus tard, contre 45 dinars (12,3 avant la crise de 2011).
[13]
Ce qui signifie « Aube de la Libye », coalition formée des groupes islamistes qui prirent le contrôle de la capitale après les élections.
[14]
Les coxeurs sont des intermédiaires qui « rabattent » des voyageurs vers des taxis de brousse ou des autocars dans les gares routières africaines.
[15]
Les ghettos sont des habitations très peu confortables où logent les migrants qui sont en transit à Agadez.
[16]
Ce trafiquant notoire approvisionnait... la base militaire française de Madama : il opérait donc à la fois dans l’économie formelle et mafieuse.
[17]
Même si la révision du mandat de la Minusma (juin 2018) prévoit une plus grande implication de la mission onusienne en la matière.
[18]
La passe dite de Salvador (parce qu’il existe au bas de la falaise trois Salvadora persica) permet l’accès au plateau du Djado et par là à la Libye. Elle se trouve donc sur la route des trafiquants qui venaient du Mali en longeant la frontière algéro-nigérienne via la plaine du Tafassasset.
[19]
Si la corruption joue un rôle important aux postes de douane et de police situés le long des frontières nigériennes, il n’en est plus de même pour les frontières du nord du Mali (Mauritanie, Algérie) en raison de l’absence de l’État et par là de ses agents. Leur redéploiement progressif, depuis 2015, va toutefois à nouveau poser la question de leur contrôle.