Olivier Dubois, qui travaille notamment pour « Libération » et « Le Point Afrique », aurait été enlevé le 8 avril à Gao, au Mali. Les dernières zones encore accessibles aux Occidentaux ne cessent de se rétrécir au Sahel, dont l’essentiel est « largement déconseillé » par les chancelleries européennes.
« Plus qu’un confrère, c’est un ami pour nous. Et cela aurait pu nous arriver à nous aussi, car les risques sont de plus en plus importants sur le terrain », explique Nicolas Réméné, un photojournaliste français installé depuis une dizaine d’années au Mali. Les rumeurs de l’enlèvement du journaliste Olivier Dubois, qui circulaient depuis plusieurs semaines déjà à Bamako, ont été confirmées dans la nuit du mardi 4 au mercredi 5 mai. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le Français, qui travaille notamment pour Le Point Afrique et Libération, affirme avoir été enlevé le 8 avril, à Gao, dans le nord du Mali, par le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), une branche locale d’Al-Qaida.
Une semaine après l’assassinat de deux journalistes espagnols, tués le 26 avril par des « terroristes » dans l’est du Burkina Faso, le coup est « extrêmement dur » pour la profession, souligne Arnaud Froger, le responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières (RSF). Au Sahel, où les violences ont tué plus de 2 400 civils en 2020, soit sept fois plus qu’en 2017, selon l’ONG Acled, « les groupes armés continuent à avancer, mais le journalisme et l’information reculent », regrette M. Froger.
Une interview jugée « trop risquée »
Enlèvements, assassinats ciblés, routes minées… Les risques sont bien connus des correspondants, pour la plupart free-lance, travaillant dans la région comme Olivier Dubois, 46 ans, installé depuis six ans au Mali. « Il a un très bon réseau, avec de nombreux contacts dans le nord du Mali et au sein des groupes armés, avec lesquels il échangeait souvent pour avoir des informations », rapporte Boubacar Sidiki Haidara, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Journal du Mali, au sein duquel le Français a travaillé.
Selon les informations de Libération, Olivier Dubois devait s’entretenir avec un cadre du GSIM à Gao. « Il a sûrement été pris au piège », présument certains à Bamako. Dans un article, le quotidien rapporte avoir refusé fin mars cette proposition d’interview jugée « trop risquée ».
Le traumatisme de l’assassinat des deux journalistes français de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, à Kidal, dans le nord du Mali, le 2 novembre 2013, continue de hanter les rédactions, de plus en plus réticentes à envoyer leurs reporters en zone « rouge ».
Partir en reportage est désormais devenu un « difficile jeu d’équilibre entre prise de risques et intérêt éditorial », résume une journaliste pigiste française, qui a préféré quitter le pays à cause des problèmes sécuritaires. « Certains médias sont frileux, alors il m’est arrivé de partir sans commandes pour couvrir un sujet que j’estimais important et de le revendre ensuite sans qu’on m’interroge sur les conditions dans lesquelles il a été réalisé », ajoute-t-elle.
Extension des « zones rouges »
Les dernières zones encore accessibles aux Occidentaux ne cessent de se rétrécir dans la région. Après l’assassinat de six humanitaires français à Kouré, le 9 août 2020, le ministère des affaires étrangères français a décidé de reclasser l’ensemble du territoire nigérien, à l’exception de la capitale, Niamey, en rouge, soit « formellement déconseillé » à ses ressortissants. Au Mali, la zone orange ne comprend plus qu’une bande, incluant Bamako et une partie du Sud, tandis qu’au Burkina Faso voisin elle s’est réduite à un maigre îlot au centre du pays, désormais pris en étau par les groupes armés.
Une classification souvent contestée par les populations locales mais « nécessaire » face à l’ampleur de la menace, insiste un diplomate. « On est bien obligés d’aller dans certaines zones rouges si on veut continuer à travailler, rétorque un photographe occidental indépendant au Mali, qui souhaite garder l’anonymat. Même s’il est de plus en plus difficile de sortir de la capitale, ça devient pesant. »
Face à l’aggravation des risques, certains s’en remettent aux reportages « embedded », embarqués avec les forces de sécurité, pour pouvoir se déplacer. Sauf qu’avec la multiplication des exactions imputées à certaines armées locales contre les populations, une escorte militaire peut vite devenir encombrante. « La parole est moins libre et l’information forcément biaisée quand on part avec certaines organisations, puisqu’on ne nous conduit que là où il y a un intérêt à nous emmener », pointe l’ancienne pigiste au Mali.
Au Burkina Faso, où il reste très difficile d’obtenir une mission avec l’armée, régulièrement prise pour cible par les groupes terroristes, les autorités ont même décidé depuis quelques mois de ne plus autoriser aux journalistes l’accès aux sites d’accueil de déplacés, invoquant « des raisons de sécurité et de protection de la dignité », ont confirmé deux sources gouvernementales.
« La peur au ventre »
Pour les journalistes nationaux aussi, les portions du territoire qui échappent au contrôle de l’Etat sont devenues trop dangereuses. La plupart privilégient désormais le téléphone. Mais, à distance, il est plus compliqué de « vérifier certaines informations et de rapporter les faits », regrette Bandiougou Danté, le président de la Maison de la presse au Mali, pays où trois journalistes maliens sont toujours détenus depuis 2015. Au Burkina, certains préfèrent même s’autocensurer et s’aligner sur les récits officiels, depuis l’adoption d’une loi en 2019 qui pénalise la diffusion de publications relatives aux opérations militaires ou à un acte terroriste « sans autorisation ».
Dans l’est du pays, où les deux journalistes espagnols ont été tués, certaines zones sont « coupées du monde ». « Les djihadistes ont confisqué les téléphones et saboté des antennes, on ne sait plus du tout ce qu’il se passe dans certains villages », pointe Marcel Ouaba, un reporter burkinabé, qui dit travailler « la peur au ventre » quand il doit se déplacer dans la région.