« Depuis des décennies, l’idée de démanteler l’Union soviétique et la Russie est constamment cultivée dans les pays occidentaux. Malheureusement, à un moment donné, l’idée d’utiliser l’Ukraine pour atteindre cet objectif a été conçue. En fait, c’est pour empêcher un tel développement que nous avons lancé l’opération militaire spéciale (OMS). C’est précisément ce que certains pays occidentaux – sous la houlette des États-Unis – cherchent à faire : créer une enclave anti-russe et nous menacer de ce côté. Empêcher que cela ne se produise est notre objectif premier. » (Vladimir Poutine)
Voici votre quiz géopolitique du jour : Que voulait dire Angela Merkel lorsqu’elle a déclaré que « la guerre froide ne s’est jamais vraiment terminée, car en fin de compte la Russie n’a jamais été pacifiée » ?
- Merkel faisait référence au fait que la Russie n’a jamais accepté son rôle subordonné dans « l’Ordre fondé sur des règles ».
- Merkel faisait référence au fait que l’effondrement économique de la Russie n’a pas produit « l’État docile » que les élites occidentales espéraient.
- Merkel suggère que la guerre froide n’a jamais vraiment été une lutte entre la démocratie et le communisme, mais un effort de 45 ans pour « pacifier » la Russie.
- Ce que Merkel veut dire, c’est que les États occidentaux – en particulier les États-Unis – ne veulent pas d’une Russie forte, prospère et indépendante, mais d’un laquais servile qui fait ce qu’on lui dit.
- Toutes ces réponses.
Si vous avez choisi (5), félicitez-vous. C’est la bonne réponse.
La semaine dernière, Angela Merkel a confirmé ce que de nombreux analystes disent depuis des années, à savoir que les relations hostiles de Washington avec la Russie – qui remontent à plus d’un siècle – n’ont rien à voir avec l’idéologie, le « mauvais comportement » ou une prétendue « agression non provoquée ». Le principal délit de la Russie est qu’elle occupe une région stratégique du monde qui contient de vastes ressources naturelles et qui est essentielle au plan de Washington de « pivot vers l’Asie ». Le véritable crime de la Russie est que sa simple existence constitue une menace pour le projet mondialiste visant à étendre les bases militaires américaines en Asie centrale, à encercler la Chine et à devenir l’hégémon régional dans la région la plus prospère et la plus peuplée du monde.
L’attention s’est tellement focalisée sur les propos de Merkel concernant le traité de Minsk, que ses remarques plus alarmantes ont été entièrement ignorées. Voici un court extrait d’une interview récente de Merkel :
« Les accords de Minsk de 2014 étaient une tentative de donner du temps à l’Ukraine. L’Ukraine a utilisé cette période pour devenir plus forte, comme on le voit aujourd’hui. Le pays de 2014/15 n’est pas le pays d’aujourd’hui. (…)
Nous savions tous que c’était un conflit gelé, que le problème n’était pas résolu, mais c’est précisément ce qui a donné à l’Ukraine un temps précieux »1.
Merkel admet candidement qu’elle a participé à une fraude qui a duré sept ans et qui visait à tromper les dirigeants russes en leur faisant croire qu’elle souhaitait sincèrement la paix, mais cela s’est avéré ne pas être le cas. En vérité, les puissances occidentales ont délibérément saboté le traité afin de gagner du temps pour armer et entraîner une armée ukrainienne qui serait utilisée dans une guerre contre la Russie.
Mais ceci est une vieille histoire. Ce que nous trouvons plus intéressant, c’est ce que Merkel a dit après ses commentaires sur Minsk. Voici la citation :
« Je veux vous parler d’un aspect qui me fait réfléchir. C’est le fait que la guerre froide n’a jamais vraiment pris fin, parce qu’en fin de compte, la Russie n’a jamais été pacifiée. Lorsque Poutine a envahi la Crimée en 2014, il a été exclu du G8. En outre, l’OTAN a déployé des troupes dans la région de la Baltique, pour montrer qu’elle était prête à intervenir. Et nous aussi, nous avons décidé d’allouer 2% du PIB aux dépenses militaires pour la défense. La CDU et la CSU sont les seuls à l’avoir maintenu dans le programme gouvernemental. Mais nous aussi, nous aurions dû réagir plus rapidement à l’agressivité de la Russie »[1].
C’est un aveu étonnant. Ce que Merkel dit, c’est que « la guerre froide n’a jamais pris fin » parce que l’objectif principal d’affaiblir (« pacifier ») la Russie – au point qu’elle ne puisse pas défendre ses propres intérêts vitaux ou projeter sa puissance au-delà de ses frontières – n’a pas été atteint. Merkel laisse entendre que l’objectif principal de la guerre froide n’était pas de vaincre le communisme (comme on nous l’a dit) mais de créer une colonie russe docile qui permettrait au projet mondialiste d’avancer sans entrave. Comme nous pouvons le voir en Ukraine, cet objectif n’a pas été atteint ; et la raison pour laquelle il n’a pas été atteint est que la Russie est suffisamment puissante pour bloquer l’expansion de l’OTAN vers l’est. En bref, la Russie est devenue le plus grand et le seul obstacle à la stratégie mondialiste de domination du monde.
Il est intéressant de noter que Merkel ne mentionne jamais « l’agression non provoquée » de la Russie en Ukraine comme étant le principal problème. En fait, elle ne tente pas de défendre cette affirmation fallacieuse. Le véritable problème, selon Merkel, est que la Russie n’a pas été « pacifiée ». Réfléchissez-y. Cela suggère que la justification de la guerre est différente de celle qui est présentée par les médias. Ce que cela implique, c’est que le conflit est motivé par des objectifs géopolitiques qui ont été dissimulés derrière l’écran de fumée de « l’invasion ». Les commentaires de Merkel clarifient la situation à cet égard, en identifiant le véritable objectif : la pacification.
Dans une minute, nous montrerons que la guerre a été déclenchée par des « objectifs géopolitiques » et non par une prétendue « agression » de la Russie, mais nous devons d’abord passer en revue les idées qui alimentent le désir de guerre. Le principal corps de principes sur lequel repose la politique étrangère américaine est la doctrine Wolfowitz, dont la première version a été présentée dans le Defense Planning Guidance en 1992. En voici un court extrait :
« Notre premier objectif est d’empêcher la réémergence d’un nouveau rival, sur le territoire de l’ancienne Union soviétique ou ailleurs, qui représente une menace de l’ordre de celle que représentait autrefois l’Union soviétique. Il s’agit d’une considération dominante qui sous-tend la nouvelle stratégie de défense régionale et qui exige que nous nous efforcions d’empêcher toute puissance hostile de dominer une région dont les ressources seraient, sous un contrôle consolidé, suffisantes pour générer une puissance mondiale ».
C’est écrit noir sur blanc : La priorité absolue de la politique étrangère américaine « est d’empêcher la réémergence d’un nouveau rival, sur le territoire de l’ancienne Union soviétique ou ailleurs, qui représente une menace de l’ordre de celle que représentait autrefois l’Union soviétique ». Cela montre l’importance que Washington et ses alliés accordent au territoire occupé par la Fédération de Russie. Cela montre également la détermination des dirigeants occidentaux à empêcher tout État souverain de contrôler la zone dont les États-Unis ont besoin pour mettre en œuvre leur grande stratégie.
Il n’est pas nécessaire d’être un génie pour comprendre que la transformation de la Russie en un État fort et indépendant l’a non seulement placée dans la ligne de mire de Washington, mais a aussi considérablement augmenté les chances d’une confrontation directe. En d’autres termes, le retour de la Russie dans les rangs des grandes puissances l’a placée sur la « liste des ennemis » de Washington et en fait une cible logique pour l’agression américaine.
Alors, quel est le rapport avec Merkel ?
Le fait que la dissolution de l’État communiste et l’effondrement de l’économie russe n’ont pas suffi à « pacifier » la Russie est implicite dans les commentaires de Merkel. En fait, elle se prononce en faveur de mesures plus extrêmes. Et elle sait quelles seront ces mesures : un changement de régime suivi d’un violent éclatement du pays.
Poutine est bien conscient de ce plan machiavélique et en a discuté ouvertement à de nombreuses reprises. Voici un extrait d’une réunion dirigée par Poutine il y a quelques semaines :
« L’objectif de nos ennemis est d’affaiblir et de briser notre pays. C’est le cas depuis des siècles. Ils pensent que notre pays est trop grand et représente une menace (pour eux), c’est pourquoi il doit être affaibli et divisé. Pour notre part, nous avons toujours suivi une approche différente ; nous avons toujours voulu faire partie du monde dit « civilisé (occidental) ». Et après l’effondrement de l’Union soviétique, nous pensions que nous ferions enfin partie de ce « monde ». Mais, il s’est avéré que nous n’étions pas les bienvenus malgré tous nos efforts. Nos tentatives pour faire partie de ce monde ont été rejetées. Au lieu de cela, ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient – notamment en aidant les terroristes dans le Caucase – pour achever la Russie et briser la Fédération de Russie. » (Vladimir Poutine)
Ce que nous voulons dire, c’est que les vues de Merkel s’alignent parfaitement sur celles des néoconservateurs. Elles s’alignent également sur celles de l’ensemble de l’establishment politique occidental qui a unanimement apporté son soutien à une confrontation avec la Russie. En outre, la stratégie de sécurité nationale, la stratégie de défense nationale et le dernier rapport du Congressional Research Service ont tous déplacé leur attention de la guerre contre le terrorisme international vers une « compétition entre grandes puissances » avec la Russie et la Chine. Comme on pouvait s’y attendre, ces documents n’ont pas grand-chose à voir avec la « concurrence » ; ils fournissent plutôt une justification idéologique aux hostilités avec la Russie. En d’autres termes, les États-Unis ont préparé le terrain pour une confrontation directe avec la plus grande superpuissance nucléaire du monde.
Regardez ce bref extrait du rapport du Congressional Research Service intitulé » Renouvellement de la concurrence entre grandes puissances : Implications pour la défense – Questions pour le Congrès » :
« L’objectif des États-Unis d’empêcher l’émergence d’hégémons régionaux en Eurasie… est un choix politique qui reflète deux jugements : (1) qu’étant donné la quantité de personnes, de ressources et d’activité économique en Eurasie, un hégémon régional en Eurasie représenterait une concentration de pouvoir suffisamment importante pour pouvoir menacer les intérêts vitaux des États-Unis ; et (2) que l’Eurasie ne s’autorégule pas de manière fiable en termes de prévention de l’émergence d’hégémons régionaux, ce qui signifie que l’on ne peut pas compter sur les pays d’Eurasie pour empêcher, par leurs propres actions, l’émergence d’hégémons régionaux, et qu’ils peuvent avoir besoin de l’aide d’un ou de plusieurs pays extérieurs à l’Eurasie pour pouvoir le faire de manière fiable ». (…)
Du point de vue des États-Unis en matière de grande stratégie et de géopolitique, on peut noter que la plupart des personnes, des ressources et des activités économiques du monde se trouvent non pas dans l’hémisphère occidental, mais dans l’autre hémisphère, en particulier en Eurasie. En réponse à cette caractéristique fondamentale de la géographie mondiale, les décideurs américains ont choisi, au cours des dernières décennies, de poursuivre, en tant qu’élément clé de la stratégie nationale américaine, l’objectif d’empêcher l’émergence d’hégémonies régionales en Eurasie. Bien que les décideurs américains ne déclarent pas souvent explicitement en public l’objectif d’empêcher l’émergence d’hégémonies régionales en Eurasie, les opérations militaires américaines de ces dernières décennies – qu’il s’agisse d’opérations de guerre ou d’opérations quotidiennes – semblent avoir été menées en grande partie à l’appui de cet objectif »2.
Cela ressemble beaucoup à la Doctrine Wolfowitz, n’est-ce pas ? (Ce qui suggère que le Congrès est passé dans le camp des néocons).
Il y a quelques éléments qui méritent d’être pris en considération dans ce court extrait :
- Que « l’objectif des États-Unis d’empêcher l’émergence d’hégémons régionaux en Eurasie » n’a rien à voir avec la défense nationale. Il s’agit d’une déclaration de guerre directe à toute nation qui utilise avec succès le marché libre pour développer son économie. Il est particulièrement troublant que la Chine figure sur la liste des cibles de Washington alors que l’externalisation et la délocalisation des entreprises américaines ont largement contribué au succès de la Chine. Les industries américaines ont délocalisé leurs activités en Chine pour éviter de payer un salaire supérieur à celui d’un esclave. Faut-il blâmer la Chine pour cela ?
- Le fait que l’Eurasie compte plus de « personnes, de ressources et d’activités économiques » que les États-Unis ne constituent pas une « menace » pour la sécurité nationale américaine. Elle représente seulement une menace pour les ambitions des élites occidentales qui veulent utiliser l’armée américaine pour poursuivre leur propre agenda géopolitique.
- Enfin : Remarquez comment l’auteur reconnaît que le gouvernement trompe délibérément le public sur ses véritables objectifs en Asie centrale. Il dit : « Les décideurs américains ne déclarent pas souvent explicitement en public l’objectif d’empêcher l’émergence d’hégémonies régionales en Eurasie, les opérations militaires américaines des dernières décennies – tant les opérations de guerre que les opérations quotidiennes – semblent avoir été menées en grande partie pour soutenir cet objectif ». En d’autres termes, tout le baratin sur « la liberté et la démocratie » n’est que du blabla pour les masses. Les véritables objectifs sont « les ressources, l’activité économique » et le pouvoir.
La stratégie de sécurité nationale et la stratégie de défense nationale sont tout aussi explicites dans l’identification de la Russie comme un ennemi de facto des États-Unis. Voici un extrait de la Stratégie de sécurité nationale :
« La Russie constitue une menace immédiate et persistante pour l’ordre de sécurité régional en Europe et elle est une source de perturbation et d’instabilité au niveau mondial. (…)
La Russie constitue désormais une menace immédiate et persistante pour la paix et la stabilité internationales. (…)
La Russie constitue une menace immédiate pour le système international libre et ouvert, bafouant de manière irresponsable les lois fondamentales de l’ordre international… Cette décennie sera décisive pour définir les conditions de la gestion de la menace aiguë que représente la Russie… »3.
Enfin, la Stratégie de Défense nationale 2022 reprend les mêmes thèmes que les autres : la Russie et la Chine constituent une menace sans précédent pour « l’ordre fondé sur des règles ». Voici un court résumé d’un article du World Socialist Web Site :
« La stratégie de défense nationale 2022… indique clairement que les États-Unis (…) considèrent la soumission de la Russie comme un tremplin essentiel vers le conflit avec la Chine. (…) L’éruption de l’impérialisme américain (…) vise de plus en plus directement la Russie et la Chine, que les États-Unis considèrent comme les principaux obstacles à la domination sans entrave du monde. Les stratèges américains ont longtemps considéré la domination de la masse continentale eurasienne, avec ses vastes ressources naturelles, comme la clé de la domination mondiale »4.
Ces trois documents stratégiques montrent que le BrainTrust de Washington préparait les fondements idéologiques d’une guerre avec la Russie bien avant que le premier coup de feu ne soit tiré en Ukraine. Cette guerre est désormais en cours, même si son issue est loin d’être certaine.
La stratégie à suivre semble être une version du plan Cheney, qui recommandait l’éclatement de la Russie elle-même, « afin qu’elle ne puisse plus jamais constituer une menace pour le reste du monde ». Voici la suite d’un article de Ben Norton :
« L’ancien vice-président américain Dick Cheney, l’un des principaux architectes de la guerre d’Irak, ne voulait pas seulement démanteler l’Union soviétique ; il voulait également briser la Russie elle-même, afin de l’empêcher de redevenir une puissance politique importante… Le fait qu’une personnalité à la tête du gouvernement américain ait cherché, pas si secrètement, à dissoudre définitivement la Russie en tant que pays, et l’ait fait savoir sans détour à des collègues comme Robert Gates, explique en partie l’attitude agressive adoptée par Washington à l’égard de la Fédération de Russie depuis le renversement de l’URSS.
La réalité est que l’empire américain ne permettra tout simplement jamais à la Russie de remettre en question sa domination unilatérale de l’Eurasie, malgré le fait que le gouvernement de Moscou ait restauré le capitalisme. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que Washington ait totalement ignoré les préoccupations de la Russie en matière de sécurité, rompant sa promesse de ne pas étendre l’OTAN « d’un pouce vers l’est » après la réunification allemande, entourant Moscou d’adversaires militarisés qui s’acharnent à la déstabiliser »5.
Le démembrement de la Russie en plusieurs petits États a longtemps été le rêve des néoconservateurs. La différence aujourd’hui, c’est que ce même rêve est partagé par les dirigeants politiques de l’Occident. Les récents commentaires d’Angela Merkel soulignent le fait que les dirigeants occidentaux sont désormais déterminés à atteindre les objectifs non réalisés de la guerre froide. Ils ont l’intention d’utiliser la confrontation militaire pour obtenir le résultat politique qu’ils recherchent, à savoir une Russie considérablement affaiblie, incapable de bloquer la projection de puissance de Washington en Asie centrale. Il serait difficile d’imaginer une stratégie plus dangereuse.