Le débat sur le concept de « Maghreb » a récemment ressurgi à l’occasion de la parution d’un ouvrage développant l’hypothèse d’une éventuelle origine coloniale. Une question complexe.
Un article paru le 9 décembre sur le site Orient XXI reprend le dernier ouvrage de l’anthropologue Abdelmajid Hannoum, qui interroge la notion de « Maghreb » pour savoir si elle est le fruit d’une invention coloniale française. La thèse est la suivante : par la conjonction de trois aspects, – représentation cartographique, archéologie, et mélange « langue, race, territoire »- le discours colonial ne se serait pas pas contenté de « bouleverser les identités et les traditions », il en aurait « créé de toutes pièces, sous les apparences du local mais sans l’avoir jamais été ».
Le terme « Maghreb » serait ainsi l’une de ces inventions, dont « la résonance “étrangère” cache son invention coloniale ». Cette interrogation permet d’en soulever une autre, plus large : quelle est l’origine à la fois historique, géographique, et sémantique, de la notion de « Maghreb » ?
Une réalité géographique
Dans son acception courante, le « Maghreb » renvoie avant tout à une réalité géographique. Sa traduction signifie « le couchant », et désigne les pays du soleil couchant, situés à l’Ouest et jadis berbères, en opposition au Machrek (« le Levant »), aussi appelé l’Orient arabe.
À l’origine, c’est le célèbre historien, sociologue et géographe Ibn Khaldoun (1332-1406), qui a utilisé l’expression « Djaziret el-Maghreb », (« l’île du Couchant » en français), pour désigner la région entourée par la mer Méditerranée au nord et le désert du Sahara au sud.
Selon l’historien spécialiste du Maghreb et des mondes arabo-berbères Pierre Vermeren, le nom de « Maghreb » est choisi par les nationalistes et identitaires arabes localisés au Caire, et rejeté par les berbères, qui à l’heure actuelle lui préfèrent encore celui de « Berbérie ».
Aujourd’hui, le Maghreb évoque le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, qui recouvrent une superficie de trois millions de kilomètres carrés. Si on ajoute à ce trio la Mauritanie et la Libye, il s’agit alors du « Grand Maghreb ».
D’ailleurs, l’appellation historique du Maroc est directement issue de sa localisation. En effet, Al Maghreb Al Aqsa veut dire en arabe « le couchant lointain », où « l’Occident extrême ».
Un marqueur identitaire fort
Avant la colonisation, c’était la formule de « Barbarie » qui était employée en Europe, laquelle prenait cependant la peine de distinguer les différents royaumes. Les berbères, eux, se réfèrent au terme de « Tamazgha », qui se traduit par « Berbérie ».
À partir de 1830 et des conquêtes françaises, les Européens parlent d’Afrique du Nord ou d’Afrique française, en opérant toujours une distinction entre les différents territoires qui la composent. Ce n’est qu’à la suite de l’indépendance de l’Algérie en 1962, dans la foulée de celles du Maroc et de la Tunisie, que les trois pays commencent à être perçus comme un ensemble.
La formule Maghreb sera donc aussi l’expression d’une solidarité entre les peuples concernés par l’indépendance, principalement le Maroc, l’Algérie, et la Tunisie
« On peut tout aussi bien dire que le Maghreb est une notion liée à la décolonisation, dans la mesure où la solidarité maghrébine s’est faite contre la volonté de la puissance coloniale pendant la guerre d’Algérie, par exemple. La France craignait notamment le soutien apporté par le Maroc au FLN », explique Adlene Mohammedi, chercheur en géopolitique et spécialiste du monde arabe
Le 5 juin 1948, les partis nationalistes nord-africains se réunissent au Caire et fondent le « Comité de libération du Maghreb arabe », dont le dirigeant sera le Tunisien Habib Bourguiba.
La formule Maghreb sera donc aussi l’expression d’une solidarité entre les peuples concernés par l’indépendance, principalement le Maroc, l’Algérie, et la Tunisie. Elle sera institutionnalisée lors de la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA) en 1989, qui comprend les cinq pays du « grand Maghreb ».
Dans les récits français communément répandus, les « Maghrébins » désignent davantage les populations issues de l’immigration nord-africaine
Évolutions sémantiques
Dans l’imaginaire collectif contemporain, l’appellation est devenue sujet à interprétation, et elle est connotée différemment selon le lieu et le contexte dans lesquels elle est employée. L’une de ses déclinaisons principales est celle de « Maghrébin ». « Dans les récits français communément répandus, les « Maghrébins » désignent davantage les populations issues de l’immigration nord-africaine, plutôt que les habitants de ces pays », observe Adlene Mohammedi.
Pour Sarah Boisson, doctorante au CNRS et rattachée à l’Unité de recherche migrations et société de l’Université Côte d’Azur, les mots « s’inscrivent dans des histoires complexes, peuplées de « branchements » culturels qui viennent en fournir la substance et il serait impossible de considérer [le terme Maghreb] comme purement colonial ». Et de conclure : « Car même si la colonisation a effectivement eu une influence sémantique sur l’usage de ce mot, cette catégorie fut de fait mobilisée à différentes époques pour unifier ces territoires et leurs habitants, avant même la vague coloniale française ».