Dans Dix Petits Mensonges et leurs Grandes Conséquences (Editions l’Artilleur, 2021), Yves Mamou s’attaque à l’antisionisme. L’ancien journaliste du Monde postule qu’une série de mensonges déforme la perception de l’État d’Israël en Europe. Il a recensé dix de ces mensonges et démontre qu’ils ont un effet dévastateur qui va bien au-delà de la mauvaise perception que nous avons de l’État hébreu : les Français et les Européens sont désarmés face au djihad.
Causeur. Quel regard portez-vous sur les récentes attaques du Hamas et sur la riposte d’Israël ?
Yves Mamou. C’est un cas d’école. J’explique dans Dix Petits Mensonges que la « cause palestinienne » dont on se gargarise en Europe a cessé d’être une cause arabe et même palestinienne. Le Hamas, le Jihad Islamique palestinien et le Hezbollah sont des milices mercenaires conseillées et armées par l’Iran. Toute la puissance de feu palestinienne vient de l’Iran et s’exerce à son bénéfice. La fonction de ces milices palestiniennes ou propalestiniennes consiste à chauffer à blanc les opinions publiques arabes contre les « sionistes ». Pour les Ayatollahs, il s’agit d’empêcher les dirigeants arabes (les Émirats, Bahreïn, l’Arabie Saoudite…) d’organiser un front commun avec Israël… contre l’Iran précisément. Vue d’Europe, l’attaque du Hamas contre Israël a la même fonction : elle chauffe à blanc l’opinion publique immigrée musulmane – et il y une opinion publique musulmane en France, en Allemagne ou en Angleterre – et empêche les gouvernements européens de manifester leur solidarité avec Israël. J’en veux pour preuve que les pays d’Europe qui refusent l’immigration musulmane sont les seuls à avoir pleinement manifesté leur solidarité à Israël.
Comment interprétez-vous le cessez-le-feu, et qui voyez-vous en vainqueur de cette confrontation ?
Sur le plan militaire, le vainqueur est Israël. Les tunnels du Hamas sont hors d’usage, l’appareil de production de missiles en a pris un coup et nombre de miliciens islamistes ont péri dans les tunnels où ils s’étaient réfugiés. Il faudra plusieurs années au Hamas pour reconstituer sa puissance de feu. Tout ceci a été obtenu sans rentrer dans Gaza.
Sur le plan politique, le bilan est plus mitigé. Israël a été mis à l’arrêt pendant onze jours et les Israéliens ont dû dormir et travailler dans les abris. Mais le plus grave est ailleurs. Au-delà du trauma dû à des alertes incessantes, nous sommes revenus dans une configuration géostratégique classique, la même depuis 1967 : il n’y aurait pas de paix possible entre Israël et les pays arabes sans un règlement de la « question palestinienne ». La bonne vieille « solution à deux États » qui n’a jamais fonctionné et n’a produit que des guerres est à nouveau sur la table. Les Palestiniens vont pouvoir continuer de bloquer la paix au profit de l’Iran d’un côté et du djihad mondial (salafisme, Al-Qaïda, Qatar, Frères Musulmans…) de l’autre.
Dans Dix Petits Mensonges, je montre que les organisations internationales n’ont pas le rôle d’arbitre qui devrait être le leur. L’ONU, l’UNESCO ou l’OMS mènent une guerre d’un nouveau genre contre Israël. Une guerre par le droit s’y exerce – lawfare comme disent les Américains – pour déposséder Israël du bénéfice politique de ses victoires militaires. Cette guerre par le droit est tout aussi dévastatrice que les roquettes du Hamas. Si le Dôme de Fer américain (à savoir le droit de veto que les Américains utilisent souvent pour éviter une condamnation d’Israël au conseil de sécurité de l’ONU) cessait de bénéficier à Israël, l’État hébreu deviendrait rapidement un État paria.
Dans nombre de médias internationaux, Israël est déjà un paria. Vous parlez dans votre livre de mediafare …
En se faisant le relais du discours victimaire palestinien, les médias sont devenus acteur du conflit. Ils ont renoncé à leur sens critique. Par idéologie, depuis quarante ans, les médias formatent les consciences à l’antisionisme. Si les médias ne s’attaquaient qu’à Israël, le mal serait circonscrit. Mais cette politique éditoriale a des prolongements préjudiciables à tous. En France et en Europe, les médias victimisent les islamistes, diabolisent tout regard critique sur l’immigration et ne remettent jamais en question la psychiatrisation du djihad qu’opèrent les autorités. Il n’est pas admissible que les médias ne remettent pas en question la ligne politique officielle qui classe les décapiteurs d’enseignants, les égorgeurs de flics ou les agresseurs de chrétiens dans les églises comme des « déséquilibrés ».
On peut aussi voir des messages associant Israël aux nazis. Comment les interpréter ?
Depuis la fin des années 1990, les Palestiniens tentent de se faire passer pour les « Juifs » du Moyen Orient. Par effet de bascule, les Juifs israéliens sont catapultés dans le camp des nazis. Les messages qui en Europe « associent Israël aux nazis » soulignent le succès de cette stratégie victimaire. Tout le conflit israélo-arabe est structuré par une série de leurres (ce sont mes « Dix Petits Mensonges ») qui, avec le temps, ont acquis la solidité du béton.
Comment expliquer que ce sont essentiellement des groupes de gauche ou d’extrême gauche qui diffusent de tels arguments en France ?
Comment la gauche française et européenne en est-elle venue à soutenir un mouvement terroriste islamiste comme le Hamas ? Ces errements politiques sont la conséquence d’une tragédie intellectuelle et morale européenne. Après la Seconde Guerre mondiale, la gauche chrétienne et la gauche politique ont perdu la foi en Dieu pour les uns et la foi dans le socialisme pour les autres. Les églises ont été désertées au moment même où le socialisme soviétique s’est effondré. Ce double effondrement de la croyance religieuse et de la croyance en un paradis communiste, a placé des millions de personnes en déshérence morale. Elles n’avaient rien à quoi se raccrocher. Plutôt que de s’inventer une morale sans Dieu, elles se sont rabattues sur une croyance de remplacement : le palestinisme et l’immigrationnisme musulman.
Au-delà de la gauche, pourquoi l’Union européenne ne soutient-elle pas Israël face au fascisme islamique ?
Nous vivons dans un univers façonné par la Deuxième Guerre mondiale et l’extermination des Juifs. Pour que pareils désastres ne se reproduisent plus, les dirigeants européens ont choisi de briser les nations en Europe, d’extirper la plus petite trace de culture nationale et de favoriser l’arrivée du plus grand nombre possible de migrants musulmans africains, nord-africains, turcs et asiatiques. La présence massive de l’islam est censée apporter la preuve aux dirigeants européens que le chauvinisme français, l’impérialisme allemand ou la bigoterie espagnole ont été éradiqués. Cette haine de la nation considérée comme la cause de tous les maux, les amène bien logiquement à considérer qu’Israël, structuré comme une nation (des frontières, un peuple, un drapeau) se conduit comme un nazi dès qu’il se défend. Peut-être assistons-nous aux derniers soubresauts de ces croyances de remplacement, mais je n’en suis pas sûr. Le mouvement woke a tout d’un millénarisme résolu à ne pas laisser une pierre debout en Occident.
Le problème est que ces « petits mensonges » ont des prolongements en France et en Europe. À Paris, on a vu des femmes islamistes manifester avec l’étoile jaune au côté gauche de leur vêtement. Et au centre de l’étoile jaune, il y avait écrit « muslim ». Quand les islamistes se font passer pour des Juifs, cela signifie qu’ils accusent les Français non-musulmans de vouloir les exterminer. Et si les islamistes se persuadent que vous voulez les exterminer, alors ils s’arrogent le droit moral de passer à l’attaque pour se « défendre ». Islamistes, Palestiniens… n’attaquent jamais, ils se « défendent ». Et les médias qui les victimisent leur en donnent confirmation.
L’amplification de ce discours victimaire change-t-il la donne dans les réactions à ce premier conflit d’importance depuis quelques années en Israël ?
La victimisation est au fondement des conflits asymétriques d’aujourd’hui. Le Hamas ne fait pas le poids au plan militaire face à Israël, mais sa faiblesse (relative) contribue à lui valoir la sympathie des médias et de la gauche islamisée en Europe et aux États-Unis. À cela s’ajoute la racialisation du rapport social en Occident. L’antiracisme dominant empêche de comprendre que les bourreaux d’aujourd’hui sont parfois basanés et souvent musulmans !
Dix Petits Mensonges est une généalogie du passé proche. J’ai voulu montrer que l’antisionisme qui a pour fonction de délégitimer la présence juive en Palestine a été la matrice de l’antiracisme qui stigmatise les conservateurs, les libres penseurs de droite et de gauche, les critiques de l’immigration, les classes populaires blanches… Tous sont campés en colonisateurs et en racistes. L’antiracisme légitime le déboulonnage des statues érigées par les « racistes », réécrit les épisodes jugés « racistes » du passé historique européen et met au rancart une partie de leur littérature. L’antiracisme actuel a pour but de faire du « raciste » un étranger dans son propre pays. Cela a été ma grande découverte : la délégitimation du Juif en Israël entre en résonance avec la délégitimation du Français de souche. Des citoyens nés en France de deux parents eux-mêmes nés en France, peuvent, par le jeu de l’antiracisme, être transformés en étrangers dans leur propre pays. L’antiracisme transforme les « de souche » en nouveaux Juifs ! C’est l’ère du Tous Juifs ! Ce système de dingue va-t-il perdurer ? Il durera tant que la gauche n’en sera pas elle-même victime. Elle a commencé d’en souffrir, mais elle ne veut pas encore le savoir.