La promotion de l’État «islamique» par l’Occident

La lutte contre la menace «islamiste» a été le prétexte à la guerre contre le terrorisme initiée par George W. Bush après le 11 septembre 2001. C’est dans le cadre de cette guerre que les États-Unis et leurs alliés ont attaqué et occupé l’Afghanistan puis l’Irak.

On n’a pas besoin de verser dans le complotisme pour affirmer que l’Irak n’avait rien à voir dans les attentats du 11 septembre et que si ces derniers ont vraiment été ourdis par Oussama ben Laden, il n’est pas du tout certain qu’il ait demandé leur avis aux Taliban au pouvoir à Kaboul.

Et si on s’en tient à l’Afghanistan, on n’oubliera pas que ce sont les puissances occidentales, États-Unis en tête mais aussi France et Grande-Bretagne avec leurs alliés des pétromonarchies, qui ont favorisé l’accession au pouvoir des «islamistes». Cette promotion des islamistes a pu être observée à travers tous les pays musulmans dont les politiques contreviennent aux intérêts des puissances occidentales, des États-Unis au premier chef, y compris quand les relations avec ces puissances semblent redevenues convenables comme on l’a vu en Libye.

En Irak, par exemple, l’ascension de l’État dit islamique (Daech) en Irak et en Syrie comme l’explique l’article que je vous propose.

Mounadil al Djazaïri
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Made in America : la conquête de Mossoul par l’EI

par The Cradle

La tristement célèbre organisation terroriste a utilisé des armes fournies par les États-Unis, des combattants formés aux États-Unis et des fonds envoyés par des banques de Washington, DC, pour conquérir la deuxième plus grande ville d’Irak et terroriser ses habitants musulmans sunnites.

Il y a dix ans ce mois-ci, l’organisation terroriste Daech s’emparait de Mossoul, la deuxième plus grande ville d’Irak. En seulement deux jours de combats, quelques centaines de militants de Daech prirent le contrôle de la ville, forçant des milliers de soldats et de policiers irakiens à fuir dans le chaos et la confusion.

L’État «islamique» à sa brève apogée en 2014

Les médias occidentaux avaient attribué la chute de la ville aux politiques sectaires du Premier ministre irakien de l’époque, Nouri al-Maliki, suggérant que les sunnites locaux avaient accueilli favorablement l’invasion de l’EI. Les responsables américains avaient affirmé avoir été surpris par la montée en puissance rapide de l’organisation terroriste, ce qui avait incité le président américain de l’époque, Barack Obama, à jurer de l’«affaiblir et finalement la détruire».

Cependant, un examen attentif des événements qui entourèrent la chute de Mossoul et des discussions avec les habitants lors de la récente visite de The Cradle dans la ville montre le contraire.

Les États-Unis et leurs alliés régionaux ont utilisé l’EI comme proxy pour orchestrer la chute de Mossoul, terrorisant ainsi ses habitants musulmans sunnites pour atteindre des objectifs précis de politique étrangère. Un habitant de Mossoul a déclaré à The Cradle :

«Il y avait un plan pour laisser Daesh [ISIS] prendre Mossoul, et les États-Unis étaient derrière tout ça. Tout le monde ici le sait, mais personne ne peut le dire publiquement. C’était une guerre contre les sunnites».

«Principauté salafiste»

Alors que la guerre en Syrie faisait rage en août 2012, l’Agence de renseignement militaire américaine (Defense Intelligence Agency, DIA) a rédigé un mémo désormais bien connu donnant les grandes lignes du plan qui aboutira à la chute de Mossoul.

Le mémo relevait que l’insurrection soutenue par les États-Unis et leurs alliés régionaux pour renverser le gouvernement de Bachar al-Assad à Damas n’était pas dirigée par des «rebelles modérés» mais par des extrémistes, notamment des salafistes, les Frères musulmans et Al-Qaïda en Irak (État islamique d’Irak).

Le mémo de la DIA précisait en outre que les États-Unis et leurs alliés, «les puissances occidentales», saluaient l’établissement d’une «principauté salafiste» par ces forces extrémistes dans les zones à majorité sunnite de l’est de la Syrie et de l’ouest de l’Irak. L’objectif des États-Unis était d’isoler territorialement la Syrie de son principal soutien régional, l’Iran.

Deux ans plus tard, en juin 2014, l’EI s’emparait de Mossoul, la déclarant capitale du soi-disant «Califat».

Bien que l’organisation terroriste ait été présentée comme indigène en Irak, l’EI a pu faire de la «principauté salafiste» prédite dans le mémo de la DIA une réalité uniquement avec l’aide d’armes, de formation et de financement des États-Unis et de leurs proches alliés.

Armes américaines et saoudiennes

En janvier 2014, Reuters rapportait que le Congrès des États-Unis avait «secrètement» approuvé de nouveaux flux d’armes vers les «rebelles syriens modérés» appartenant à la soi-disant Armée syrienne libre (ASL).

Au cours des mois suivants, l’armée américaine et le ministère saoudien de la Défense ont acheté de grandes quantités d’armes à des pays d’Europe de l’Est, qu’ils ont ensuite acheminées par avion vers Amman, en Jordanie afin d’être ensuite distribuées à l’ASL.

Après une enquête exhaustive de trois ans, Conflict Armament Research (CAR), financée par l’UE, a découvert que les armes acheminées vers la Syrie par les États-Unis et l’Arabie saoudite en 2014 avaient été rapidement transférées à l’EI, parfois dans les «jours ou semaines» suivant leur achat.

«Selon les preuves à notre disposition, les détourneurs d’armes [les Saoudiens et les Américains] savaient ce qui se passait en termes de risque de fourniture d’armes aux groupes de la région», explique Damien Spleeters de CAR .

Les armes et équipements fournis par les États-Unis et parvenus rapidement à l’EI comprenaient les emblématiques camionnettes Toyota Hilux, qui sont devenues synonymes d’image de marque d’ISIS.

Le rôle des Kurdes

Les armes fournies par les États-Unis et l’Arabie saoudite ont également été acheminées vers l’EI par l’intermédiaire du principal allié kurde de Washington en Irak, Massoud Barzani. À propos du financement secret de l’armement approuvé par le Congrès américain en janvier 2014, Reuters notait que des «groupes kurdes» avaient fourni des armes et d’autres aides financées par des donateurs au Qatar à des «factions rebelles extrémistes religieuses».

Au cours des mois suivants, des informations ont fait état de la fourniture d’armes par des responsables kurdes du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Barzani à l’EI, notamment des missiles antichars Kornet importés de Bulgarie.

Une preuve supplémentaire du soutien de Barzani à l’EI est apportée par un procès actuellement en cours devant le tribunal de district américain de Columbia au nom du Kurdistan Victim’s Fund.

Le procès, mené par l’ancien procureur adjoint américain James R Tate, cite des témoignages de sources ayant un «accès clandestin direct» à des responsables de haut rang du PDK, alléguant que les agents de Barzani «ont effectué intentionnellement des paiements en dollars américains à des intermédiaires terroristes et à d’autres personnes, par virement bancaire via les États-Unis», notamment via des banques à Washington. Ces paiements «ont permis à l’EI de mener des attaques terroristes qui ont tué des citoyens américains en Syrie, en Irak et en Libye».

En outre, les agents de Barzani ont utilisé des «comptes de messagerie gérés par des fournisseurs de services de messagerie basés aux États-Unis pour coordonner et exécuter des éléments de leur partenariat avec l’EI».

Il est impensable que Barzani ait pu régulièrement effectuer des paiements à l’EI depuis le cœur de la capitale américaine, à l’insu et sans l’accord des services de renseignement américain.

Un accord explicite

Au printemps 2014, des informations avaient fait état d’un accord entre Barzani et l’EI visant à se partager le territoire irakien.

Pierre-Jean Luizard, universitaire français et spécialiste de l’Irak au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), a rapporté qu’il y avait «un accord explicite» entre Barzani et l’EI, qui «vise à se partager un certain nombre de territoires».

Selon l’accord, l’EI prendrait Mossoul, tandis que les forces de sécurité de Barzani, les Peshmergas, prendraient Kirkouk, riche en pétrole, et d’autres «territoires contestés» qu’il désirait pour un futur État kurde indépendant.

Selon Luizard, l’EI s’était vu confier la mission de «mettre en déroute l’armée irakienne, en échange de quoi les Peshmergas n’empêcheraient pas l’EI d’entrer à Mossoul ou de s’emparer de Tikrit».

Dans une interview inédite avec Radwan Mortada, éminent journaliste libanais spécialiste de la sécurité et collaborateur de The Cradle, l’ancien Premier ministre irakien Nouri al-Maliki a affirmé que des réunions avaient été organisées pour planifier la prise de Mossoul dans la capitale du Kurdistan irakien, Erbil, en présence d’officiers de l’armée américaine.

Lorsque les responsables américains ont démenti toute implication, Maliki a répondu en leur disant : Ce sont des photos d’officiers américains assis à cette réunion… vous êtes partenaires dans cette opération.

Le pipeline britannique

Un habitant de Mossoul s’entretenant avec The Cradle affirme que de nombreux membres de l’EI qu’il a rencontrés au cours des trois années d’occupation de la ville par l’organisation étaient des étrangers anglophones, en particulier les commandants de l’EI.

Mais d’où venaient ces membres anglophones de l’EI ?

En 2012, les services secrets britanniques ont mis en place un réseau pour envoyer des citoyens britanniques et belges combattre en Syrie. Des jeunes de Londres et de Bruxelles ont été recrutés par les organisations salafistes Shariah4UK et Shariah4Belgium, fondées par le prédicateur radical et agent des services secrets britanniques Anjam Choudary.

Ces recrues ont ensuite été envoyées en Syrie, où elles ont rejoint le groupe armé Katibat al-Muhajireen, qui bénéficiait du soutien des services de renseignement britanniques. Ces combattants britanniques et belges ont ensuite rejoint l’EI après son installation officielle en Syrie en avril 2013.

Parmi ces combattants se trouvait un Londonien du nom de Mohammed Emwazi. Plus tard connu sous le nom de Jihadi John, Emwazi a enlevé le journaliste américain James Foley en octobre 2012 alors qu’il était membre de Katibat al-Muhajireen et l’aurait exécuté en août 2014 alors qu’il était membre de l’EI.

Made in America

Le commandant de Katibat al-Muhajireen, Abu Omar al-Shishani, a lui aussi rejoint l’EI et a mené l’assaut du groupe terroriste sur Mossoul. Avant de combattre en Syrie et en Irak, Shishani avait reçu une formation militaire américaine en tant que membre des forces spéciales de Géorgie.

En août 2014, le Washington Post a rapporté que des membres libyens de l’EI avaient reçu une formation de la part de personnels militaires et du renseignement français, britanniques et américains alors qu’ils combattaient dans la soi-disant «révolution» visant à renverser le gouvernement de Mouammar Kadhafi en 2011.

Beaucoup de ces combattants étaient britanniques mais d’origine libyenne et se sont rendus en Libye avec les encouragements des services de renseignements britanniques pour renverser Kadhafi. Ils se sont ensuite rendus en Syrie et ont rapidement rejoint l’EI ou la branche locale d’Al-Qaïda, le Front al-Nosra.

«Parfois, je plaisante et je dis que je suis un combattant créé par l’Amérique», avait déclaré au Washington Post l’un des combattants.

Rien n’indique que la relation entre ces combattants et les services de renseignement américains et britanniques ait pris fin une fois qu’ils avaient rejoint l’EI.

«Maliki doit partir»

Le soutien américain à la prise de Mossoul par l’EI est évident à travers les mesures que Washington a refusé de prendre. Les planificateurs militaires américains ont surveillé les convois de l’EI traversant le désert à découvert depuis la Syrie pour attaquer Mossoul en juin 2014, mais n’ont pris aucune mesure pour les bombarder.

Comme l’a reconnu l’ancien secrétaire américain à la Défense Chuck Hagel, «ce n’est pas que nous étions aveugles dans ce domaine. Nous avions des drones, des satellites, des unités du renseignement qui surveillaient ces groupes».

Même après la chute de Mossoul, et alors que l’EI menaçait Bagdad, les stratèges de Washington ont refusé d’aider Maliki à moins qu’il ne démissionne de son poste de Premier ministre.

Dans son interview avec Mortada, Maliki a affirmé que les officiels américains lui avaient demandé d’imposer un siège à la Syrie pour aider à renverser Assad. Lorsque Maliki a refusé, ils l’ont accusé de saboter l’opération de changement de régime en Syrie et ont cherché à utiliser l’EI pour renverser le gouvernement irakien.

Des sources américaines confirment presque toutes les affirmations de Maliki. La Rand Corporation, financée par l’armée américaine, a noté que les relations entre les États-Unis et l’Irak étaient devenues tendues à cette époque «en raison de la volonté du gouvernement Maliki de faciliter le soutien iranien au régime d’Assad malgré une opposition américaine significative».

Comme l’a expliqué Philip Gordon, conseiller en politique étrangère d’Obama :

Le président avait clairement indiqué qu’il ne voulait pas lancer cette campagne [contre l’EI] tant qu’il n’y aurait pas quelque chose à défendre, et ce n’était pas Maliki.

Le journaliste du New York Times Michael Gordon a rapporté que le secrétaire d’État John Kerry s’était rendu à Bagdad deux semaines après la prise de Mossoul par l’EI pour rencontrer Maliki. Ayant désespérément besoin d’aide, Maliki avait demandé à Kerry des frappes aériennes contre l’EI pour protéger Bagdad, mais ce dernier avait expliqué que les États-Unis ne l’aideraient pas à moins qu’il ne renonce au pouvoir.

En juillet 2014, les combattants de l’EI ont ramené en Syrie, à travers le désert, l’artillerie et les véhicules blindés de fabrication américaine saisis à Mossoul. Gordon rapporte en outre que les convois de l’EI étaient «des cibles faciles pour les forces aériennes américaines».

Mais lorsque le général de division américain Dana Pittard demanda l’autorisation de mener des frappes aériennes pour détruire les convois, la Maison-Blanche refusa, prétextant que les «conditions politiques préalables» n’étaient pas réunies. En d’autres termes, Maliki était toujours Premier ministre.
Gains géopolitiques

Tout en se déclarant ennemis de l’EI, les planificateurs militaires américains et leurs alliés ont délibérément facilité l’ascension du groupe terroriste, y compris la prise de Mossoul.

Pour conquérir Mossoul, l’EI s’est appuyé sur des combattants formés aux États-Unis et au Royaume-Uni, sur des armes achetées par les États-Unis et l’Arabie saoudite et sur des dollars américains fournis par les Kurdes – plutôt que sur le soutien populaire des habitants sunnites de la ville.

Lorsque le calife autoproclamé et chef de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, a annoncé l’établissement du soi-disant califat dans la mosquée historique Nouri de la ville, il a mis en place la principauté salafiste décrite dans le document de la DIA par les chefs des services de renseignement américains.

Cette montée en puissance orchestrée de l’EI a non seulement déstabilisé la région, mais a également servi les intérêts géopolitiques de ceux qui prétendent combattre le terrorisme.