Editorial. La contestation s’est calmée à Bamako, mais la situation du président Ibrahim Boubacar Keita reste fragile, malgré ses soutiens internationaux.
Editorial du « Monde ». Si le feu de la contestation s’est éteint à Bamako, la situation politique reste tendue. Les cinq chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest qui se sont rendus, jeudi 23 juillet, dans la capitale malienne n’ont pas trouvé à ce stade de solution à la crise qui secoue leur voisin. Après plus d’un mois de lutte, les protestataires, emmenés par l’imam Mahmoud Dicko, pourraient obtenir la tête du premier ministre, la formation d’un gouvernement d’union nationale, une dissolution de l’Assemblée nationale, mais les présidents de la région leur ont rappelé qu’ils ne leur offriront pas la démission du président Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Alors que le Mali continue d’exporter hors de ses frontières la menace djihadiste, il n’est pas question pour eux de prendre le risque d’une contagion des esprits au moment où se profilent plusieurs scrutins à risque en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Burkina Faso.
Seront-ils pour autant en mesure de répondre à la colère qui agite le Mali depuis les dernières élections législatives ? Celle-ci se trouve portée par une coalition qui réunit des personnalités que tout devrait opposer. Mais ses ressorts profonds sont à chercher dans l’incapacité des dirigeants à rendre au pays sa dignité et à offrir des perspectives économiques à sa population.
En 2013, IBK avait été largement élu sur la promesse d’une restauration, autant territoriale que morale, de la nation malienne. L’armée française, épaulée par les soldats tchadiens, venait de déloger les djihadistes qui avaient accaparé le nord du pays. Les soutiens du nouveau président allaient du président français François Hollande au rigoriste imam Dicko, aujourd’hui figure de proue de la contestation.
Violences étendues
Sept ans plus tard, le Mali est toujours en guerre avec lui-même, les blessures ne sont pas pansées et le quotidien est souvent miséreux. Dans le nord, les islamistes armés ont regagné du terrain – jeudi, un militaire de l’opération « Barkhane » a été tué, le dix-huitième depuis le début de l’année 2020. Les ex-rebelles qui se battaient pour l’indépendance ont conservé leurs armes et le redéploiement de l’Etat est resté au stade de symbole.
Les violences se sont depuis étendues au centre, l’un des bassins agricoles du pays. Signe de l’insécurité, c’est en faisant campagne dans cette région que le principal opposant malien, Soumaïla Cissé, a été enlevé le 25 mars.
Entre une communauté internationale qui l’incite à faire des concessions impopulaires aux ennemis d’hier et un clan, accusé d’accaparer les leviers du pouvoir, qui l’encourage à ne pas céder, le président « IBK » n’arrive pas à conserver de cap.
Face à la contestation, il a trop tardé à faire des concessions. La répression, qui a fait entre 11 et 23 morts, a fait monter les exigences des opposants. Alors que la plupart de ses partenaires étrangers confient leur fatigue de voir « IBK » détenir « tous les instruments de sortie de crise sans jamais les utiliser », selon la formule d’un décideur français, ces soutiens internationaux sont aujourd’hui son meilleur filet de sécurité. La peur du vide institutionnel est plus forte que l’exaspération parmi les partenaires du Mali.
La France, contestée par des manifestations en 2019, n’est plus la première cible des opposants. Elle ne peut cependant se réjouir de voir le pouvoir malien, qu’elle continue de soutenir malgré son irritation, être ainsi mis en cause. Un mouvement d’opposition dont la principale figure mobilisatrice est un imam aux valeurs particulièrement conservatrices ne peut que l’inciter à s’interroger sur la perception de son action par ceux qui devraient en être les premiers bénéficiaires.