En avril 2019, le Maréchal Haftar, a lancé une offensive contre la capitale Tripoli. Objectif : s’emparer du pays. Il a échoué. L’homme fort de l’est libyen prétend diriger l’armée nationale libyenne. Dans les faits, ces troupes se composent de divers groupes armés aux intérêts variés, de mercenaires notamment russes, syriens, tchadiens ou encore soudanais… mais aussi d’adolescents.
Parfois mineurs
A Zaouia, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale Tripoli, les bâtisses d’un ancien poste de police de l’époque de Kadhafi sont occupées par des groupes armés de la ville et ont été transformées en prison. C’est dans des pick-up, avec lance-roquettes et canons antiaérien sur la plateforme arrière, que les hommes de la brigade 50 de Zaouia me conduisent dans ce qui est le bâtiment le plus important de ce complexe. Des dizaines d’adolescents apparaissent, amaigris, regards abattus. Ce sont les troupes du Maréchal Haftar, désormais des prisonniers de guerre, entassés dans des cellules improvisées et surpeuplées.
Ils égrainent leur âge “Amin, 18 ans”, “Moi, j’ai 17 ans”, “Je m’appelle Ali, je suis de la ville de Sabratha, j’ai 16 ans”. Ils sont plus d’une centaine. La plupart ont moins de 20 ans. Plusieurs sont mineurs. Ahmed, 16 ans explique : “On s’est enrôlé dans l’armée pour une seule raison : parce qu’on a besoin de travailler”.
Ces jeunes viennent dans plusieurs villes de l’Ouest libyen conquises par le Maréchal Haftar. Il engage des forces sur son passage, pour nourrir ce qu’il appelle l'”armée nationale libyenne”. Peu importe qu’ils soient mineurs.
Tous les détenus racontent la même histoire : s’ils se sont enrôlés, c’est qu’ils n’avaient pas vraiment le choix. Mustapha, 18 ans, brisé, regarde ses pieds en témoignant : “Comme tout le monde ici, j’utilise Facebook. J’ai vu une annonce qui disait que l’armée recrutait. Je me suis présenté avec mon dossier. J’ai deux sœurs. Ma mère est morte et mon père est malade. On n’a rien. Mon père m’a donné son accord, parce que je lui ai répété et répété ce que les recruteurs nous avaient assuré : qu’on resterait dans notre ville, à Sabratha. Si on a choisi l’armée, c’est juste parce qu’on est pauvre. On n’est pas là pour Haftar ou qui que ce soit d’autre, on est là pour l’argent. Ils nous avaient promis un salaire mais on n’a jamais reçu un centime”.
Traumatisés
Seize ans, 17 ans, 19 ans et désormais prisonnier de guerre. Amin, cheveux bouclés, lui aussi replié sur lui-même avoue être traumatisé : “Je ne me sens pas bien. Je fais sans arrêt des cauchemars. Un jour, j’ai vraiment cru que j’allais mourir. Chaque fois que je ferme les yeux, ce qu’on a vécu ce jour-là, je le revis”.
Tous sont hantés par la journée du 4 avril 2019 qui a changé leur vie. Ce jour-là, les jeunes soldats à peine formés reçoivent l’ordre de se rendre à Tripoli. “On nous a fait croire que tout était organisé, préparé. Et qu’on pourrait rejoindre Tripoli sans difficulté. On nous a assuré que les choses se feraient sans combat. Avant cela, on nous a formés pendant seulement 26 jours, et uniquement à défiler. On ne nous a pas appris à manier les armes.” A 27 kilomètres de la capitale, les milices de Zaouia les attaquent. Ils sont depuis détenus dans cette prison improvisée.
Mohammed, mineur également explique : “Notre chef nous avait assuré que les autorités de chaque ville qu’on allait traverser avaient donné leur aval pour nous laisser passer et nous diriger sur Tripoli, mais tout à coup, on s’est fait tirer dessus. On n’était pas du tout prêt à cela. On a été capturés et emmenés ici. J’étais en état de choc. On a vraiment eu très peur. Je n’étais pas préparé à la guerre”. Ces jeunes ne portaient même pas d’armes. “Je ne sais même pas les utiliser.”
Manipulés
“Notre chef nous a trahis. Il a été capturé avec nous mais il a tout de suite été libéré, parce qu’il a payé une rançon et il nous a laissés ici.”
En Libye, ceux qui ont de l’argent peuvent acheter leur liberté. Les prisonniers de guerre sont un business à part entière. “Moi, j’avais accepté de devenir soldat pour protéger nos frontières, ou pour lutter contre Daesh, contre [le groupe terroriste] Etat islamique. Pas pour faire la guerre contre d’autres Libyens, jamais. Ces gens se sont servis de nous pour qu’on s’entretue”, conclut Mustapha.
A ses côtés, son camarade s’inquiète de l’avenir : “Moi maintenant, la seule chose qui m’importe et qui m’obsède, c’est ‘qu’est-ce qui va nous arriver. Est-ce qu’on nous laissera sortir ? Combien de temps va-t-on rester emprisonnés ? Je ne pense qu’à cela. Oui, j’ai peur. Mon seul rêve, c’est de sortir d’ici”.
Sur la centaine de jeunes prisonniers, une quarantaine a enfin été libérée, en août dernier, après plus de 16 mois de détention.