La crise énergétique n’est pas née des sanctions contre la Russie. Elle est la conséquence des délocalisations, de la spéculation sur les matières premières, de la politique européenne de la démographie…
De mémoire d’homme, nous n’avons jamais été exposés au risque d’une crise énergétique. Il a suffi de quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que la France et l’Europe bénéficient de l’énergie nécessaire à leurs besoins courants et assurer la croissance, très énergivore, d’après-guerre. On nous dit que ces temps sont révolus et que l’ère de la « sobriété » s’ouvre devant nous. Or, ce diagnostic est asséné sans le bilan préalable qui nous permettrait de comprendre les origines d’une nouvelle situation marquée à la fois par le risque de pénurie et la montée disproportionnée des prix.
Comment se fait-il que la composante démographique soit toujours absente ? Il va de soi que les sept milliards et demi d’humains d’aujourd’hui consomment bien plus que les deux milliards de 1950.
Comment se fait-il encore que les innombrables débats sur l’énergie n’évoquent jamais la mondialisation commerciale et touristique ? Le fait que les Occidentaux aient, pour de triviales raisons de dopage du prix des actions, délocalisé sur une vaste échelle aboutit à ce que tous nos smartphones, nos ordinateurs et nos écrans plats viennent d’Asie en créant un besoin d’énergie qui n’existait pas quand la production se faisait là où était la demande.
Comment se fait-il enfin que les activités financières, parasitaires à tout le moins, n’entrent pas en considération alors qu’elles sont responsables d’une consommation d’électricité non négligeable ? Emmanuel Macron se trompe de public quand il exige la sobriété du citoyen ordinaire tandis qu’il soutient le système néolibéral le plus énergivore de l’histoire humaine.
Le « trading » financier précisément. Son expansion protégée par les États a conduit à une instabilité chronique des prix des matières premières, préjudiciable tant aux producteurs de ces matières premières qu’aux grands consommateurs industriels. Toutes choses qui réclament des négociations de prix dans un cadre contractuel, mais que l’Europe rejette pour mieux favoriser les intérêts des acteurs de la sphère financière.
Cela fait trente ans, en effet, depuis l’entrée en vigueur du marché unique, que l’Europe s’ingénie à brouiller les cartes de l’économie proprement libérale. Disons les choses sans détour : sous prétexte d’introduire une concurrence « libre et non faussée », elle a imposé une fausse concurrence.
Pour le gaz, d’abord, dont les prix aux grands consommateurs industriels sont désormais indexés sur les prix du marché, avec une multiplication par vingt en deux ans, en attendant l’application du nouveau régime aux particuliers l’an prochain. Pour l’électricité ensuite, avec l’adoption du régime de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) en 2011 et de la loi Nome (nouvelle organisation des marchés de l’électricité) qui visent spécifiquement notre modèle énergétique[1]. C’est ainsi qu’EDF doit vendre à perte 20 % d’une électricité qui a nécessité de lourds investissements et réclame des dépenses d’entretien constant, à des non-producteurs, coquilles vides sans capital productif ni capacité technique, qui revendent la production de notre grande entreprise nationale.
Ce régime imposé par Bruxelles au nom de l’intérêt du consommateur, un comble, a été adopté sans rechigner par le président en exercice et le Parlement. Avec ce paradoxe : Nicolas Sarkozy, partisan sincère du nucléaire et de la concurrence, n’a pas vu la contradiction des deux objectifs.
Relevons au passage que la conception européenne s’appuie sur l’analyse du marché de la théorie néoclassique (Walras et Pareto). Celui-ci met en scène non des producteurs au sens propre, mais de purs « offreurs ». Les notions clefs d’innovation, d’investissement, d’amortissement et de prix de revient, propres au capitalisme, n’y figurent pas. Les « fournisseurs » de la réglementation européenne incarnent les « offreurs » de Walras et de Pareto. Au bénéfice de cette réglementation, nous sommes aujourd’hui tributaires de 40 fausses entreprises, des sangsues, et de milliers de bureaucrates, des parasites qui font la police du système.
Le dilemme français
C’est donc bien avant la guerre en Ukraine et les sanctions antirusses que la crise énergétique s’est installée. Nous sommes désormais exposés au risque d’une paralysie économique du double fait de prix prohibitifs, qui obligent les grands consommateurs à réduire leur activité[2], et d’une pénurie proprement dite. La seule réponse à ce jour a consisté à prendre des mesures palliatives pour protéger les particuliers et les PME. Et qu’importe la saignée nouvelle infligée aux comptes publics. C’est là une nouvelle illustration du « coûte que coûte », au nom d’une Europe qui ne saurait se tromper. Nous avons abandonné notre souveraineté énergétique dans le domaine précisément où nous pouvions nous targuer d’un modèle d’excellence favorisant la compétitivité du site France et la protection du pouvoir d’achat.
Que faire ? Nous n’avons guère le choix d’un compromis entre le système européen et les reliquats de notre ancien modèle. Ou bien nous nous soumettons au coup d’État permanent de Bruxelles ou bien nous retrouvons notre liberté d’action.
En matière de gaz, l’impératif est de s’appuyer sur des contrats d’approvisionnement à long terme, à prix fixes mais révisables, pour bénéficier de tarifs stables et acceptables. En matière d’électricité, il faut dénoncer l’Arenh et lancer de nouvelles centrales nucléaires consommant les déchets de la combustion. Sans cela, EDF, incapable d’embaucher un personnel hautement technique et de maintenir un patrimoine de brevets spécifiques, est vouée à disparaître. Veut-on défigurer nos paysages terrestres et marins en les couvrant d’éoliennes pour obéir à Bruxelles alors que nous sommes le pays européen le moins émetteur de CO2 après la Suède ? Les pouvoirs publics seraient mieux avisés d’ouvrir le débat politique au Parlement afin d’informer l’opinion des tenants et des aboutissants de la crise en cours.