En Tunisie, les Subsahariens victimes d’un racisme croissant

Malgré une tradition d’accueil des étrangers, l’afflux de migrants dans le pays s’accompagne d’une montée des discriminations, mauvais traitements et attaques verbales.

La pétition lancée l’été dernier sur Facebook par le très confidentiel « Parti nationaliste » pour réclamer « l’expulsion de la colonie de migrants subsahariens qui s’installe en Tunisie » était passée inaperçue jusqu’à ce que ses promoteurs se lancent dans des opérations de démarchage dans les rues de Tunis, le week-end des 14 et 15 janvier.

Les photos de ces actions de « sensibilisation » postées sur la page Facebook du mouvement ont vite fait réagir des internautes, indignés par ce discours de haine à l’égard des migrants venus du sud du continent. Si l’audience du « Parti nationaliste », sur lequel il n’existe que très peu d’informations, reste limitée sur Facebook (avec 3 200 abonnés), elle est en revanche plus importante sur le réseau TikTok, où ses vidéos imprégnées d’une rhétorique similaire contre les Noirs rassemblent 6 000 personnes et ont recueilli plus de 37 000 « j’aime ».

Ce discours raciste est cependant loin d’être isolé. Au cours des dernières semaines, il s’est fait entendre sur plusieurs radios. Le 1er janvier, sur l’antenne de Diwan FM, Khalifa Chibani, ancien porte-parole du ministère de l’intérieur, a déploré ces « Africains qui commencent à devenir trop nombreux » dans la ville de Sfax – ce à quoi la journaliste a répondu que les Tunisiens sont « tous des Africains ». Le lendemain, l’homme politique et ancien ministre Mabrouk Korchid agitait sur la radio IFM le risque d’un « grand remplacement », cette fois sans être contredit. Si les Tunisiens continuent d’émigrer, « les Africains vont venir se marier chez nous et nous remplacer », a-t-il expliqué.

Quelque 57 000 étrangers vivaient officiellement en Tunisie en 2019, selon le département des affaires économiques et sociales des Nations unies. Le pays possède une tradition d’accueil, mais les autorités affirment souvent être davantage une « terre de transit » pour les Subsahariens, qui demeurent sur le territoire et travaillent sans être déclarés dans l’attente de pouvoir financer un départ vers l’Europe. Leur nombre est estimé à entre 30 000 et 50 000 par les associations. L’an dernier, la moitié des 22 000 migrants arrivés clandestinement en Italie depuis la Tunisie étaient d’origine subsaharienne.

« Nous sommes obligés de faire avec »

Outre les difficultés économiques que connaît le pays et la complexité des procédures de régularisation, les mauvais traitements et les attaques verbales dont sont victimes les migrants expliquent aussi souvent la volonté de départ. Ceux qui choisissent de rester subissent leur sort avec résignation. « Nous sommes obligés de faire avec, car si nous portons plainte auprès de la police pour racisme, nous risquons d’être arrêtés en raison de notre situation irrégulière », explique Miles Panis, artiste et chanteur ivoirien qui vit dans le quartier populaire de Bhar Lazreg, comme beaucoup de migrants.

Attablé dans un restaurant tenu par une de ses compatriotes, il poursuit : « Chaque semaine, des adolescents tunisiens entrent ici, font tomber les chaises ou les tables. Nous, on regarde sans rien dire. » Miles Panis vit ici depuis six ans et malgré les insultes quotidiennes, il préfère penser aux Tunisiens qui le respectent et continuer d’aller danser au Barrio Afro Latino, un bar à Gammarth, près de Tunis, où tout le monde se mélange sans a priori.

Mais à ses côtés, Nathalie, la propriétaire du restaurant, n’est pas aussi philosophe. Après treize années en Tunisie et bien qu’elle ait réussi à obtenir une carte de séjour, elle songe sérieusement à retourner en Côte d’Ivoire, où ses enfants résident. « C’est de pire en pire, chaque jour je vois une de mes amies se faire insulter ou cracher dessus dans la rue. Les prix des loyers doublent en fonction de la couleur de peau », raconte-t-elle en dénonçant l’inertie de la police :

« J’ai accompagné une amie déposer plainte après son agression au couteau. Elle avait une balafre au front, mais les policiers n’ont rien fait. Heureusement, une dame tunisienne nous a indiqué une association pour femmes, qui, elle, nous a aidées. »

Une autre Ivoirienne, qui n’a pas souhaité donner son identité par peur de représailles, raconte son exploitation dans la plupart des lieux où elle a travaillé depuis son arrivée en 2020 :

« Le fait de ne pas être payé est monnaie courante, les employeurs savent que nous ne pouvons rien faire parce que nous n’avons pas les papiers en règle. »

Pas de racisme « institutionnalisé »

Les discriminations touchent aussi l’accès aux soins, auxquels les femmes subsahariennes peuvent en théorie prétendre, pour le suivi de leur grossesse ou un avortement, auprès des infrastructures gratuites de l’Office national de la famille et de la population (ONFP). « Mais beaucoup de femmes ne sont pas au courant ou sont parfois refoulées à l’entrée des centres, soit à cause de leur couleur de peau, soit par incompréhension, car elles ne parlent pas toutes l’arabe », explique Fatima Verdé, une Ivoirienne de 28 ans, bénévole dans l’accompagnement des migrants pour l’ONG Médecins du monde.

Elle patiente dans la salle d’attente du Centre d’accueil, de soins et d’orientation (CASO), un centre pilote ouvert par Médecins du monde à La Goulette, en banlieue de Tunis. « Il n’y a pas forcément un racisme institutionnalisé, mais les discriminations existent. Ici, nous aidons les migrants à bénéficier de ce qui leur est accessible, comme à chaque Tunisien en situation de vulnérabilité », se félicite Zeineb Turki, coordinatrice générale adjointe de l’ONG. La Tunisie dispose d’une loi qui définit et condamne la discrimination raciale.

La montée du racisme qui accompagne l’afflux croissant de migrants n’est pas une réalité ignorée : 63 % des personnes interrogées en août 2022 par le réseau de recherche non partisan Arab Barometer, dans un sondage sur la discrimination raciale et le sentiment anti-noir en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, reconnaissaient que « la discrimination envers les Noirs est un problème ». En 2021, plus de 40 % des plaintes collectées par l’ONG Minority Rights Groups pour discrimination concernaient la couleur de peau et/ou l’origine nationale.