Aline Ouedraogo, de l’ONG CARE, rappelle que près de 20 millions d’habitants ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence dans ce pays qui affronte la plus grande crise humanitaire au monde.
Depuis plus de vingt ans, la République démocratique du Congo (RDC) n’a pas quitté la liste des crises humanitaires pour lesquelles l’ONU tente chaque année de mobiliser la solidarité internationale. Occultée par l’émergence de nouveaux foyers de la faim au Sahel ou au Moyen-Orient, la dégradation de la situation – principalement dans l’est du pays du fait des violences – est passée sous les radars. En 2021, la RDC affronte pourtant la plus importante crise humanitaire au monde.
Sur le terrain, les ONG chargées de répondre aux besoins tirent la sonnette d’alarme, alors que seulement 8 % des fonds nécessaires ont été jusqu’à présent levés. Les Nations unies demandent 1,8 milliard de dollars (environ 1,5 milliard d’euros), dont 830 millions pour la seule urgence alimentaire. Pour Aline Ouedraogo, directrice de l’ONG CARE en RDC, « il faut agir vite pour éviter une catastrophe ».
En quatre ans, le nombre de personnes souffrant de la faim a été multiplié par plus de 2,5 en RDC. Quelles en sont les causes ? Comment l’épidémie de Covid-19 aggrave-t-elle la situation ?
Près de 20 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence, selon les plus récentes évaluations de l’ONU. Elles vivent en grande majorité dans les provinces de l’Est – Sud-Kivu, Nord-Kivu, Tanganyika, Ituri – et dans la région centrale du Kasaï. L’intensification des conflits armés dans certaines zones a aggravé une situation déjà extrêmement fragile, poussant les familles à tout abandonner pour fuir la violence. A commencer par leurs champs, qui leur apportaient de quoi vivre.
Les 5 millions de personnes déplacées sont les plus vulnérables. Elles dépendent de petits boulots journaliers et de l’assistance humanitaire lorsqu’il y en a. Le Covid-19, avec les restrictions d’activités et les mesures de couvre-feu décidées pour endiguer l’épidémie, a évidemment privé bon nombre d’entre elles de leurs revenus. La crainte de la maladie les a tenues éloignées des centres de santé où elles recevaient, en particulier les enfants, une prise en charge des problèmes nutritionnels. L’assouplissement des restrictions a permis à certaines familles de reprendre pied, mais il ne s’agit là que d’une minorité.
Vous insistez sur le sort particulièrement inquiétant des femmes…
Nous connaissons la violence que subissent les femmes dans ces contextes de conflits armés. Elles forment les masses les plus pauvres et les plus vulnérables, sur lesquelles reposent cependant bien souvent les revenus de la famille. Elles vont au champ, vendent au marché. Certaines se retrouvent veuves du jour au lendemain. L’insécurité et le Covid-19 font dérailler des équilibres extrêmement précaires, poussant certaines vers la prostitution et la mendicité. Nous observons également une augmentation des enfants déscolarisés qui vivent dans les rues.
L’attaque du convoi du Programme alimentaire mondial (PAM) près de Goma (Nord-Kivu) en février, au cours de laquelle l’ambassadeur d’Italie a été tué, vous a-t-elle conduit à réduire votre présence pour assurer la sécurité de vos équipes ?
Nous n’avions pas imaginé qu’une attaque de cette gravité puisse se produire sur cette route que tous les acteurs humanitaires empruntent régulièrement. Cela a été un choc qui nous a en effet amenés à réexaminer nos procédures de sécurité. Nous ne nous sommes pas retirés, mais nous avons suspendu toutes nos activités dans la zone jusqu’à la semaine dernière. Donc pendant deux mois.
L’accès aux populations reste un défi majeur. Ajouté à un manque d’argent, cela conduit à délaisser les zones les plus inaccessibles pour se concentrer sur celles où l’aide humanitaire peut être déployée de manière sûre et rapide. Mais en faisant ce choix, nous savons aussi que des milliers de personnes ne recevront rien. Nous demandons aux Nations unies d’assurer davantage de vols humanitaires et d’en rendre le coût plus accessible pour les ONG. Ce serait le moyen d’aller dans les communautés que nous ne pouvons pas rejoindre par la route.
Le président Etienne Tshisekedi a décrété l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Pensez-vous que cela peut permettre de faire baisser les tensions ?
C’est un signal, mais il est trop tôt pour savoir ce que cela peut changer. Une chose est sûre : nous avons franchi un seuil de drames humanitaires qui devrait conduire les donateurs à ouvrir les yeux et à se remobiliser pour éviter une catastrophe. Des millions de personnes sont au bord de la famine.