Première partie
Après avoir évoqué la crypto-communauté turque des Donmeh1 – musulmans le jour, israélites la nuit – un curieux texte de Wayne Madsen2 initialement publié par la très sérieuse Strategic Culture Foundation en octobre 2011, a été récemment remis en ligne sur le site dissident CounterPunch3. Un texte éclairant qui retrace la filiation souterraine existant entre la Turquie kémaliste et la dynastie des Séoud… celle-ci apparaissant curieusement comme une sorte de reflet oriental de l’Amérique contemporaine, tout à la fois rigidement puritaine et moralement corrompue.
Si l’hypothèse de cette filiation se confirmait – ce que nous n’avons pas les moyens personnels de vérifier – cela expliquerait finalement bien des choses. Notons que la majorité des musulmans sunnites de par le vaste monde ne se reconnaissent ordinairement pas dans le zèle religieux du wahhabisme… religion officielle de l’Arabie saoudite et du Qatar grands alliés de l’Occident et de la France en particulier en ce qui concerne Doha. Un puritanisme qui n’est pas sans rappeler disions-nous celui des Pères Pèlerins, les Pilgrim Fathers du Mayflower, fondateurs de l’Amérique, nouvelle Terre de Promission pour quelques-uns… et de malheur pour le reste de l’humanité exposé à ses guerres barbares et incessantes.
Reprenant ici, pour l’essentiel, le fil conducteur de cette intéressante contribution made in America – utile à la compréhension du monde actuel et des désordres qui l’agitent – nous voyons qu’aujourd’hui dans une Turquie en voie de réislamisation, la cryptarchie Dönmeh est toujours et encore à la manœuvre. À ce titre cette société secrète forte – on ne sait précisément – de quelques centaines de milliers d’individu mais peut-être beaucoup plus – serait le facteur commun explicatif éclairant d’un jour nouveau la scène proche-orientale… parmi de nombreux faits, les récentes brouilles à répétition entre Israël et la Turquie, et parallèlement, le réchauffement croissant des relations entre Israël et l’Arabie saoudite ou encore l’hostilité viscérale de l’Arabie saoudite à l’égard de l’Iran actuel, révolutionnaire et islamique…
À l’origine, les Dönmeh sont issus d’une communauté sépharade expulsée d’Espagne en 1492 et venue s’établir en Macédoine dans une Grèce alors ottomane où ils trouvèrent assez vite l’expédient de se convertir à l’islam, pratiquant là un «marranisme» adapté aux conditions locales. Les Tziganes arrivés à peu près à la même époque furent de la même façon chrétiens en terre chrétienne et musulmans en terre d’islam. Le terme Dönmeh désignant tout autant des «convertis douteux», soit des «travestis» au sens propre ou figuré, autrement dit des individus n’étant pas ce qu’ils paraissent ou prétendent être !
Sabbataï Zevi messie prolifique
La secte cabaliste des Dönmeh est fondée proprement dit au XVIIe siècle, en 1665, par Sabbataï Zevi, lequel se présenta – ainsi que beaucoup d’autres ces deux derniers millénaires – comme étant le Messie attendu et annoncé. Nous n’entrerons pas dans les méandres d’une doctrine où bien et mal se confondent et s’inversent, ce qui confère un regrettable côté sataniste à l’enseignement du démiurge autoproclamé. Ses fidèles le suivirent motu proprio dans une conversion opportuniste à l’islam ce qui permit au rabbi caméléon de se glisser dans les bonnes grâce du Calife ottoman Mehmet IV.
Pratiquant une sévère endogamie les Dönmeh en tant que communauté secrète – au grand jour immergée dans la Communauté des Croyants, l’Oumma, tout en lui restant intrinsèquement étrangère suivant sa nature de secte ethniquement homogène – finirent par constituer une société en soi au sein même de la société turque… Pouvoir invisible qui lui a conféré au fil des ans une véritable puissance laquelle s’est actualisée à l’aube du XXe siècle dans et par la Révolution des Jeunes Turcs le 24 juil. 1908.
Que le «Comité Union et Progrès» qui conduisit – sur le même modèle que les bolchéviques issus du Bund suivirent dans la Russie de l’automne 1917- ait été un alias de la cryptarchie néo-sabbatéenne ne fait maintenant plus aucun doute sauf pour le révisionnisme officiel… une évidence cependant rarement publiée ou documentée, et l’on comprendra aisément pourquoi ! La Révolution Jeunes Turcs n’est au demeurant pas sans rappeler – quoique selon des modalités différentes, même si le schéma général reste pour l’essentiel inchangé – l’actuel drame syrien où l’équivoque salafisme wahhabite joue un rôle déterminant par djihadistes fanatisés et mercenaires interposés… L’histoire se répète inlassablement sans pour autant bégayer.
Que visaient donc les Jeunes Turcs ? En premier lieu l’abolition du Califat musulman… et ce n’est pas seulement les conséquences et l’aboutissement de la Révolution Jeunes Turcs qui nous l’apprennent : en 1909 la contre-révolution tente de s’organiser autour du Sultan, mais trop tard. Des prêtres et des hodjas sont partout dépêchés en Turquie pour informer des buts des Jeunes Turcs, faux nez de la cryptarchie sabbatéenne : la destruction du Califat, de l’islam et des chrétientés d’Orient. Rien n’y fait. La Révolution triomphe et inaugure son règne par le génocide des Arméniens catholiques et la fondation d’un État non confessionnel dans le cadre de l’État kémaliste. À la même époque, en France la séparation de l’Église et de l’État est consommée et le glissement vers l’abîme de la Grande Guerre parvient à son terme.
Le Frankisme, sabbataïsme d’Europe centrale
Notons qu’une branche séparée du sabbataïsme – et non des moindres – apparaîtra au milieu du XVIIe siècle sous l’inspiration de Jacob Frank, lequel se verra également pousser des ailes messianiques à la suite du Saint Maître, Sabbataï… cette fois non plus à Salonique mais à Francfort. Frank d’abord converti à la foi mahométane en Turquie, fut baptisé le 17 sept. 1759 à Lvov avant d’être confirmé le 18 novembre suivant avec pour parrain le souverain polonais Auguste III le Saxon en personne ! Puis, après avoir convaincu les autorités ecclésiales de Pologne que le Messie espéré et attendu était – selon la foi sabbatéenne – l’une des trois figures de la Sainte Trinité, omettant cependant de préciser que l’Envoyé en question n’était autre que le divin maître Sabbataï Zevi lui-même, il obtint de faire convertir en masse ses disciples au catholicisme. Les Frankistes, dont le rôle dans la Révolution française est définitivement établi4, n’en continuèrent pas moins à se marier entre eux et à pratiquer joyeusement leur gnose encourageant une sensualité licencieuse, transgressive notamment au regard du tabou de l’inceste. Apparemment les Rothschild, famille régnante de la plus grand place off shore de la Planète – la Cité de Londres – seraient ou auraient été adeptes du Frankisme. On ne prête qu’aux riches n’est-ce pas ?5
Les Dönmeh sous couvert des Jeunes Turcs prennent le pouvoir en Turquie
Salonique, quatrième ville de l’Empire ottoman (Thessalonique depuis 1912 et son retour dans le giron grec), sera le lieu de naissance en 1881 de Mustapha Kemal dit Atatürk, le père des Turcs… et des premières loges maçonniques touraniennes. À cette époque les Dönmeh sont devenus dans la cité macédonienne – où ils sont majoritaires depuis plusieurs siècles – de puissants notables, commerçants et échevins, et forment l’une des plus importantes communautés juives d’Orient. À partir du XVIIe, Salonique est la Mecque du Sabbataïsme et ce, jusqu’à leur essaimage en Turquie après l’accès à indépendance de l’Ellade.
C’est ce groupe central de Dönmeh qui structura en sous-main l’organisation clandestine des Jeunes Turcs sous couvert du Comité pour l’Union et le Progrès, apparemment laïciste mais qui n’eut de cesse de détruire en Turquie l’islam puis la chrétienté. Pour ce faire, le sultan ottoman Abdülhamid II fut déposé à l’occasion de la Révolution nationaliste de 1908 et la République de Turquie proclamée. Le Califat ne sera aboli qu’en 1924 [le Commandement de la Communauté des croyants en filiation spirituelle du Prophète]. En attendant les Jeunes Turcs s’entendent à «planifier le génocide des Arméniens» catholiques selon les propres termes de l’encyclopédie en ligne Wikipedia6. Génocide qui intervint d’avril 1915 à juil. 1916 et précéda de peu les grands massacres et déportations des chrétiens orthodoxes de la Russie en proie à la Révolution marxiste-lénino-troskyste.
On comprend mieux à présent la réticence d’Israël d’accepter comme «génocides» les grands massacres en 1915 des Arméniens par les Turcs et les Kurdes… pas uniquement donc en raison d’une concurrence victimaire qui effacerait le caractère exceptionnel, «unique», quasi métaphysique des grandes déportations «holocaustiques» de la Seconde Guerre mondiale. Ou à cause de la crainte fondée en droit de compromettre son alliance stratégique avec Ankara. Mais bien parce que ces massacres seraient l’œuvre au noir d’une société secrète, cabaliste, certes anti-talmudique et rejetée de la maison-mère, mais in fine, peu ou prou, juive ! Une opprobre qui, si elle sortait de l’enfer des bibliothèques et était arrachée à la poussière de l’oubli, entacherait la Communauté toute entière.
Au demeurant les preuves continuent à s’accumuler tendant à démontrer l’implication des Jeunes Turcs – noyautés et instrumentés par les Dönmeh – dans les déportations à vocation génocidaire que subirent les malheureux arméniens… «Marches de la mort» qui n’eurent d’équivalent au XXe siècle quarante ans plus tard, que l’exode forcé – doux euphémisme pour le plus vaste transfert de population de l’histoire – de douze à seize millions d’Allemands de l’Est «déplacés» – terminologie des Nations unies – durant l’hiver 1945… au cours duquel quelque 500 000 à deux millions de femmes, d’enfants et de malades et de vieillards périrent ! Là aussi le silence des historiens est particulièrement impressionnant.
Wayne Madsen cite à propos du «génocide arménien» le témoignage de l’historien Ahmed Refik, lequel servit comme officier de renseignement dans l’armée ottomane, celui-ci affirmant que l’intention des Jeunes Turcs visait très explicitement la destruction physique des chrétiens arméniens. Politique qui s’appliqua également, mais à plus petite échelle, à l’encontre des Assyriens catholiques… dont les villages du sud de la Turquie continuèrent à être rasés les uns après les autres dans les années soixante et soixante-dix dans le contexte et au prétexte de guerre contre l’irrédentisme kurde.
Abdülhamid II le Sultan déchu, qualifié de «tyran» – à l’instar de Louis le XVIe – par les Jeunes Turcs, fut embastillé dans la citadelle Dönmeh de Salonique. De 1912 à 1918, il consacra les dernières années de sa vie en résidence surveillée à Constantinople à l’étude, à la menuiserie et à l’écriture de ses mémoires… Son décès intervint trois ans après qu’Ibn Séoud, souverain d’Arabie saoudite et un an après que Lord Balfour ait accordé la Palestine aux organisations juives par une lettre adressé au baron Rothschild ! En fait il apparaît que le seul véritable crime d’Abdülhamid ait été de refuser de rencontrer Theodore Herzl – inventeur du sionisme – lors de sa visite à Constantinople en 1901 et de rejeter les pressantes demandes assorties de contreparties financières destinées à lui faire accepter la mainmise de la communautaire judéenne sur Jérusalem, saint fleuron de l’Empire.
Après le retour de Salonique dans le giron grec en 1913, nombre de Dönmeh, avons-nous dit, trouvèrent gîte et couverts à Constantinople… d’autres partirent s’installer à Izmir – ville natale de l’ancien Premier ministre français Balladurian – à Bursa – Brousse – et dans la nouvelle capitale anatolienne – le pays du soleil levant – d’Atatürk, Ankara. Les Dönmeh dont l’influence s’étendait désormais à tous les secteurs clefs de la société turque, circulaient alors librement dans les premiers cercles du pouvoir.
Ainsi Tevfik Rustu Arak, un intime et conseiller d’Atatürk fut le Premier ministre entre 1925 et 1938 sans que son appartenance sectaire n’apparût jamais au grand jour… un peu comme M. Jospin, Premier ministre en France, de juin 1997 à juil. 2002 qui, avec le silence complice des médias, ne renia jamais son appartenance à la secte trotskyste, également subversive et messianique ! Atatürk, dont on ignore s’il était lui-même un Dönmeh ou sous influence de la secte7, au prétexte d’occidentalisation, proscrit l’usage de la graphie arabe pour le turc dont il latinisa l’écriture, c’est lui qui en 1923 débaptise Constantinople du nom du premier empereur chrétien de l’Empire romain d’Orient, Constantin, pour la renommer Istanbul… Stanbul n’étant jusque-là qu’un des quartiers de l’auguste métropole. Ce que n’avaient évidemment pas fait les sultans ottomans. Du passé faisons table rase !
Des Jeunes Turcs à la conspiration du Marteau de fer, Ergenekon
La lente mais puissante remontée de l’islam après 1948 et trois guerres israélo-arabes (en fait islamo-israéliennes) accompagnera le déclin lent mais progressif de l’héritage kémaliste et de son expression cryptarchique, l’État profond… Tendance qui se traduira par des coups successifs portés au cœur de la puissance occulte des Dönmeh et dont l’affaire «Ergenekon8», cette dernière décennie, apparaît comme le couronnement. L’État profond correspond, pour les initiés, assez exactement aux réseaux néo-sabbatéens toujours proactifs au sein du corps diplomatique, de la chaîne de commandement militaire, des hiérarchies judiciaires, des autorités religieuses, politiques, médiatiques, universitaires et entrepreneuriales de la Turquie actuelle.
Quant à la conspiration Ergenekon – Marteau de fer – celle-ci vient de loin et son ultime épisode en date – 2007/2009 – n’est évidemment que la partie émergée d’un iceberg s’enfonçant loin sous la surface de l’histoire. Ce courant souterrainement à l’œuvre tenta entre autres de bloquer bien entendu les réformes favorables aux courants islamiques identitaires turcs grâce à une série de coups d’État… certains réussis comme celui qui aboutit en 1996 à la déposition du gouvernement islamiste du Refah – le «Bien Public» – conduit par le Premier ministre Necmettin Erbakan… certains manqués, tel celui qui visait l’actuel Premier ministre Recep Tayyip Erdogan en 2003 ! Signalons que des «réformistes» favorables à l’instauration d’un islam modéré tels le président Turgut Özal9 d’ethnie kurde et le Premier ministre Bülent Ecevit10, disparurent dans des circonstances éminemment suspectes. Quant au Premier ministre démocratiquement élu, Adnan Menderes, il fut éjecté de ses fonctions et pendu en 1961… après un coup d’État militaire.
Aujourd’hui, la réislamisation de la Turquie sous la houlette de l’AKP – le Parti de la Justice et du Développement – sert de prétexte et de facteur explicatif à l’éloignement euro-israélien vis-à-vis de la Turquie à vocation néo-ottomane… Or, si l’on admet que de facto l’État hébreu est le vingt-huitième membre de l’Union comme le laisse entendre moult déclarations et dispositifs officiels, la véritable cause du refroidissement des relations euro-turques serait plutôt à chercher du côté de l’éviction des Kémalistes et des Dönmeh des Affaires publiques turques. Au départ, la Turquie membre désigné et prédestiné de l’Union européenne par les États-Unis était une postulante parfaite tant que les Dönmeh tenaient en sous-main les rênes du pouvoir réel… Il n’en va plus tout à fait de même aujourd’hui – nonobstant l’armée et l’Alliance atlantique qui ne sont pas, et de loin, des paramètres à négliger – à telle enseigne que le souverainisme turc commence à embarrasser ses anciens protecteurs, pour ne pas dire à poser problème… Ces divergences de plus en plus sensibles se retrouvent à propos du dossier syrien où manifestement la «stratégie» d’Ankara ne coïncide pas exactement avec celle de ses alliés putatifs, Riyad et Doha d’un côté, Washington, Londres et Paris de l’autre.
À ce titre l’affaire du Mavi Marmara – vaisseau humanitaire turc en route pour la bande de Gaza et arraisonné manu militari le 31 mai 2010 par des commandos israéliens, neuf morts – pourrait avoir eu pour motivation une certaine vengeance, une forme de représailles déguisées justement comme suite à l’action vigoureuse du gouvernement turc contre les réseaux d’Ergenekon accusés de la tentative de coup d’État de 2003 visant à l’éviction de l’AKP… en réalité une purge de l’armée et du Renseignement militaire des éléments Dönmeh qui y étaient aux commandes…
Reste que toute la boue remontée à la surface à l’occasion de cette lutte sourde entre les islamistes au pouvoir et la cryptarchie sabbatéenne, livre peu à peu des informations sur les connexions existant entre Israël et ce grand allié des États-Unis qu’est l’Arabie saoudite… En septembre 2002, quelques mois avant l’Opération «Choc et Effroi» de mars 2003, le Directorat du Renseignement militaire général irakien remettait au Conseil de la Révolution présidé par le Raïs Saddam Hussein, un rapport établissant les racines Dönmeh du fondateur de l’islam wahhabite, Muhammad ibn Abdul Wahhab ! Rapport finalement publié le 13 mars 2008 par l’Agence américaine de Renseignement militaire [U.S. Defense Intelligence Agency]. En fait, l’information n’était pas tout à fait nouvelle et aurait pour source initiale les mémoires d’un certain «Humfer» ou «Hempher», espion britannique trilingue – turcophone, persanophone et arabophone – qui, au milieu du XVIIIe siècle, se présentant comme d’etnie Azéri et sous le nom de Mohammad, approcha Wahhab avec pour objectif de créer une secte musulmane susceptible d’entrer en rébellion contre la Sublime Porte, autrement dit le Califat ottoman…
Fin de la première partie !