Cinq ans après l’accord de Skhirat, le royaume reprend peu à peu la main dans le dossier libyen.
Le Maroc a accueilli les 6 et 7 septembre une réunion entre les parties libyennes dans la station balnéaire de Bouznika, à quelques kilomètres au Sud de Rabat.
Réunis sous les auspices du ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita, des représentants du Haut Conseil d’État (organe consultatif du gouvernement d’entente nationale — GNA –, basé à Tripoli) et de la Chambre de représentants (le Parlement libyen reconnu et basé à Benghazi) ont ainsi pu s’entretenir face à face.
Dans son allocution, Nasser Bourita a salué « la dynamique positive illustrée par le cessez-le-feu le 21 août ».
Le cessez-le-feu a relancé les discussions autour d’une solution politique en Libye
Fruit d’un accord entre Fayez al-Sarraj, chef du GNA, et Aguila Saleh, président de la Chambre des représentants, le cessez-le-feu, bien qu’imparfaitement respecté, a permis de relancer les discussions autour d’une solution politique en Libye. L’occasion pour Rabat, qui n’avait pas été convié à la conférence de Berlin en janvier consacrée au respect de l’embargo sur les armes, de reprendre la main sur le dossier libyen.
Dans le sillage des accords de Skhirate
Lors d’une interview accordée à JA à l’occasion du sommet de l’Union africaine en février, le patron de la diplomatie chérifienne avait dénoncé en creux la marginalisation du Maroc dans ce dossier, rappelant que « Skhirat a été le seul [rendez-vous] qui n’était pas une conférence internationale mais un dialogue libyen, sans autre supervision que celle des Nations unies ».
Les accords de Skhirat conclus le 17 décembre 2015 sont à l’origine de la création du Gouvernement d’entente nationale, lequel était censé organiser des élections pour doter la Libye d’un pouvoir légitime. Même si cette feuille de route a fait long feu, et que le maréchal Haftar a jugé l’accord de Skhirat caduque dès 2017, il est donc toujours en vigueur dans les faits.
L’agacement du ministre marocain à Addis-Abeba était également lié à l’activisme diplomatique algérien. Alger se proposait pour accueillir la conférence de réconciliation inter-libyenne, prévue de longue date.
Le Maroc a une histoire formidable dans le soutien des processus onusiens
« Peut-être que la crise libyenne est l’occasion pour certains d’offrir un rayonnement à leur diplomatie, avait réagi le ministre sans nommer explicitement le voisin algérien. (…) Les Libyens, au lieu de se consacrer à résoudre leurs problèmes, sont en train de se battre pour répondre aux invitations de différents pays qui leur disent “Venez faire la photo chez nous”. Or ça ne fonctionnera pas comme ça », avait-il alors ajouté.
La proposition d’Alger ne sera finalement pas retenue par l’Union africaine. Mais, selon nos informations, cette dernière avait validé la candidature de Ramtane Lamamra, ancien ministre algérien des Affaires étrangères, au poste d’émissaire de l’ONU pour la Libye, après la démission de Ghassan Salamé, démissionnaire le 2 mars.
En coulisses, le Maroc — ainsi que d’autres États — ont œuvré, notamment auprès des États-Unis, pour que l’option de l’Algérien ne soit finalement pas retenue. Avec succès.
Depuis la démission du Libanais, c’est l’Américaine Stephanie Williams qui assure l’intérim. En amont de la rencontre de Bouznika, elle s’est d’ailleurs rendue au Maroc le 27 août. Et n’a pas manqué de saluer chaleureusement le rôle du royaume dans le dossier libyen : « Les Libyens sont très heureux de me savoir au Maroc car ils sont conscients que le royaume a une histoire formidable dans le soutien des processus onusiens. » Une manière de faire oublier l’épisode de Berlin ? Sans doute, mais pas seulement.
« Neutralité active »
« Le Maroc développe une approche légaliste et prône la non-ingérence et la souveraineté en Libye », observe un familier de la diplomatie chérifienne, qui évoque ainsi une « neutralité active ». La nomination le 19 août du Marocain Mohamed Aujjar à la tête de la Mission onusienne d’établissement des faits en Libye (FFML) donne à l’évidence du crédit à la position marocaine.
Le royaume parie ainsi sur le créneau de l’impartialité, à l’instar de l’ONU, alors que les nombreux médiateurs du dossier libyen ont souvent été accusés de chercher à favoriser leurs intérêts politiques et économiques lors des multiples négociations.