Cinq zones de violence des groupes islamistes militants au Sahel

Une panoplie d’acteurs, de facteurs et de motivations caractérise l’environnement sécuritaire de l’ouest du Sahel. Cette réalité appelle à des réponses adaptées à chaque contexte.

Le nombre d’évènements violents impliquant les groupes islamistes militants a quadruplé dans l’ouest du Sahel depuis 2019. Les 2 800 évènements violents prévus pour 2022 sont le double de l’année précédente. La violence s’est étendue dans son intensité et sa portée géographique :

Sur les 135 districts administratifs du Mali, du Burkina Faso et de l’ouest du Niger, 84 districts, soit presque les deux tiers, ont subi des attaques des extrémistes violents en 2022. En 2017, ce chiffre était de moins d’un tiers (c’est-à-dire 40 districts).
En 2017, plus de 80 % des évènements violents s’étaient produits dans 30 districts du nord et du centre du Mali. En 2022, plus des deux tiers des évènements violents attribués à des groupes islamistes militants au Sahel se sont produits hors du Mali, la plupart au Burkina Faso.
Selon les projections, sept districts administratifs devraient subir plus de 100 évènements violents en 2022. Avant 2022, ce seuil des 100 évènements n’avait été atteint que cinq fois.

Ces tendances lugubres masquent souvent les différents contextes sécuritaires que comprennent cette région. Cinq zones distinctes émergent, chacune avec ses propres dynamiques de conflit : les Trois-frontières, le centre-nord du Burkina Faso, le centre du Mali, le sud-ouest et le sud-est du Burkina Faso et l’ouest du Niger. Conjointement, ces cinq zones subissent 70 % de la violence des islamistes militants au Sahel. Décortiquer les caractéristiques de chaque zone fournit des aperçus aux approches adaptées requises pour renverser ces tendances.

Trois-frontières

Cette zone, le Liptako-Gourma, jonche des parties du nord du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Historiquement, la région est dominée par des communautés pastorales, notamment les Peuls, mais aussi les peuples Touareg et Gourma. Cette zone est devenue l’épicentre de la violence au Sahel. Plusieurs groupes militants, y compris les restes du groupe burkinabè Ansaroul Islam, se battent sous la bannière de la coalition du Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimin (JNIM). D’autres sont alignés à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS).

Les cinq districts d’Ansongo, Gao, Oudalan, Soum et Séno représentent presque un quart des épisodes violents liés aux groupes islamistes militants au Sahel. Selon les projections, quatre de ces cinq districts devraient subir plus de 100 évènements violents en 2022.
Selon les projections, le district burkinabè d’Oudalan, sur la frontière avec le Mali et le Niger, devrait subir plus de 175 évènements violents. Pour la deuxième année consécutive, Oudalan subira la plus haute concentration de violence au Sahel.
Plus d’un tiers des civils tués en 2022 par des groupes islamistes militants au Sahel ont perdu leur vie dans un de ces cinq districts. Il est projeté que plus 340 personnes soient tuées par des groupes islamistes militants dans les districts d’Ansongo et de Séno en 2022.
Des divisions nettes se distinguent parmi les groupes islamistes militants auxquels des évènements violents sont imputables dans cette zone. La grande majorité de ces activités violentes dans l’Asongo (92 %), Oudalan (88 %) et Séno (95 %) sont liées à l’EIGS. Branche d’un groupe précédemment ancré dans la région, l’EIGS recueille une zakat (taxe) importante et coercitive dans la région des Trois-frontières. Il s’engage aussi dans le vol du bétail pour augmenter ses revenus. En revanche, les évènements à Soum, lieu de naissance d’Ansaroul Islam sont pour la grande majorité (98 %) attribués à la coalition Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimin (JNIM). Les évènements à Gao se partagent entre les deux réseaux.

Centre-nord du Burkina Faso

Cette zone a subi l’une de escalades de violence les plus rapides au Sahel. Des militants du Front de Libération du Macina (FLM), ainsi que des restes d’Ansaroul Islam, se sont introduits plus au Sud, une région plus peuplée du Burkina Faso (avec presque 3 millions d’habitants). La violence a entrainé le déplacement de presque 2 millions de burkinabè. Nombre d’entre eux ont cherché refuge dans un camp de déplacés de Kaya, la capitale régionale et la cinquième ville du Burkina Faso. D’importants gisements d’or se trouvent dans cette région, y compris au moins trois mines industrielles et des douzaines d’exploitations artisanales officiellement déclarées. Les groupes islamistes militants cherchent donc à contrôler ces sites et la source importante de revenus pour leurs activités qu’ils représentent.

En 2017, seul un évènement imputable aux groupes islamistes militants s’était produit dans les cinq districts de cette zone, c’est-à-dire Bam, Loroum, Namentenga, Sanmatenga et Yatenga. Plus de 450 évènements violents sont projetés pour 2022, représentant 16 % des évènements au Sahel.
Cette zone est devenue le site principal de l’expansion du FLM/JNIM au Burkina Faso. Les évènements liés à l’EIGS représentent moins de 10 % des évènements dans la région, mais ils se sont quasiment tous produits à Namentenga.
La violence contre les civils (les deux tiers des évènements violents ont ciblé les civils en 2019) a entrainé un déplacement massif de la population dans cette zone, permettant au FLM et aux autres groupes liés au JNIM de contrôler ce territoire.

Centre du Mali

Le Centre du Mali est, depuis 2015, un bastion du FLM, groupe dirigé par le prédicateur extrémiste Amadou Koufa. La violence perpétrée depuis lors par le FLM a dramatiquement déplacé l’insécurité au Mali depuis les régions isolées du nord vers les districts du centre, notamment de Bandiagara, Bankass, Djenné, Douentza, Koro et Mopti. Collectivement, 1,5 millions de personnes y habitent.

Pour résoudre les contentieux sur l’accès aux terres et aux ressources, Koufa a imposé une version sévère de la charia dans d’importantes parties du centre du Mali. Il y a aussi prescrit des règles de comportement strictes, surtout aux femmes. De plus, il y a fait un usage stratégique des différences intercommunales, attisant les griefs des bergers pour les recruter. Depuis cette base, le FLM a récemment conduit une montée en puissance vers l’ouest et le sud du Mali, augmentant la capacité du groupe à menacer la capitale, Bamako. Cela s’est produit après que le FLM a soutenu avec succès des éléments du JNIM qui s’étaient introduits dans le nord du Burkina Faso et, dans une moindre mesure, plus au sud dans le sud-ouest du Burkina Faso.

Globalement, les évènements violents dans cette zone représentent 14 % de ces épisodes au Sahel et 40 % des incidents au Mali. Depuis 2019, le niveau de violence dans ces districts est parmi les plus importants au Mali. Le nombre d’évènements violents a augmenté d’environ un tiers en 2020, de 50 % en 2021 et devrait encore augmenter de 33 % en 2022.
Le FLM cible habituellement les civils dans le centre du Mali. D’ici la fin de l’année, plus de 500 civils devraient, selon les projections, trouver la mort dans des évènements violents imputables aux groupes islamistes militants dans cette zone.
Tous les évènements violents qui se sont produits dans le centre du Mali en 2022 sont imputables au FLM et à Amadou Koufa. Avant que le FLM ne consolide son emprise sur les rebords du centre du Mali, une poignée d’évènements violents liés à l’EIGS s’étaient produits les années précédentes, en majorité à Douentza.

Sud-ouest et sud-est du Burkina Faso

Quasiment tous les incidents au sud-est et au sud-ouest du Burkina Faso sont attribuables à des groupes liés au JNIM. Cela reflète une longue histoire de collaboration entre les militants affiliés au JNIM avec des réseaux criminels et de trafiquants en Afrique de l’Ouest.

Sud-est du Burkina Faso. Depuis 2019, l’essor de l’activité violente imputable au JNIM a déstabilisé l’est du Burkina Faso, le long de la frontière avec le Niger. Depuis 2021, la violence s’est de plus en plus focalisée sur le district de Gourma, au centre du sud-est du Burkina Faso. Les groupes islamistes militants utilisent les parcs naturels qui s’étendent jusqu’au Niger, Bénin et Togo voisins, pour préparer des attaques sur ces pays côtiers. Cette région est aussi cruciale pour les trafiquants d’or liés au Togo, ainsi que pour d’autres bandes criminelles et de braconnage qui dépendent des routes commerciales entre les pays pour transporter de la marchandise illicite.

Selon les projections, le Gourma devrait connaitre le deuxième chiffre le plus élevé (155) d’évènements violents liés aux groupes islamistes militants au Sahel. Les districts de Boulgou et de Koulpélogo ont aussi subi une montée en flèche de l’étendue des groupes islamistes militants. Plus de 100 évènements sont projetés pour ces deux districts en 2022, alors qu’ils n’en avaient subi que 3 en 2021. Boulgou et Koulpélogo se trouvent respectivement sur les frontières du Ghana et du Togo.
Les groupes militants liés au JNIM ont ciblé les civils dans presque la moitié de leurs attaques dans le sud-est du Burkina Faso en 2022, entrainant environ 188 décès.

Sud-ouest du Burkina Faso. Les zones frontalières entre le Burkina Faso, le Mali et la Côte d’Ivoire connaissent des réseaux de trafics d’armes et de denrées bien établis. Ceux-ci accompagnent souvent les produits commerciaux qui sont transportés de la Côte d’Ivoire vers des centres commerciaux au Mali et au Burkina Faso. Cette région est aussi le lieu de nouvelles activités d’exploitation aurifère artisanale. L’augmentation de 60 % dans les attaques des militants dans cette zone pourrait être un signe que les groupes liés au JNIM tentent de capturer une partie de ces revenus.

Le district de Poni devrait subir 34 évènements violents en 2022, après n’en avoir vécu que 4 l’année précédente.

Afrique de l’Ouest côtière. Le FLM et les autres groupes liés au JNIM menacent les communautés du nord des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Les évènements violents imputables à ces groupes se sont produits dans dix districts du nord de la Côte d’Ivoire, du Benin et du Togo. Si les évènements dans cette région ne représentent qu’un petit pourcentage de la violence globale, la présence grandissante des groupes islamistes militants dans cette région n’en est pas moins inquiétante.

Ouest du Niger

Si la violence des militants au Niger ne représente que 10 % de toute la violence de la région, l’essor de l’activité violente au-delà de ses frontières menace le pays.

Afin d’augmenter son influence sur des communautés isolées, l’EIGS est le principal groupe militant qui tente d’exploiter les frontières du Niger avec le Mali et le Burkina Faso. Par ailleurs, par rapport au niveau global de violence, la violence contre les civils est beaucoup plus élevée au Niger. En effet, les groupes islamistes militants ciblent les civils dans plus de la moitié de leurs attaques dans cette zone, et ce d’autant plus que ces communautés tentent de résister à l’extorsion de l’EIGS et sa taxe zakat particulièrement abusive. Les districts de Tillia, Ouallam et Banibangou s’en sont trouvés particulièrement ravagés.

Les districts de Gothèye et Torodi sont les seuls où le JNIM opère dans l’ouest du Niger. Torodi se trouve à la frontière du Burkina Faso, où le JNIM a conduit une percée agressive, utilisant les parcs naturels et les réserves comme refuge.

Les 174 évènements violents projetés pour l’ouest du Niger en 2022 représentent une augmentation de presque 10 % comparé à l’année précédente.
Points importants à retenir

Détailler les dynamiques qui façonnent l’insécurité dans ces différents points chauds permet de discerner des informations précieuses sur la trajectoire générale de la violence des groupes islamistes militants au Sahel. Cela permettra aussi de mieux aligner les ressources aux stratégies d’atténuation. Plusieurs points importants à retenir s’en distinguent :

Trois zones, le centre du Mali, les Trois-frontières et le centre-nord du Burkina Faso, subissent plus de la moitié (55 %) des évènements violents dans la région. Cela souligne l’importance du centre du Mali en tant que base et de région de préparation pour attaquer les zones voisines.
Les groupes islamistes militants au Sahel continuent d’exploiter les régions frontalières où ils peuvent tirer profit d’une moindre présence sécuritaire. Ainsi, les districts frontaliers ont subi 65 % des incidents violents décomptés en 2022.
Étant donné des niveaux de violence en augmentation, les frontières exposées demeurent particulièrement vulnérables, notamment au Niger et pour les pays côtiers.
La prise pour cible des civils semble être une tactique délibérée pour intimider les communautés locales afin de les forcer soit à coopérer, soit à fuir. Cela donne aux groupes islamistes militants à la fois plus de force et de contrôle territorial.
Au moins une partie de la violence contre les civils cherche à contrôler les revenus aurifères et des réseaux de trafiquants, reflétant la nature de plus en plus criminelle de l’activité des groupes militants dans plusieurs de ces zones.

Ressources complémentaires

Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « L’insurrection islamiste aux portes de Bamako », Infographie, 30 août 2022.
Michael Shurkin, « Renforcer la stratégie sahélienne de contre-insurrection », Bulletin de la sécurité africaine No. 41, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, août 2022.
Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Le Sahel et la Somalie sont à l’origine de l’augmentation de la violence des groupes islamistes militants en Afrique », Infographie, 15 août 2022.
Leif Brottem, « La menace croissante de l’extrémisme violent en Afrique occidentale côtière », Éclairage, 1er avril 2022.
Daniel Eizenga et Wendy Williams, « Le puzzle formé par le JNIM et les groupes islamistes militants au Sahel », Bulletin de la sécurité africaine No. 38, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, décembre 2020.
Pauline Le Roux, « Répondre à l’essor de l’extrémisme violent au Sahel », Bulletin de la sécurité africaine No. 36, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, décembre 2019.