18 clandestins africains sont morts vendredi, lorsque près de 2000 migrants ont tenté de pénétrer par la force dans l’enclave espagnole. Analyse des multiples implications d’un phénomène hors contrôle.
Respectivement peuplées de 84 000 et 87 000 personnes pour une superficie n’excédant jamais les 20 kilomètres carrés, les villes autonomes espagnoles de Ceuta et Melilla sont des plaques tournantes de l’immigration au niveau méditerranéen. Faisant partie, avec plusieurs îlots et archipels, des « places de souveraineté » de notre voisin ibérique, elles constituent la seule frontière terrestre entre Europe et Afrique, au niveau du Maroc.
À ce titre, elles sont régulièrement au cœur de l’actualité en raison des tentatives de passage de plusieurs centaines, voire milliers d’immigrés clandestins qui cherchent à en franchir la frontière. Cette dernière est lourdement protégée par un système de murs, fossés, barbelés, caméras et autres capteurs, dispositif que le gouvernement de Pedro Sánchez (Parti socialiste ouvrier espagnol) a récemment cherché à alléger.
Lors de la grande crise de 2015, la voie espagnole a été reléguée au second plan, lorsque les vagues migratoires ont davantage touché la Grèce et l’Italie. Néanmoins, à partir de 2017-2018, Ceuta et Melilla ont de nouveau été au centre de ces routes si problématiques pour les États européens. D’origine maghrébine, subsaharienne mais aussi sahélienne, ces clandestins se retrouvent également au milieu d’un imbroglio diplomatique entre Madrid, Rabat et Alger.
Les tragiques événements du 24 juin
Illustration la plus récente de cette crise entre ces trois nations : ce vendredi 24 juin, environ 2 000 clandestins venus d’Afrique subsaharienne ont tenté un assaut sur la frontière (ce que les médias espagnols appellent généralement salto a la valla) entre le Maroc et Melilla. Selon les derniers décomptes, 49 gardes civils espagnols ont été blessés alors qu’ils tentaient de les en empêcher, tout comme 140 de leurs collègues marocains. Plus médiatique encore : 63 clandestins ont eux aussi subi des blessures et au moins 18 seraient morts – dont 13 après avoir été transportés à l’hôpital. Il semblerait que ce soit surtout l’action musclée des garde-frontières marocains qui soit en cause, même si le président du gouvernement espagnol a officiellement remercié Rabat pour son action.
L’inhumation des cadavres dans des fosses communes du côté de Nador, à proximité de Melilla, a envenimé le débat. D’ailleurs, les réactions indignées de part et d’autre de la frontière n’ont pas manqué. Les défenseurs des droits de l’homme marocains ont multiplié les messages sur les réseaux sociaux tandis qu’en Espagne, la gauche « radicale » a fait part de sa colère. Gouvernant le pays en coalition avec le PSOE depuis janvier 2020, l’alliance Unidas Podemos, jadis dirigée par Pablo Iglesias, n’a pas digéré ces remerciements de Pedro Sánchez eu égard au décès d’une vingtaine d’immigrés. Ione Belarra, secrétaire générale de Podemos et ministre des Droits sociaux, s’exprimait ce 25 juin en affirmant que le respect des droits de l’homme devait être une priorité pour Madrid en matière de politique étrangère. Elle ajoutait qu’il était urgent de « repenser le modèle migratoire et l’externalisation des frontières ».
Des polémiques de tous les côtés
Il faut dire qu’Espagne et Maroc ont récemment scellé un nouveau pacte dans ce domaine. En échange de la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental (ancienne colonie espagnole secouée par des troubles séparatistes, sous la houlette du Front Polisario), le royaume chérifien a accepté de reprendre son rôle de régulateur des flux migratoires en direction de l’Espagne. Quant à l’Algérie, alliée traditionnelle du Front Polisario, elle est depuis lors en froid avec le gouvernement de Pedro Sánchez et a mis en place une batterie de sanctions à l’égard de l’Espagne. Le Maroc accuse justement son voisin maghrébin de ne plus contrôler la frontière commune et de faciliter le passage de clandestins en provenance du sud du Sahara.
Cependant, au sein même de l’Espagne, Unidas Podemos a fini, une fois de plus, par se taire pour ne pas trop faire tanguer un gouvernement de coalition fragile. Cette alliance, minoritaire aux Cortes Generales (Parlement central espagnol) et faite de bric et de broc, fonctionne depuis 2020 sur ce mode : à chaque décision ou déclaration polémique de l’aile socialiste de l’exécutif, la gauche « radicale » pousse des cris d’orfraie, exigeant un retour aux fondamentaux. Par la suite, elle accepte de ne pas rompre avec le PSOE en échange de concessions plus ou moins symboliques. La dernière en date concerne la « loi trans », texte porté par la ministre de l’Égalité Irene Montero (Unidas Podemos) qui doit notamment ouvrir la voie à l’autodétermination de genre. Une telle mesure a pourtant été critiquée par le secteur féministe du PSOE, dont l’ancienne vice-présidente du gouvernement Carmen Calvo était la figure de proue.
Un débat appelé à se poursuivre
Quoi qu’il en soit, la pression migratoire ne devrait pas faiblir aux portes de l’Espagne dans les mois et années à venir. Ceuta et Melilla ne sont, en effet, pas les seuls territoires concernés : outre les provinces du littoral andalou, les îles Baléares et Canaries doivent elles aussi faire face à ce problème.
À dix-huit mois des prochaines élections générales, et après plusieurs scrutins régionaux désastreux pour le PSOE et Unidas Podemos, la thématique migratoire très préoccupante pourrait favoriser électoralement la droite…