L’accueil de réfugiés afghans (notamment par la Belgique) devrait être une priorité. Mais les considérations humaines et humanitaires sont encore trop souvent reléguées au second plan.
Depuis la prise de Kaboul par les Talibans le 15 août, l’Afghanistan fait la Une des médias. Et quelle Une ! C’est d’abord une crainte pour nos propres intérêts, plutôt qu’une quelconque solidarité avec une population afghane en détresse, qui est souvent évoquée. On a tous vu cette image de l’aéroport de Kaboul pris d’assaut par des Afghans désespérés, tentant de prendre leur envol avec un avion de l’US Air force. Comment pouvons-nous y rester insensibles ? Il n’y aura donc toujours que dans le dictionnaire que nous retrouverons l’hospitalité avant l’hostilité ?
En effet, la plupart des mass médias relatent d’abord le coût de l’intervention des troupes étrangères que la guerre en Afghanistan a engendré (tout ça pour ça…), puis, s’inquiète de l’image que l’Occident renvoie. Ensuite, la « menace » d’une hypothétique vague migratoire en Europe est redoutée. D’où viennent ces leitmotivs ? Des discours de nos dirigeants, notamment.
Le discours français oublie l’Afghan lambda
Pour commencer, décryptons nos voisins français. L’allocution du Président suivant la prise de la capitale afghane mériterait à elle seule une analyse politico-langagière. Résumons. Dans un premier temps, Macron rappelle que l’intervention française, conséquence des attentats du 11 septembre 2001, avait pour but de soutenir leurs « amis et alliés américains » et de protéger le sol français d’une menace terroriste. Au vu des attentats qui ont suivi (Madrid 2004, Londres 2005, Paris 2015, Bruxelles, Nice et Berlin 2016), vos lèvres ont tout à fait le droit d’esquisser un rictus.
Macron soulève ensuite les « liens d’amitiés anciens » entre les peuples français et afghan ; ce dernier étant touché par « une catastrophe humanitaire ». Mais l’urgence, c’est d’abord de rapatrier les compatriotes, puis, quand même, les Afghans ayant travaillé pour la France. Quid des Afghans lambda, pères et mères de famille, frères, sœurs, victimes (en devenir) d’un régime taliban rigoriste ?
Ici, ça se corse. Car il faudra tout de même « se protéger contre les flux migratoires irréguliers importants ». On y revient, à cette menace se rapprochant de nous, telle la Grande Faucheuse assombrissant le ciel européen. Et donc, on ne va pas vraiment proposer des voies migratoires sûres et légales, non, on va plutôt coopérer avec d’autres pays tels que le Pakistan, la Turquie et l’Iran. Là-bas, les migrants afghans auront le droit de « vivre dans la liberté et la dignité », s’ils le veulent… Mais à quel prix ?
America first !
Du côté américain, la prise de parole de Joe Biden commence également par la justification de l’intervention militaire : trouver des coupables et protéger le sol américain, mais, en aucun cas, y implanter une démocratie. Puis, le Démocrate pointe du doigt une armée et des dirigeants afghans lâches et incapables de résister à la folie furieuse des Talibans… Malgré la transmission des super-compétences de l’Oncle Sam. Bon, quand même, les Droits de l’Homme devront être au cœur de la diplomatie américaine mais, encore une fois, il faut d’abord évacuer le personnel américain et ses alliés… Et que les Talibans prennent gardent : la Maison Blanche promet une réponse dévastatrice si ses opérations sont entravées ! Heureusement, Biden exprime finalement sa tristesse face à cette situation. Mais surtout, que God bless l’Amérique.
L’attentisme belge
Côté belge, les déclarations publiques sont toujours plus mesurées, moins conquérantes. En pratique, le plat pays s’affaire, comme d’autres, à l’évacuation des personnes éligibles (dont Belges, membres de leur famille, activistes, ex-collaborateurs). Un centre de crise est mis en place par le ministère des Affaires étrangères. Quant aux retours forcés au pays de Massoud, ils sont temporairement suspendus. Il en est d’ailleurs de même de « l’évaluation du besoin de protection subsidiaire » et des demandes d’asile ultérieures des Afghans. En cause : « la difficulté d’évaluer la situation d’ici à quelques semaines », explique le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA). Une boule de cristal ne semble pourtant pas nécessaire pour deviner que l’Afghanistan n’est pas près de devenir un havre de paix.
David contre Goliath
Et après le 31 août, que se passera-t-il ? Le G7, réunissant sept des plus grandes puissances au monde, n’a pas réussi à obtenir de Biden qu’il négocie, avec le groupuscule que forment les Talibans, une prolongation du délai pour les retraits des troupes et donc, des évacuations. Un trop-plein d’orgueil américain ou une peur de représailles ? Quoi qu’il en soit, cela laisse à penser l’image d’un David contre Goliath…
Et donc, après le 31 août, il est fort à parier que les attitudes de repli sur soi reprennent le dessus. La Belgique contribuera sans doute toujours à l’effort collectif de la protection et de la sécurisation des frontières européennes. La devise de l’Union, « Unie dans la diversité », semble sélective…
Et pourtant. Jetons un œil aux statistiques belges en matière d’asile, publiées par le CGRA depuis 2007. Cela fait 14 ans que l’Afghanistan est dans le « Top 10 des nationalités » ayant introduit une première demande d’asile en Belgique. 14 ans, c’est déjà toute une vie. Et c’est depuis bien plus longtemps que Kaboul est le terrain de jeu de puissances étrangères, où le repos du guerrier est digne d’un insomniaque.
Les Droits de l’Homme ne tolèrent aucun « oui mais… »
Pour ces 14 années, cela fait environ 25.978 Afghans qui ont introduit une première demande d’asile en Belgique. 25.978, c’est environ 0,23 % de la population belge. Cela a-t-il impacté négativement votre petite vie confortable ? Dans l’affirmative, cela donnerait, peut-être, matière à discuter en termes de méfiance envers l’Autre, différent, mais non moins Être humain. Dans la négative, rappelons que s’opposer à l’accueil de l’Autre, c’est remettre en cause, à notre échelle individuelle, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, et notamment l’article 14 : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ». Et non, en matière de Droits de l’Homme, il n’y a pas de « Oui, mais » qui vaille.
Nous étions outrés lorsque Trump annonçait la construction d’un mur à la frontière mexicaine, alors que celui d’Erdogan, aux portes de l’Europe, ne suscite que très peu de réactions… Pourquoi ? Il Nous protège mieux, sans doute. Mieux de cette « misère du monde » que nous ne pouvons probablement pas accueillir dans sa totalité.
Un devoir moral d’hospitalité
Mais pensez-vous que si la Belgique accueillait, par exemple, 25.978 Afghans supplémentaires, votre vie en serait davantage impactée ?
Je suis en tout cas au regret de vous annoncer que si nous accueillons ces 25.978 personnes supplémentaires, les sinistrés des inondations ne seront pas moins secourus et « nos SDF » n’en seront ni plus ni moins mis à l’abri.
Pour étayer cet article, j’allais encore vous citer quelques chiffres et sources scientifiques. Ceux-ci pour vous prouver que, bien qu’ils soient souvent contestés, les apports de la migration sont bel et bien avérés. Que si nous accueillons quelques Afghans désespérés, ils occuperont des emplois dans des secteurs en pénurie, ils contribueront aux finances publiques ou encore qu’ils ne participeront pas à l’augmentation du taux de criminalité en Belgique.
Je me suis ravisée. Je me suis dit qu’être en faveur des Droits de l’Homme ne devrait même plus, en 2021, être remis en question. Avancer des arguments en faveur de l’immigration, c’est aussi, en quelque sorte, adopter le même discours que nos dirigeants lorsqu’ils préconisent une immigration davantage choisie. En bref, il s’agit de sélectionner les meilleurs embryons qui contribueront au bien-être de nos sociétés occidentales. Mais l’accueil de l’Autre, lui, ne devrait pas être conditionné, il devrait simplement être universel.
Soit, le devoir moral d’hospitalité, ça ne devrait même pas se discuter.