S’adressant mardi au Conseil de sécurité, Volker Perthes, Représentant spécial de l’ONU pour le Soudan, a salué le début d’une nouvelle dynamique politique dans le pays mais aussi déploré une dégradation constante de sa situation économique ainsi que des incidents affectant la sécurité des civils, sur fond « d’accroissement exponentiel des besoins humanitaires et socioéconomiques ».
« Cette situation continuera à empirer tant que l’on n’aura pas trouvé une solution pour restaurer un gouvernement civil crédible et fonctionnel, a-t-il déclaré, un gouvernement qui puisse rétablir l’autorité, et parfois la simple présence de l’Etat dans le pays, créant ainsi les conditions d’une reprise du soutien financier international, incluant un allègement de la dette ».
Sans cacher que cette solution n’est en rien garantie, Volker Perthes, qui est également le chef de la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan ( UNITAMS), a préconisé un nouvel accord politique qui initierait « une nouvelle période transitoire propice à l’avènement d’une gouvernance démocratique menée par des civils ».
Usage excessif de la force contre des manifestants
En dix mois depuis le coup d’Etat au Soudan, 117 personnes ont été tuées et des milliers d’autres blessées en raison de l’usage parfois excessif de la force contre des manifestants.
Le Représentant spécial note toutefois des points positifs et des efforts pour réaliser les objectifs de la Révolution de Décembre 2018, parmi les jeunes, les femmes, les organisations professionnelles et syndicales, avec par exemple la création d’un syndicat de journalistes indépendants et le retour sur la scène politique d’acteurs politiques, dont près de 20 organisations non gouvernementales, proches de l’ancien régime.
Autre gage d’optimisme, l’annonce par les militaires, suite à des actes de violence sur les manifestants le 4 juillet, de leur intention de se retirer de la politique. Cette décision, si elle est suivie d’effet, pourrait encourager la montée en puissance des forces civiles, au moment où divers acteurs de la société civile et politique, certains préconisant le rapprochement entre les partis qui soutenaient le gouvernement Hamdock, d’autres toujours liés au régime d’Omar al-Béchir, sollicitent le soutien du Mécanisme trilatéral, constitué de l’UNITAMS, de l’Union africaine et de l’IGAD.
Volker Perthes note qu’en dépit de points en suspens, notamment la définition des pouvoirs à l’intérieur du gouvernement, la place de l’armée dans l’équation et une réponse judiciaire demandée par « la rue » après les violences, les forces armées et les civils disposent d’une opportunité de résoudre cette crise politique, avec l’aide du Mécanisme trilatéral qui promeut en particulier une nouvelle participation significative des femmes au dialogue politique.
La situation des droits humains ne s’améliore pas
« En attendant, regrette-t-il, l’impasse continue et la situation des droits humains ne s’améliore pas ». Le vide de l’autorité de l’Etat à Khartoum contribue à l’instabilité dans le reste du pays, illustrée, sur fond de blocage des pourparlers entre le gouvernement et le SPLM-N (Sudan People’s Liberation Movement – North), par le regain des violences dans le Darfour et le Nil bleu, avec 40 incidents entre le 24 mai et le 28 aout 2022 qui ont causé la mort de 338 civils dont cinq femmes et cinq enfants.
Conscient de l’inefficacité de multiples tentatives de médiations dans la région en l’absence d’une autorité d’Etat effective, Volker Perthes demande en outre à toutes les communautés de respecter les engagements, les accords de paix de Juba et les protocoles touchant les causes du conflit au Darfour, qu’il s’agisse de la répartition des richesses, de la justice ou la réforme agraire, tout en évitant les appels à la haine. Il exhorte par ailleurs les autorités à combler ces failles, « car la responsabilité de la protection des civils est entre leurs mains ».
Paralysie politique
Le Représentant spécial rappelle ainsi que les besoins humanitaires atteignent des niveaux record en raison de l’effet combiné de l’instabilité politique, de la crise économique, des violences, des mauvaises récoltes auxquels s’ajoutent les récentes inondations.
11,7 millions d’habitants, chiffre provisoire, sont menacés d’une crise alimentaire aigue, aggravée par l’augmentation insoutenable des prix des aliments. Il note aussi que les Nations Unies et leurs organisations partenaires ont pu secourir 7,1 millions de personnes depuis janvier dernier mais que le plan de riposte humanitaire de 2022 n’est pour l’instant financé qu’à hauteur de 32%.
Volker Perthes, tout en appelant à un plus grand soutien à l’effort de l’ONU, a décrit les multiples réalisations de l’Organisation, en particulier le travail de stabilisation et de renforcement de la résilience effectué au Darfour grâce à des programmes intégrés répondant aux risques dus au changement climatique et à l’insécurité alimentaire locale.
L’UNITAMS participe en outre à l’application du plan national pour la protection des civils, forme 400 membres de la police soudanaise et plus de mille civils aux questions de violences sexuelles et liées au genre. Quant à sa commission du cessez-le-feu permanent, elle contribue à la désescalade des tensions entre les parties à l’Accord Juba.
Mais le Représentant spécial craint que les efforts de l’UNITAMS en vue d’une transition ne soient endigués ou compromis par la paralysie politique actuelle, et appelle tous les acteurs à forger « un accord crédible aux yeux de la population, soutenu « de manière cohérente et coordonnée par le Conseil de sécurité et la communauté internationale ».