Depuis le 18 août, des militaires se sont emparés du pouvoir au Mali, en poussant le président Ibrahim Boubacar Keïta à la démission. Des événements qui rappellent le coup d’État déclenché en mars 2012 par une rébellion de militaires en colère. Mais selon la politologue Niagalé Bagayoko, la junte actuelle a un profil différent de celle qui avait pris le pouvoir il y a huit ans. Elle s’est, selon elle, mieux organisée et préparée au coup d’État.
Mardi 18 août, des militaires ont pris le pouvoir au Mali. Ils ont arrêté le président malien Ibrahim Boubacar Keïta et son premier ministre, Boubou Cissé mais aussi d’autres responsables civils et militaires. Contesté par la rue depuis plusieurs mois, le président déchu a dans la nuit suivante annoncé sa démission, sous la pression de l’armée, pour éviter, selon lui, que du “sang ne soit versé”. Depuis, la junte a promis une transition politique et des élections générales dans un pays en proie à une crise politique et à des violences jihadistes.
Cette prise de pouvoir a été condamnée à l’échelle internationale, notamment par la Cédéao, l’organisation régionale de l’Afrique de l’Ouest, l’ONU, l’Union européenne et la France, qui a déployé plus de 5 000 militaires au Sahel dans le cadre de l’opération antijihadiste Barkhane. De leur côté, les pays voisins du Mali, qui réclament le “rétablissement” du président Keïta, ont envoyé une délégation de la Cédéao à Bamako. Si aucun accord sur la transition politique n’a été trouvé pendant cette rencontre avec la junte militaire, la Cédéao plaide pour l’instauration d’une transition limitée à environ un an ou moins et menée par une personnalité civile.
Jeudi, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), l’instance créée par les putschistes, a finalement libéré l’ex-président Keïta, conformément à la demande de la communauté internationale. Cette décision survient alors que les chefs d’État de la Cédéao se réuniront vendredi pour examiner le maintien, la levée ou le renforcement des sanctions, en fonction des négociations avec les membres de la junte.
Pour Niagalé Bagayoko, politologue et présidente de l’African Security Sector Network, l’arrivée de ces putschistes au pouvoir se distingue, par leurs méthodes, de celle de la junte militaire qui avait renversé l’ex-président Amadou Toumani Touré, le 21 mars 2012, après dix ans au pouvoir. D’après elle, le contexte sécuritaire au Mali a également évolué, notamment avec le renforcement des groupes jihadistes.
Quelles différences constatez-vous entre le profil des membres de la junte qui avait pris le pouvoir en 2012 au Mali et celui des putschistes actuels ?
Le coup d’État de 2012 avait été perpétré par des officiers subalternes ou par des sous-officiers proches d’officiers subalternes. En revanche, la junte qui a pris le pouvoir 18 août dernier est composée d’officiers qui ont occupé des postes à responsabilités.
Par ailleurs, la junte actuelle connaît les normes internationales et sait les utiliser. Le discours porté aussi bien par la junte que par certains éléments du Mouvement du 5-juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) [un mouvement d’opposition] va par exemple dans le sens des ambitions de la Cédéao, qui souhaite se rapprocher des peuples. C’est pourquoi les putschistes affirment que le Mali n’a pas vécu un coup d’État mais une révolution populaire qui, pour aboutir, a bénéficié du soutien de l’armée. C’est une manière de dire que la Cédéao est confisquée par l’influence de certains chefs d’États comme Alassane Ouattara ou Alpha Condé, qui prennent des positions destinées à asseoir leur pouvoir en interne. La junte actuelle s’appuie ainsi sur un fort mouvement d’adhésion populaire.
La prise du pouvoir par la junte actuelle a-t-elle été favorisée par des liens étroits entre l’armée et la classe politique ?
En 2012, le coup d’État a opposé les bérets rouges, autrement dit les commandos parachutistes qui constituaient l’unité d’élite de l’armée malienne, et les bérets verts, constitués par la junte. À l’époque, celle-ci s’estimait marginalisée et mal considérée en raison des privilèges accordés aux bérets rouges. Si aujourd’hui, cette opposition entre les bérets rouges et les bérets verts n’existe pas, d’autres oppositions existent.
L’armée malienne n’est absolument pas un appareil monolithique. Elle est traversée par des affiliations corporatistes qui ne sont pas les mêmes qu’en 2012. Dans le cadre du renforcement des capacités militaires, de nouvelles unités ont été créées et renforcées au détriment d’autres. Elles ont été beaucoup plus équipées et armées. Parallèlement à ce renforcement des capacités, des liens se sont noués avec différents courants au sein de la classe politique. La commission de Défense et de sécurité à l’Assemblée nationale a par exemple été présidée par Karim Keïta, le fils d’Ibrahim Boubacar Keïta. En outre, Oumar Mariko, l’un des leaders du M5-RFP, était à l’époque du coup d’État de 2012 très proche de la junte. Cette personnalité politique a gardé à l’évidence des relations au sein de l’armée. Ce phénomène a créé des solidarités et des connivences qui sont aujourd’hui potentiellement belligènes.
En quoi le contexte sécuritaire diffère-t-il de celui de 2012 ?
Le contexte sécuritaire s’est très largement complexifié sur le plan sécuritaire. Certes, il était déjà compliqué en 2012 mais au fil du temps, la situation s’est dégradée. Les acteurs de violences se sont multipliés : les groupes d’autodéfense, les milices communautaires, les bandits armés ou encore les acteurs criminels. S’ajoutent aussi les groupes jihadistes, qui eux-mêmes ne font plus front uni et s’affrontent les uns contre les autres. Les groupes armés les plus puissants ne sont donc plus les mêmes qu’en 2012.
Êtes-vous inquiète pour le Mali depuis l’arrivée de cette junte au pouvoir ?
Selon moi, ce coup d’État apparaît comme une strate supplémentaire de la crise multidimensionnelle dans laquelle la région s’enfonce. Elle traduit un échec collectif des autorités nationales mais aussi des communautés africaine et internationale. Le Mali se heurte à un type de crise qui n’a pas été anticipé par la Cédéao et par l’Union africaine. Elles étaient davantage préparées aux guerres civiles qu’à ce type de prise de pouvoir.