En Ethiopie, les tensions avec la communauté humanitaire s’exacerbent

Sur fond de famine et de conflit, les personnels onusiens sont accusés d’ingérence dans les affaires internes par Addis-Abeba.

La communauté humanitaire en Ethiopie peine à encaisser l’onde de choc provoquée par l’expulsion de sept responsables onusiens, dimanche 3 octobre. « C’est une claque magistrale », lance le responsable d’une organisation présente à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne. Accusés d’ingérence dans les affaires internes du pays, les hauts responsables de l’Unicef, du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, et du Bureau de la coordination des affaires humanitaires, ont été déclarés persona non grata. Une décision extrêmement rare à une telle échelle.

Cette sentence illustre le gouffre qui s’est creusé entre les humanitaires et les autorités d’Addis-Abeba depuis le début de la guerre du Tigré, en novembre 2020. Dès les premiers mois du conflit, le gouvernement d’Abiy Ahmed avait accusé sans preuves des ONG de livrer des armes aux rebelles de la province du nord. En août, les activités des organisations telles que Médecins sans frontières ou le Norwegian Refugee Council ont été suspendues. Cette fois, les autorités éthiopiennes reprochent aux responsables des agences onusiennes de détourner de l’aide et du matériel de communication au profit des rebelles, mais également de politiser la crise humanitaire.

Celle-ci ne fait pourtant que s’accroître. Au Tigré, plus de 400 000 personnes ont « franchi le seuil de la famine », selon les dernières estimations de l’ONU, et 5,2 millions d’individus ont besoin d’assistance. Et le conflit déborde désormais sur les deux régions voisines, Afar et Amhara.
La famine, « une corde hypersensible »

Selon plusieurs sources diplomatiques à Addis-Abeba, les sept responsables ont fait les frais des récentes prises de position du secrétaire général adjoint des Nations unies aux affaires humanitaires, Martin Griffiths. Ce dernier a pointé du doigt le gouvernement éthiopien, responsable, selon lui, « d’un blocus humanitaire de facto », rappelant que seulement 11 % de l’aide alimentaire nécessaire a pu être acheminée au Tigré depuis fin juin. Il a aussi fait allusion à la grande famine de 1984 en Ethiopie, espérant « qu’un drame similaire n’est pas en train de se reproduire ».

« La famine, c’est une corde hypersensible pour les autorités éthiopiennes », rappelle un humanitaire présent en Ethiopie qui s’exprime sous couvert d’anonymat. L’autocensure dure depuis plusieurs mois. Une forme de victoire pour Addis-Abeba, qui tient à faire taire les voix dissidentes. Dina Mufti, le porte-parole du ministère des affaires étrangères, s’est d’ailleurs félicité de l’expulsion des responsables onusiens, affirmant qu’elle servirait « de leçon » aux autres personnels humanitaires.

Dans l’immédiat, ces expulsions ne devraient pas avoir de répercussions sur les opérations d’acheminement de l’aide au Tigré. « En décapitant la tête pensante de son agence humanitaire, l’Ethiopie enlève plutôt à l’ONU sa force de négociation », résume un autre travailleur humanitaire.

Les Etats-Unis et cinq pays européens ont demandé une nouvelle réunion dès cette semaine – et cette fois publique – du Conseil de sécurité de l’ONU. « L’institution devra fermement condamner cette décision spectaculaire, au risque de créer un dangereux précédent », assure un diplomate occidental. Depuis le début de la guerre du Tigré, les membres du Conseil ont échoué à s’entendre, en raison des blocages opposés par certains pays comme la Russie.