SCÉNARIO. L’échec des Américains et de la communauté internationale relance le débat sur la présence des troupes internationales au Mali et au Sahel.
Ce 18 août, cela fait un an jour pour jour que le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a été chassé du pouvoir après des manifestations soutenues par les mouvements d’opposition, sur fond de lutte contre la corruption et face à l’impuissance de l’État pour contrer la violence. Cet anniversaire était l’occasion pour les Maliens de dresser un bilan de l’année écoulée, de faire le point sereinement sur les avancées et les attentes, mais les événements en Afghanistan, soit à plus de 8 000 kilomètres ont tout chamboulé.
Pourquoi ? Parce qu’ils viennent cruellement rappeler au Mali qu’il est déjà passé tout près de ce scénario en 2012, lorsque les rebelles occupaient les deux tiers du territoire national et qu’il a fallu l’intervention de l’opération Serval pour pouvoir stopper leur progression. Neuf ans plus tard, le constat est amer, des villes entières du nord et du centre du Mali pourraient basculer aux mains des djihadistes et le spectre d’une chute de Bamako n’est pas à exclure surtout à l’aune du désengagement partiel français.
Des parallèles évidents
Une des explications qui crédibilise de plus en plus le scénario afghan est l’absence de l’État sur l’ensemble du territoire malien, sans compter l’instabilité politique, la corruption endémique ou encore les insuffisances de l’armée malienne malgré le soutien de la communauté internationale.
De nombreux Maliens veulent croire que l’arrivée des talibans va susciter une prise de conscience chez les autorités de transition afin qu’elles accélèrent les réformes, notamment celles qui concernent directement l’armée.
Pour l’instant, le Mali est très loin d’avoir avancé sur ces nombreux dossiers et la situation semble inextricable. Après le coup d’État du 18 août qui a porté les militaires au pouvoir, l’horizon ne s’est en rien éclairci, pire, il y a eu un deuxième coup d’État, le 24 mai 2021. Sur le plan de l’insécurité, les attaques sont toujours aussi nombreuses, début août puis la semaine dernière, il y a eu plusieurs massacres de civils dans la région de Gao. Des villages, des hameaux entiers sont pour un certain nombre déjà entre les mains des groupes djihadistes qui appliquent la charia, font la loi et qui administrent la vie des populations.
Sur le plan politique, les décisions progressent très lentement. Il n’y a pas eu non plus d’embellie sur le plan économique, bien que le pays ait bien résisté aux effets de la crise sanitaire mondiale. Sur le plan social, le Mali est bouillonnant. Des mouvements de grèves, des manifestations pour réclamer de meilleures conditions de vie pour les travailleurs du public comme du privé ont lieu régulièrement dans tout le pays.
Le souvenir de 2012-2013
« Retrait annoncé de la force française sur le sol malien : faut-il s’attendre au même scénario qu’à Kaboul », titrait expressément mercredi le journal Le Soir de Bamako, devant l’effondrement subit du régime afghan face aux insurgés talibans après le retrait militaire américain.
En 2013, les soldats français avaient enrayé la progression des djihadistes, qui contrôlaient le nord du Mali et progressaient vers le centre, faisant craindre la prise de Bamako. Après plus de huit ans d’engagement, Paris prévoit de fermer d’ici le début de 2022 les bases de Kidal, Tessalit et Tombouctou, dans le Nord.
La question du retrait français relancée
La France devrait maintenir à terme entre 2 500 et 3 000 hommes dans la région, contre 5 100 engagés aujourd’hui au Sahel. Une diminution qui fait craindre que certaines zones ne passent complètement aux mains des djihadistes, tant les États locaux semblent dans l’incapacité de restaurer leur autorité dans ces vastes bandes désertiques et extrêmement pauvres.
« Chaque année la situation se dégrade et sans la présence de l’armée française, une ville comme Gao peut tomber en moins de 30 minutes… Ce n’est que grâce au dispositif sécuritaire des partenaires [principalement des forces françaises et de l’ONU, NDLR] que les grandes villes du Nord sont toujours sous contrôle de l’État », souligne Mohamed Dicko, 24 ans, étudiant à la faculté de médecine de Bamako, cité par l’AFP.
Les violences au Mali, qui ont débuté par des rébellions indépendantistes puis djihadistes dans le Nord, se sont ensuite propagées au centre et au sud du pays, se mêlant à des conflits intercommunautaires et à des attaques crapuleuses dans des zones où l’influence de l’État est très faible.
Le phénomène s’est étendu au Burkina Faso et au Niger voisins, où opèrent également des groupes affiliés à Al-Qaïda ou à l’organisation État islamique.
La psychose gagne le Sahel
« Une psychose générale s’installe dans la région, mais les contextes sahéliens et afghans sont très différents. Une leçon est commune toutefois : malgré la puissance de feu déployée, le tout militaire ne peut pas être la solution », estime Baba Dakono, analyste politique basé à Bamako. « Il faut ouvrir des discussions, par le bas, avec toutes les communautés, y compris les parias des groupes armés. La question idéologique n’occupe qu’une portion congrue de leurs discours. Il y a surtout des revendications politiques, des frustrations contre l’État », dit-il.
Les Maliens et leurs partenaires conviennent de longue date que le pays ne sortira pas de la tourmente sans solution politique, qu’elle implique ou non des discussions avec les djihadistes, auxquels les militaires au pouvoir sont ouverts et la France opposée.
Mais le pessimisme règne un an après le putsch qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta. Le nouveau président, le colonel Assimi Goïta, s’est engagé à céder la place à des civils, après des élections prévues en février 2022, une échéance qui paraît de plus en plus difficilement tenable et qu’il n’a même pas évoquée mardi soir, lors d’une allocution télévisée célébrant l’anniversaire du coup d’État. Il s’est contenté de promettre « des élections transparentes aux résultats incontestables ».
Le colonel Goïta a écarté en mai 2021 les autorités intérimaires que les militaires avaient eux-mêmes mises en place, et s’est imposé en juin comme président de la transition à l’issue du deuxième coup d’État.
Pour Moussa Tchangari, une figure de la société civile au Niger, « au Sahel, la guerre en cours ne peut pas être gagnée avec les mêmes armées étrangères qui ne l’ont pas gagnée en Afghanistan, mais aussi, avec le même type de dirigeants corrompus ». « Cette guerre, si elle doit être gagnée, ne le sera qu’avec la construction d’un nouveau contrat politique et social restituant au peuple sa souveraineté et créant les conditions d’une vie digne pour les millions de personnes qui en sont aujourd’hui privées », a-t-il insisté.