Dans le bus de l’ONU qui le rapatrie, Yacouba Dialo est heureux de rentrer en Centrafrique après six ans réfugié dans un camp au Cameroun, mais il peste de ne pouvoir voter dans trois semaines pour élire le président et les députés de son pays, ravagé par sept années de guerre civile.
Un quart des habitants de cet État parmi les plus pauvres de la planète ont fui leur domicile depuis le début, en 2013, d’un conflit marqué par de terribles violences entre populations chrétienne et musulmane et 675.000 restent à ce jour réfugiés dans les pays limitrophes, selon l’ONU.
Parmi eux, quelque 300.000 en âge de voter ne pourront participer aux scrutins présidentiel et législatif du 27 décembre, comme ils l’avaient pourtant fait en 2015-2016.
“Nous nous sentons exclus des élections”, s’emporte Yacouba, 27 ans, en quittant avec 200 de ses compatriotes le gigantesque camp de Gado-Badzéré dans l’est du Cameroun et ses milliers de tentes du HCR, l’agence de Nations unies pour les réfugiés.
Plus de 24.000 Centrafricains s’y entassent sur 55 hectares. Ce convoi de quatre bus, début décembre, est le premier à quitter Gado-Badzéré depuis longtemps, le HCR réactivant les retours volontaires après des mois de suspension pour cause de covid-19.
- Guerre civile –
Le sortant Faustin Archange Touadéra, élu en 2016, fait figure de grand favori de la présidentielle dans un pays où la guerre civile perdure même si elle a baissé d’intensité et encore aux deux-tiers sous la férule de chefs de guerre.
Depuis un coup d’État en 2013, des groupes armés dominés par les musulmans et des milices à majorité chrétiennes et animistes ont mis le pays à feu et à sang, accusés par l’ONU de crimes de guerre et contre l’Humanité. Combats et atrocités ont bien ralenti depuis 2018 mais des groupes continuent de sévir sporadiquement. Pour des motifs aujourd’hui plus souvent crapuleux que communautaristes.
Sur le trajet jusqu’à la frontière, Awa Darvi agite fièrement un petit drapeau centrafricain. Cette femme frêle paraît bien plus âgée que ses 38 ans, marquée par des années sous une tente de fortune avec ses enfants: elle est heureuse, mais très inquiète aussi. “On souhaite que celui qui sera élu gère bien le pays et nous ramène la paix”, souffle-t-elle.
Dans les bus, le personnel de la Croix-Rouge tente de discipliner les plus bruyants et distribue de l’eau. Sur les visages collés aux vitres, c’est avant tout l’émotion qui transparaît chez les adultes. Les plus jeunes enfants, eux, lancent des regards intrigués sur la végétation qui défile: ils n’avaient jamais quitté le camp depuis leur arrivée ou leur naissance…
- Crainte omniprésente –
La crainte aussi est omniprésente.
Adisa Ousmane n’a pas relâché son étreinte sur son petit durant tout le trajet. Les larmes ont coulé plusieurs fois sur son visage. Elle fait le voyage avec ses quatre enfants. Comme beaucoup de réfugiés de Gado, Adisa est musulmane et a fui la guerre avec son mari. Lui est encore une cible et a choisi de rester au camp. “Si le calme est vraiment revenu, je vais l’informer pour qu’il rentre”, avance Adisa.
Les musulmans forment une minorité particulièrement implantée dans le commerce mais historiquement discriminée par l’administration dans un pays à majorité chrétienne. Ceux de Gado se désolent que leur choix ne sera pas entendu le 27 décembre.
“Nous voulions voter cette année parce que c’est notre pays”, se désole Mohamat Badamassi, dans ce camp depuis 2015. “Si nous pouvons retourner, c’est que le président Touadéra a fait des efforts pour ramener la paix”, commente Moussa Hamadou Habid, un maçon. “Mais ce qui nous fait peur, c’est les groupes armés”, lâche-t-il.
La question du vote des réfugiés a cristallisé les tensions entre le camp Touadéra et l’opposition, qui ne cesse de dénoncer des irrégularités dans l’organisation du scrutin. Mais pour Bangui, leur participation en 2015-2016 dans les camps était une exception.
“C’était pour le gouvernement un devoir moral de leur permettre de voter une nouvelle fois” mais le Covid-19 a compliqué le passage des frontières des équipes électorales et les demandes de Bangui ont été refusées par les États voisins, explique à l’AFP Ange-Maxime Kazagui, porte-parole du gouvernement. Dans d’autres pays, “les réfugiés ne votent pas” non plus, fait-il valoir.
“Il faut que je réfléchisse bien avant de repartir, parce que quand j’ai quitté la Centrafrique il y a un an, il y avait encore la guerre”, s’inquiète Inoussa Djibril qui a décidé, lui, de rester pour l’heure à Gado.
“On ne rapatrie pas dans des zones qui ne sont pas complètement sécurisées”, explique à l’AFP Olivier Beer, représentant du HCR au Cameroun, au camp de transit centrafricain de Beloko, tout près de la frontière, où les rapatriés ont été débarqués avant d’être répartis dans le pays.
En 2019, 3.309 réfugiés seulement étaient revenus et à peine 700 en 2020, selon le HCR.