Mali: à Bamako, l’étonnant itinéraire du djihadiste Fawaz Ould Ahmed

Le Mauritanien « Ibrahim 10 » est soupçonné d’être impliqué dans les attentats du restaurant La Terrasse et de l’hôtel Radisson Blu en 2015 dans la capitale malienne.

Les deux accusés entrent cagoulés et menottés dans une salle d’audience comble. Les procès des attentats contre le restaurant La Terrasse et l’hôtel Radisson Blu de Bamako, qui avaient respectivement fait cinq et vingt morts en 2015, vont commencer. Qui va comparaître ce mardi 27 octobre ? La question hante le prétoire depuis la libération de 204 personnes arrêtées pour faits de terrorisme en échange de Sophie Pétronin, Soumaïla Cissé, Pier Luigi Maccalli et Nicola Chiacchio.

Une fois l’imposant sac de tissu opaque retiré, le visage de Fawaz Ould Ahmed, alias « Ibrahim 10 », se dévoile. Surprise. Plusieurs sources avaient annoncé son élargissement. Selon des rumeurs persistantes à Bamako, cet ancien lieutenant de Mokhtar Belmokhtar figurait sous pseudonyme sur la liste des djihadistes libérés début octobre contre les otages retenus par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), principale formation djihadiste du Mali. Des supputations que sa présence à l’audience achève de démentir.

Il faut dire que, contrairement aux nombreux « petits poissons » remis en liberté, Fawaz Ould Ahmed est une figure du djihadisme en Afrique. Soupçonné d’avoir kidnappé deux Canadiens dans le centre de Niamey au Niger fin 2008, tué avec un fusil d’assaut un Français, un Belge et trois Maliens le 7 mars 2015 dans le restaurant de Bamako La Terrasse, et planifié l’attentat contre le Radisson Blu, le Mauritanien affiche un CV terroriste à la mesure de sa haine contre les Européens. Ancien membre d’Al-Mourabitoune, un groupe djihadiste absorbé depuis par le GSIM, son credo a toujours été de « viser les Blancs », comme il l’a expliqué aux enquêteurs français en 2018.

Après une chasse à l’homme effrénée dans l’ensemble du pays, Fawaz Ould Ahmed est arrêté par la Sécurité d’Etat en avril 2016, dans un quartier de Bamako. « Nous l’avions auparavant tracé à Kayes, à la frontière sénégalaise, mais ça avait loupé », confie une source proche de son dossier, qui le surnomme « le colosse en raison de sa construction physique ».
Assassinats, actes de terrorisme…

« Je pensais que ce procès n’aurait pas lieu, a avoué mardi son avocat, Me Tiessolo Konaré, commis d’office trois semaines auparavant. Dans la mesure où plus de 200 personnes ont été élargies, je croyais que mes clients ne seraient pas là. » C’est donc dans un bourdonnement de murmures que l’accusé s’est approché de la barre, aux côtés de Sadou Chaka, connu sous le nom d’« Oussama », lui aussi inculpé dans l’affaire du Radisson Blu.

Avec une liste d’accusations longue comme le bras – assassinats, coups et blessures volontaires, actes de terrorisme, association de malfaiteurs –, il a fallu près d’une heure pour achever la lecture des arrêts de renvoi. Une heure pendant laquelle « Ibrahim 10 », resté debout, s’est balancé nonchalamment d’avant en arrière, jusqu’à ce qu’un banc de la salle lui soit apporté.

Un autre suspect, censé comparaître pour son implication dans l’attentat de l’hôtel bamakois, ne sera jamais cité lors de cette première journée de procès. Sans doute s’est-il lui aussi évaporé dans la brousse malienne. « On nous parle d’absence, mais nous savions qu’il ne s’agit pas de cela, c’est une libération par le prince, c’est-à-dire l’Etat du Mali », gronde Me Alassane Diop, avocat de l’une des parties civiles dans l’affaire du Radisson Blu.

« Le terrorisme, c’est d’abord la responsabilité de l’Etat. Celle d’assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Mais, aujourd’hui, l’Etat aussi se porte partie civile, et cela me pose beaucoup des questions, lorsque l’on sait que c’est aussi lui qui a libéré beaucoup de terroristes », questionne l’avocat qui espère au moins « rétablir la vérité et la justice » lors des procès.

De son côté, l’avocat de la défense affirme vouloir s’appuyer sur les aveux faits aux enquêteurs de la brigade d’investigation judiciaire. « Il ne suffit pas d’avoir la tête de quelqu’un, mais il s’agit de savoir comment le corriger et comment il peut revenir à la vie normale, explique Me Tiessolo Konaré. Il aura sa petite vérité à dire et pourquoi il a fait ceci ou cela, ce qui est une bonne chose. »