Alors que cela fait maintenant plus d’un an que Donald Trump est revenu aux affaires avec toute la fougue et l’excès qu’on lui connaît, sa politique tarifaire et douanière n’est pas encore tout à fait sécurisée. En effet, en dehors des critiques, et des questions de rapport de force, notamment avec la Chine puisque l’UE s’est, elle, complètement couchée, il s’avère que c’est de l’intérieur et par l’entremise du système judiciaire de la Cour suprême que sa politique protectionniste pourrait être entravée. Il se trouve que des entreprises ont porté plainte contre les mesures protectionnistes alléguant que seul le congrès et non le président des USA peut prendre des mesures de ce type . Ce que Trump aurait fait au motif de protection exceptionnel au nom de la sécurité nationale serait donc illégal d’un point de vue de la législation américaine. Et vous savez à quel point les Américains sont obsédés par les questions juridiques, après tout ils ont colonisé le nord du continent et exterminé les locaux en toute « légalité » juridique.
Alors pour l’instant nous ne savons pas comment cette affaire va tourner, mais c’est assez révélateur du système US et de la dérive d’une structure qui a tout fait pour introduire des contre-pouvoirs à tous les niveaux. D’autant que cette invalidité obligerait les USA à retourner dans le cadre des accords de l’OMC et obligerait les USA à rembourser les droits de douane déjà collectés ce qui se monterait à plusieurs centaines de milliards de dollars d’après les dernières données. Alors cela peut sembler incongru comme situation même s’il faut se rappeler que le président américain a beaucoup moins de pouvoir qu’un président français et qu’en plus les USA sont un état fédéral. Il n’en demeure pas moins ici qu’il y a clairement une opposition entre le pouvoir juridique et le pouvoir exécutif, ce dernier émanant tout de même d’une élection populaire. Que l’on soit pour ou contre les politiques de Trump normalement, dans une réelle démocratie, cela ne devrait pas être au pouvoir juridique de décider des politiques à mener et c’est pourtant bien le cas aux USA.
Mais ne critiquons pas trop les USA, nous vivons nous aussi dans un système où le juridique est sorti totalement de son cadre pour devenir le pouvoir suprême. De nombreux penseurs parlent très justement de ces dérives à commencer par l’avocat et docteur en droit Ghislain Benhessa ou encore le célèbre Régis de Castelnau. Et la question n’est pas nouvelle et elle est totalement intriquée à la question de l’acceptation du jeu démocratique par les élites en place. C’est même une question qui a accompagné dès le début la naissance des « démocratie » bourgeoises qui dès le départ se méfiait quand même pas mal du peuple et de la population en général. La Révolution française a été en grande partie le remplacement d’une classe sociale dominante, celle de l’aristocratie et de la noblesse par la classe bourgeoise justement. Un changement de pouvoir qui est en partie le résultat de l’évolution naturelle qui a accompagné la renaissance et la fin progressive du féodalisme.
La fin du pouvoir monarchique absolu et la montée au pouvoir des classes marchandes ont été accompagnées de la fameuse « démocratie » qui en réalité dans un premier temps fut ouvertement de ploutocratie élective. Rappelons que pendant longtemps le pouvoir était censitaire et qu’il fallait avoir de l’argent pour pouvoir voter. Aux USA le cadre même de la démocratie a bien été imbriqué dans tout un tas de limites pour permettre en réalité aux classes possédantes de continuer à faire prévaloir leurs intérêts. Je pense qu’un jour nous nous libérerons de cette image d’Épinal sur la démocratie occidentale et nous verrons ces régimes pour ce qu’ils sont, à savoir des systèmes oligarchiques d’un type particulier. Et la question de l’inflation des interventions du juridisme dans les affaires publiques et sur la question des politiques générales tient à mon humble avis essentiellement du déclin des systèmes classiques de contrôle du vote populaire.
En effet comme je l’ai dit pendant longtemps seul les plus aisés pouvaient voter, mais à cause de l’évolution scolaire, de l’alphabétisation il est devenu de plus en plus difficile de justifier ce système. Les classes possédantes ont alors en quelque sorte changé leur fusil d’épaule et commencé à influencer le système électoral moins directement. La propagande et le contrôle de l’information devinrent à partir de la fin du 19e siècle et du début du 20e les principaux outils de contrôle du système « démocratique ». Les gens étaient autorisés à voter, mais l’information étant largement sous contrôle, il était en définitive assez facile de faire voter les populations dans le sens voulu. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les régimes fascistes qui ont inventé la propagande moderne, mais bien les démocraties à commencer par les USA où le célèbre Edward Louis Bernays fit des émules. Il est considéré par beaucoup comme le véritable papa de la propagande moderne. Ce système de contrôle du vote par l’influence médiatique a probablement atteint son apogée avec le règne de la télévision dans les années 60-90.
De fait, quand vous contrôlez l’information et le discours public, il n’y a plus besoin de suffrage censitaire ou d’un contrôle plus ouvert des classes sociales dominantes. Elles peuvent dominer sans véritablement le montrer. C’est la période que nous avons connue et qui s’est probablement terminée avec l’avènement d’internet et la création d’un système d’information parallèle plus difficile à contrôler pour les puissances d’argent. Cette remise en cause du contrôle de l’information oblige désormais les classes sociales dominantes à utiliser d’autres mécanismes pour défendre leurs intérêts même si la guerre pour le contrôle de l’information continue. C’est là qu’intervient la montée du juridisme. Le but étant de cadenasser les politiques dans un cadre juridique qui empêchera indéfiniment les classes populaires de remettre en cause les intérêts des classes sociales dominantes. L’attaque ouverte contre le protectionnisme de Trump est de cet acabit. Mais l’on retrouve la même chose lorsque les juristes français et européens invalident les politiques migratoires, et force à l’acceptation d’une immigration de masse dont la population ne veut pas en réalité.
C’est la même chose lorsque des juristes s’amusent à faire de l’ingérence dans les élections en éliminant tel ou tel candidat, à la tête du client puisque tous les politiciens ne sont pas égaux devant les juges et la justice visiblement. Monsieur Fillon ou madame Le Pen n’ont visiblement pas eu le même traitement que les représentants du macronisme, dont beaucoup ont fait des fautes judiciaires largement plus répréhensibles. Cette justice à géométrie variable, ou cette façon d’utiliser le juridique pour s’opposer au pouvoir populaire, est la nouvelle forme que prend le pouvoir bourgeois en occident. La construction européenne est quelque part la quintessence de cette dérive puisqu’elle jette ouvertement les principes démocratiques qui étaient jusqu’ici ceux qui régissaient notre vie commune et sociale. Alors la question que l’on pourrait se poser est de savoir si cette dérive va continuer. La réponse dépendra en réalité, non pas d’un sursaut démocratique, ou d’un réveil démocratique des populations, mais surtout de la viabilité de ce nouveau régime politique.
Le système féodal avait des défauts, il était inégalitaire, mais il avait aussi des qualités et a permis à l’Europe de vivre pendant des siècles. C’est la même chose pour la fausse démocratie révolutionnaire bourgeoise. Elle était violente, inégalitaire aussi contrairement aux idées reçues, mais elle a aussi eu ses succès et a apporté une certaine prospérité qui lui a servi de socle et de justification à sa propre existence. La tyrannie juridique en Europe ou aux USA s’accompagne d’un appauvrissement massif et d’un déclin de plus en plus voyant vis-à-vis des puissances étrangères. Les pays d’occident sont désormais des pays de seconde zone sans croissance et dont on se demande même s’ils existeront encore dans 50 ans, ce dont on peut douter étant donné les évolutions démographiques. L’UE a échoué sur la seule chose que l’on pensait qu’elle apporterait, à savoir la prospérité. Dès lors, je ne vois pas très bien comment ce système juridique, aussi autocrate qu’il puisse être, pourra perdurer. Ou alors il perdurera jusqu’à ce que nous soyons tous morts pour paraphraser la célèbre formule de Keynes.