Entrées clandestines dans les maisons, piratage, logiciels espions : l’Allemagne veut étendre les pouvoirs de la police.
Actuellement, les perquisitions ne sont autorisées en Allemagne que si les forces de l’ordre informent explicitement la personne concernée des soupçons concrets pesant sur elle, et du but de la perquisition. Selon des révélations exclusives du journal Spiegel, cela s’apprête à changer.
Perquisitions secrètes
L’article 13 de la Constitution allemande, qui protège l’inviolabilité du domicile, ne peut être actuellement enfreint qu’en cas de «danger imminent». Le projet de loi qui vient d’être révélé rendrait l’article en question essentiellement caduque, en élargissant considérablement les pouvoirs de la police : il lui permettrait en effet de pénétrer secrètement dans les domiciles des gens, ainsi que de pirater les ordinateurs, téléphones portables, et surveiller les communications.
Ainsi, le nouveau projet de loi allemand peut être comparé au «Patriot Act» américain, du nom de cette loi anti-terroriste qui a suivi les attaques du 11 septembre et qui a largement étendu le pouvoir de l’exécutif.
Suite aux révélations du Spiegel, le parti libéral-démocrate allemand (FDP) s’est montré critique : selon un cadre du parti cité par le journal, de telles ingérences dans les droits ne doivent pas être entreprises «à la légère», et si la loi permet des interventions trop poussées, «l’État de droit serait aboli». Ce responsable a toutefois ajouté que les autorités ont tout de même «besoin d’instruments d’enquête appropriés et puissants».
Interrogé par le Spiegel, un porte-parole du ministère allemand de l’Intérieur a d’abord refusé de répondre, avant d’affirmer que la loi est prévue pour contrecarrer le soi-disant «terrorisme islamiste».
Terrorisme sous faux drapeaux
On rappelle que le «terrorisme» en Occident a été, pendant la guerre froide, perpétré sous faux drapeaux par les services occidentaux eux-mêmes, dans le cadre de l’opération Gladio. Lorsqu’il était chercheur à l’École polytechnique de Zürich, l’historien Daniele Ganser a tracé la chronique de ces crimes dans son livre «Les armées secrètes de l’OTAN» (2004).
L’attentat de Bologne notamment, qui a tué 85 personnes le 2 août 1980 et en a blessé 200, aurait été perpétré par les services secrets italiens en complicité avec la loge maçonnique P2, dans le but de faire accuser des factions d’extrême gauche.
Ces pratiques n’ont vraisemblablement pas cessé après la guerre froide. Après l’attentat de 1995 dans le RER à Paris par exemple, de forts soupçons avaient pesé sur les services secrets algériens, dont le rôle dans les attentats aurait été couvert par le gouvernement français, de façon à justifier un renouvellement de la lutte contre l’opposition algérienne.
Un autre exemple de référence concerne bien sûr les attaques du 11 septembre 2001 à New York et Washington, immédiatement imputées à des terroristes islamiques, et qui ont causé de vives interrogations ; lors du 15ème anniversaire des attaques, un sondage d’opinion a par exemple révélé qu’une majorité de Français ne souscrivait plus entièrement à la théorie du complot promulguée par le gouvernement américain, selon laquelle des pilotes acrobatiques auraient pulvérisé trois gratte-ciels en acier avec deux avions en aluminium (non sans avoir jeté leur passeport par le cockpit quelques fractions de seconde auparavant). Au niveau mondial, au moins un quart des gens n’adhèrent pas à cette idée.
Anti-terrorisme et répression de l’expression
Le scepticisme semble d’autant plus fondé que le pouvoir politique n’hésite pas, au moins depuis les attentats du 11 septembre et l’entrée en vigueur de lois semblables à celle que l’Allemagne considère aujourd’hui, à réprimer la libre expression et l’opposition politique sous prétexte d’agir contre le terrorisme. Le gouvernement des États-Unis, dont le USA Patriot Act a servi de modèle au monde entier, s’est notoirement servi de ses lois prétendument anti-terroristes pour attaquer des libertés individuelles des Américains.
Les gouvernements du monde entier se servent également de leurs lois anti-terroristes pour cibler les militants écologistes, pour atteindre aux droits de l’homme, ou pour museler leur opposition.
En Allemagne notamment, les autorités allemandes ont d’ores et déjà désigné de «terroriste» le mouvement des Reichsbürger, qui défend l’idée d’une Allemagne souveraine, ne considère pas le régime au pouvoir comme légitime, et qui s’oppose aux dérives de la mondialisation. Ce même vocabulaire a de surcroît déjà été employé pour défendre l’interdiction du parti AfD, la première force politique de l’ex-Allemagne de l’Est et deuxième parti d’Allemagne.
Une tendance mondiale
Le «Patriot Act» allemand n’est pas encore en vigueur, mais si on en croit la tendance mondiale, il est fortement probable qu’il soit adopté. En effet, l’Allemagne est en retard sur ses voisins : en France par exemple, la «loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme», la «loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique» ou encore la «loi tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires» sont autant de mesures législatives déjà largement assimilées à un «Patriot Act français».
Malgré tout, il soulève déjà quelques rares protestations. Mika Beuster, président de l’Association des journalistes allemands cité par le Spiegel, a critiqué ce projet de loi, craignant que «tous les journalistes effectuant des recherches dans des domaines liés à la sécurité ne soient affectés».