Le Maghreb ne déroge pas à la règle des nations-civilisations qui veut que leur géopolitique soit forgée par l’histoire longue.
Il a connu une période de décadence qui a commencée au XIIIe siècle et a atteint son point culminant avec la mise sous tutelle complète par la colonisation courant du XIXe siècle.
Après l’intermède post indépendances, consacrée à la construction d’États modernes, avec plus ou moins de bonheur, nous débouchons dans le présent et ses interrogations sur le futur dans un contexte de bouleversement des équilibres mondiaux.
Commençons par planter sommairement le décor maghrébin dans sa diversité. Ensuite il faudra plonger dans son histoire pour pouvoir finalement entrer dans la prospective.
Un peu de géographie humaine
La population Libyenne est de 5 à 6 millions d’habitants pour une superficie de 1 million 760 000 km2. Le désert libyque est le plus aride au monde. Son importance explique la population réduite du pays. En atteignant le bord de mer sur 500 km, il sépare la zone méditerranéenne, en deux régions, la Cyrénaïque à l’Est et la Tripolitaine à l’Ouest.
Cette séparation est considérée par certains comme la limite entre le Maghreb et le Machrek. De fait, il paraît plus légitime de la situer plutôt à la frontière égypto-lybienne. En effet l’Égypte est façonnée par sa géographie et son histoire. C’est un état centralisé de longue date, avec une population homogène, sédentaire, vivant en osmose avec le Nil.
Au-delà de l’Égypte, à l’Ouest règne le monde historiquement tribal, le long de la Méditerranée jusqu’à la côte atlantique au Maroc et avec pour limite au Sud la lisière du Sahara, le Sahel. De plus, une interpénétration des populations du Sahara et du Sahel est modulée par les variations climatologiques de la Mousson d’Afrique de l’Ouest. Tel est le Maghreb.
Les populations sont loin d’être homogènes. Les méditerranéens appartiennent à une mosaïque vivant au bord de la mer, façonnée par une histoire commune avec les autres peuples de la mare nostrum. Ces Méditerranéens vivent en Algérie, en Tunisie et en Libye. Au Maroc l’équivalent est le «bilad el maghzen», littéralement le pays du Trésor, qui correspond aux plaines côtières atlantiques, avec quelques centres urbains plus à l’intérieur, dont Fès, capitale historique du Royaume. Ces populations présentent une forte influence andalouse.
Le pendant est le «Bilad el Siba», le Pays de la Révolte, comprenant les régions montagneuses du Rif, du Moyen et du Haut Atlas. Plus à l’Est, les Hauts Plateaux d’Algérie et les régions montagneuses au climat rude, enneigés en hiver, étouffants de chaleur en été, forgent également un caractère rude et rebelle. Cette seconde zone se prolonge jusqu’à la Dorsale montagneuse Nord-Sud à la limite Ouest de la Tunisie.
Enfin la troisième composante des populations est celle des sahariens, avec la cohabitation de cultivateurs des Oasis sédentaires et de pasteurs, semi-nomades ou nomades parcourant le Sahara, pour certaines tribus avec une forte tradition guerrière. À la lisière Sud du désert, les sahariens maghrébins sont imbriqués territorialement avec les sahéliens.
Nous avons parlé de réalité tribale pour ce qui concerne le Maghreb. C’est incontestable, la compréhension de son histoire n’a pu se faire que lorsque l’œuvre de Ibn Khaldûn a été traduite, introduisant l’esprit de corps, la Asabiya comme moteur des changements.
Dans le livre sur les Nations Berbères j’ai pu écrire :
«Tacite, témoin éclairé de l’intrusion des tribus germaniques dans l’espace romain, a théorisé l’organisation tribale. L’organisation de l’Empire romain est aux antipodes, avec une administration puissante, une armée de métier… Tacite constate que la tribu est caractérisée par une organisation autour d’un rex assisté par un concillium.
Dans cette organisation, chaque paysan, chaque pasteur est un soldat potentiel, qui possède ses propres armes, entretient sa monture lorsqu’il est cavalier, selon la tradition. Le pendant est la faiblesse du pouvoir central, en réalité constitué par les apports des partenaires et vassaux».1
C’est la même organisation tribale qui s’exprime au Maghreb, le sultan est entouré d’un méchouar ou djamaa (réunion consultative), dans laquelle siègent les notables et chefs des tribus, il a besoin de l’assentiment de cette assemblée pour toute décision importante.
Cette organisation restera incontournable jusqu’au début du XXe siècle. Des changements importants tant sociaux que politiques créeront une réalité nouvelle. Mais le poids de cette réalité multimillénaire reste prégnant, enrobé d’un vernis moderniste. En conséquence la société Maghrébine est restée avec un fondement égalitariste, sans noblesse à proprement parlé, ni castes.
Le livre de Jacques Berque décrit les mutations tant dans la communauté Maghrébine que dans celle européenne d’Afrique du Nord pendant les années de 1920 à 1940.2
À la suite nous exposons les points forts de cette évolution.
Qui sont les Maghrébins
Il est de bon ton de dire que les Maghrébins sont des Berbères, dont une part importante est devenue arabophone. Cette position est objectivement exagérée.
El Bekri écrit au XIe siècle et décrit les campagnes libyenne et tunisienne, avec des villages peuplés de berbères et d’autres d’arabes se succédant.3
En Algérie les deux grandes tribus des Ouled Naïl et celle des Chaamba sont d’origine arabe, au Maroc les Beni Mellal et les Doukkala également, et ces cas sont loin d’être exhaustifs.
À cela, Il ne faut pas oublier les apports de la préhistoire, l’origine Hamite ou Chamite, proto-Indo-Européens du Caucase, celle africaine plus marquée au Sud, et les apports continus de population européenne dont l’andalouse.
Makek Bennadi4 a affirmé que «Les Maghrébins sont des Berbères arabisés et des Arabes berbérisés». Ce faisant il met en lumière la dimension culturelle du sentiment d’appartenance, fortement influencé par la prégnance de l’Islam en terre africaine.
Pour des raisons historiques que nous expliciterons par la suite dans le document, les Maghrébins sont essentiellement des musulmans sunnites, suivant le rite de l’École Malékite.
Dans deux régions, subsistent des tribus de Kharidjites, de rite Ibadite, à Djerba dans le Sud tunisien, à Ghardaïa et Ouargla en Algérie. Ces dernières communautés ont fui la destruction du Royaume de Tahert par les Ktâma Fatimides en 909.5
Dans le Maghreb Est, l’influence ottomane a consacré dans la population une communauté de rite Hanbalite. Ce rite est symbolisé notamment par Djemaa Djedid à Alger «La mosquée Neuve», construite à proximité immédiate de la Grande Mosquée d’Alger et dédiée aux fidèles de ce rite. Il semble que ce rite ait disparu à l’heure actuelle d’Afrique du Nord.
Les juifs sont considérés par les Maghrébins comme «nos cousins germains par le père», ceci en référence à l’histoire biblique de Abraham qui eut deux fils, Ismaël avec Agar, esclave d’origine noble égyptienne et Israël fils de Sara. Les Arabes sont les Bânu Ismaël et les juifs les Bânu Israël, donc cousins germains.
La communauté Israëlite du Maghreb se partage en Plichtims et Forasteros. Les Plichtims sont les juifs d’origine Maghrébine et les Forasteros sont les Andalous. Plichtim est une déformation de Philistin. Par contre Forasteros veut dire littéralement «Sans Terre» en Espagnol. Peut-être que cela fait référence à leur statut exclusif de citadins dans l’Espagne Andalouse.6
Ibn Khaldûn dans son œuvre du XIVe siècle, discute de l’origine des Berbères d’après les généalogistes Arabes et Berbères et arrive à la conclusion que les Nations Ktâma et Sanhâdja sont d’origine yéménite, et donc arabes, à l’exclusion des autres nations berbères.7
Cette affirmation est enseignée dans l’histoire traditionnelle, mais l’École Orientaliste considère qu’elle relève du mythe.
Pour ma part, j’ai examiné cette question et ait pu montrer que l’affirmation d’Ibn Khaldûn correspond à une réalité en grande partie avérée.8
Il est toutefois compréhensible de considérer que l’appréciation de l’appartenance ou nom au Monde Arabe, ainsi que celle de l’arabité est culturelle et historique tout autant qu’ethnique. Elle est sujette à variation suivant la tribu et également dans le temps.
L’évolution au XXe siècle
Lucien Saint est nommé Résident Général au Maroc le 2 Janvier 1929. Il remplace Lyautey remercié sans ménagement par Pétain. Le nouveau Résident Général édite le 16 mai 1930, et fait signer par le Sultan Moulay Youssef «le Dahir du 17 hija 1348, réglant le fonctionnement de la justice dans les tribus de coutume berbère non pourvues de mahakmas pour l’application du Chrâa». Ce texte est connu sous le nom de Dahir Berbère, et a pour objectif de créer un système judiciaire spécifique, basé sur le droit coutumier pour les tribus Berbères.
En lisant Louis Massignon, éminent islamologue (1883-1962), on comprend la politique que sous-tend cette promulgation :
«…C’est une question qui a été en effet pour moi un cas de conscience à la fois religieux et scientifique, pendant les années 1909 à 1913 où le Père Charles de Foucauld, par écrit et de vive voix, me pressait de consacrer après lui, ma vie à ce mouvement tournant qui devait éliminer la langue arabe et l’Islam de notre Afrique du Nord, au bénéfice de la langue française et de la chrétienté, en deux temps :
(1) exhumation du tuf linguistique et coutumier primitif des Berbères,
(2) assimilation par une langue et une loi supérieures, française et chrétienne».
Peu ou prou cette stratégie politique restera celle de la France au Maghreb. Elle perdure jusqu’au présent, dans toutes ses composantes, l’islamophobie, l’anti-arabisme, le soutien au berbérisme utilisé pour la promotion de la francophonie.
Le Dahir Berbère marque un divorce entre l’élite marocaine et le Protectorat, malgré son retrait quatre ans après sa promulgation. Après la guerre, un mouvement de contestation de la domination française, impulsé par le parti Istiqlal, (Parti de l’indépendance), amplifie ce divorce. Sa généralisation dans la population conduira Mohammed V à réclamer en 1947 la suppression du protectorat.
Il est exilé en 1953, avec ses deux fils, en Corse puis à Madagascar. En 1956 il revient sur son trône et le Maroc devient indépendant.
En France, en 1926 Messali Hadj prend la direction de l’ENA, l’Étoile Nord-Africaine. C’est une organisation créée en France et dont les militants sont surtout des Kabyles, seuls autorisés à l’époque à émigrer en France pour travailler, La ligne politique est définie en trois points :
Nous sommes des Algériens et non pas des indigènes, nous revendiquons l’indépendance de l’Algérie,
L’Islam est notre religion,
L’Arabe est notre langue.
Messali Hadj entame à Partir de 1933 une campagne en Algérie. Il dirige le PPA, Parti du Peuple Algérien, mouvement qu’il a créé après l’interdiction de l’ENA par les autorités françaises. Le programme pour l’indépendance est devenu crédible, l’internationalisation de la question algérienne est en progrès.
Le paysage politique algérien comprend l’Association des Ulémas autour du Cheikh Ben Badis. Elle est inspirée par l’égyptien Cheikh Mohamed Abduh, disciple de Jamel Eddin el Afghani et précurseur des frères musulmans.
Dans un entretien Messali Hadj lui demande de faire juste une déclaration unique en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Ben Badis refusera sous prétexte d’apolitisme. Il déclarera publiquement préférer la laïcité à l’application de la charia, déclaration à l’évidence de soutien au pouvoir colonial français.
Ben Badis promeut l’éducation religieuse et l’arabisation du peuple. Il déclenche l’anathème contre le soufisme, les marabouts, jusqu’alors considérés comme des composantes légitimes de l’Islam. Au nom d’une modernisation de l’Islam, les Ulémas les combattent comme obscurantistes.
Ce faisant, le mouvement de la Nahda s’éloigne de la mystique, de la dimension émotionnelle de la démarche religieuse, de la foi du charbonnier. Il se transforme rapidement en un autoritarisme, fait d’un catalogue d’interdits et de permissions, l’Islam politique des Frères Musulmans, du Salafisme et des Wahabites.
Le Mouvement de Messali Hadj subira également les assauts de la branche des notables algériens adeptes de la laïcité et de la lutte pour l’émancipation des Algériens dans la nation française.
Enfin le PCA Parti Communiste Algérien, rejettera dans les années 30 la revendication d’indépendance de l’Algérie et s’opposera alors à Messali Hadj.
Les Autorités françaises emprisonnent Messali Hadj, puis l’assigne à résidence et réussisse alors à le neutraliser.
En fin de compte. Messali hadj écarté, mourra en France en 1974, apatride. À sa mort, dans son cercueil, il connaîtra l’Algérie indépendante, indépendance réalisée sur la ligne politique qu’il avait définie en 1926, malgré toutes les oppositions, et à laquelle il s’était constamment tenu.
Après les indépendances, les élites Maghrébines adoptent des institutions laïques, se mettent sous tutelle de la Françafrique. Boumediene, ministre de la Défense, puis président Algérien, choisit de s’appuyer sur les officiers algériens de l’armée française à qui De Gaulle a ordonné de rejoindre les rangs de l’armée algérienne. Pas de risque de contestation de sa légitimité de ce côté.
Livrée à l’arbitraire d’élites sans scrupule et ignorantes des dangers de la déstabilisation sociale, la population maghrébine se morfond dans un lourd ressentiment.
Le retour de bâton se produit à partir des années 80, l’Algérie subit la guerre civile déclenchée par le FIS et le GIA, adeptes des Frères Musulmans. Le pays en sort meurtri au bout de 10 ans de violence et près de 200 000 morts.
La Tunisie, qui a poussé le plus loin la sécularisation de la société et adopté des lois d’inspiration wokiste, se retrouve avec une jeunesse salafiste, embauchée par les prédicateurs stipendiés par les monarchies du Golfe pour rejoindre le djihad en Syrie. Enahda, l’organe politique des Frères Musulmans développe la même action. 15 000 jeunes tunisiens meurent en Syrie, bilan auquel il faut ajouter les personnes qu’ils ont tuées avant de connaître le même sort.
Les prémisses des Mondes Arabe et Musulman
La prédication de Mohamed se déroule en deux périodes, la première à la Mecque, la seconde à Médine. Il reçoit la révélation en 610 et a alors 40 ans.
Mohamed appartient à la tribu des Quraysh, dont le territoire est la Mecque et ses environs. C’est une des composantes de la confédération des tribus Arabes Mudar, bédouins de l’Arabie centrale, le Hedjaz à l’Ouest et le Nejd à l’Est. Ils sont éleveurs de dromadaires mais aussi commerçants caravaniers entre Oman où arrive les produits de l’Inde, le Yémen, la Mésopotamie, la Syrie et l’Égypte.
Classiquement, chaque tribu a un conseil composé de Chorfa, mot qui provient de charaf, l’honneur. Les Chorfa sont les garants de l’honneur de la tribu. Chacun d’entre eux est le chef de file d’un ou plusieurs clans de la tribu. Son poids dans le conseil se mesure au nombre d’hommes en armes qu’il peut mobiliser sous sa bannière. En cas de disette, situation fréquente dans le désert, les Chorfa ont l’obligation morale, mais comment s’y soustraire, de subvenir aux besoins alimentaires et autres de leur clientèle sur leur fortune personnelle.
Les Mudar de l’époque antéislamique, Ve et VIe siècles, parlent l’arabe classique dit Fus’ha. Ce mot provient de «Afsah al-lughât al arabiya» («la plus châtiée des manières de parler arabe»)9. Ce sont les inventeurs de la rime, de la métrique en poésie. Les poètes antéislamiques sont toujours considérés jusqu’aujourd’hui comme la référence incontournable.
Les Sourates du Qur’an sont déclamées dans la langue des Mudar. Qur’an est la nominalisation de Iqra’, injonction de lire à haute voix. Tout autant que le contenu des sourates et de la philosophie qu’elles expriment, c’est cette récitation a capella, qui chavire les cœurs et crée un sentiment de quiétude et d’accomplissement. Autour du Prophète se constitue un groupe de fidèles pour la plupart d’origine modeste.
Le groupe des Musulmans devenant important, les dirigeants de la tribu des Quraysh prennent ombrage, percevant la communauté musulmane comme une remise en cause de leur autorité. Plusieurs disciples de Mohamed sont assassinés. Mohamed est directement menacé et risque le sort d’un autre prophète, Jésus de Nazareth, qui cinq siècles plus tôt subit le martyre.
Mohamed quitte la Mecque fin juin 622, avec le groupe des fidèles vers l’oasis de Yathrib, qui se nommera plus tard Médine. C’est l’Hégire.
Mohamed tire les leçons de la période Mekkoise, il s’entoure de convertis musulmans armés, les Mouhajirun qui l’ont suivi depuis la Mecque, et sont renforcés par les Ansar, le noyau de l’Oumma musulmane.10
Par la suite, Mohamed instituera dans le partage du butin, un privilège pour les Ansar, intégrant les Mouhajirun, et qui deviennent de fait la noblesse de l’Oumma.
Ayant une capacité militaire Mohamed peut à présent parler d’égal à égal avec les chefs de tribus. Il se révèle exceller dans la siyassa, l’art du compromis politique, et l’Islam s’étend dans la Péninsule arabique, Mohamed décide d’intégrer les dirigeants des tribus converties à l’Islam, les Chorfa, à l’élite musulmane.
Les récalcitrants, notamment les Quraysh, tribu dont Mohamed est originaire sont combattus par les armes et contraints à soumission. Mohamed entre triomphalement à la Mecque dont il fait le centre de pèlerinage de l’Islam. Rapidement, la quasi-totalité de la Péninsule arabique est convertie, y-compris le Yémen.
Parallèlement Mohamed accomplie un travail de législateur, édicte la constitution de Médine, définie le statut de dhimmi (protégés) des chrétiens et des juifs, ce statut est également appliqué aux Zoroastriens. Il met en place les fondements du Califat musulman. Il adresse des courriers et des ambassades aux puissants du Monde, le roi de Perse…
Mohamed meurt le 8 juin 632.
Dans l’ensemble de la Péninsule arabique, les Chorfa ne s’estiment plus liés par la soumission à Mohamed, et reviennent aux pratiques religieuses antérieures à l’Islam. Abou Bakr Al Siddiq devient Calife, envoie environ trois mille Ansar qui, pendant trois années, sillonnent la Péninsule arabique et contraignent de gré ou de force les tribus à revenir à l’Islam. Au Yémen se déroule des combats violents avant que les Ansar parviennent à leur fin. C’est de cette époque que date la jurisprudence qui veut que l’apostasie de l’Islam soit punie par la peine de mort.
Le second successeur au poste de Calife en 632, Omar ibn al-Khattâb, lance ensuite les guerres de conquête. La Grande Syrie et la Mésopotamie sont conquises entre 633 et 640, L’Égypte à partir de 639 en deux ans. En 642-643, la Cyrénaïque tombe sous tutelle arabe à partir de l’Égypte. En 647, une armée de 40 000 hommes, commandée par Abdu’llah ibn Sa‘ad, poursuit à l’ouest, s’empare de Tripoli, puis fait une incursion en Tunisie jusqu’à 250 km au sud de Carthage.
Le Trésor musulman reçoit un butin immense, partout l’allégeance s’accompagne du paiement de tributs. Les Arabes de la Péninsule migrent en masse vers ces nouveaux eldorados Syrie, Égypte, Mésopotamie. Le Trésor musulman distribue les riches terres agricoles ainsi que des rentes individuelles. Les Chorfa et les Ansar reçoivent la part du lion. Les premiers en fonction de leur capacité à mobiliser des partisans armés, pour les Ansar c’est la précocité de leur ralliement et le dévouement à l’Islam qui priment. À cet effet des listes des Ansar et de leurs premiers descendants sont établis et nous sont parvenues à ce jour.
Pendant la conquête de la Mésopotamie les armées arabes se heurtent à plusieurs reprises à celle du Roi des Perses. En 636 l’Armée Perse, forte de quatre-vingt mille hommes affronte l’armée arabe qui aligne trente mille combattants à la bataille d’al Qadisiyya. Pendant deux jours les Perses dominent l’affrontement, mais le troisième jour, le sort des armes bascule, l’armée Perse prend la fuite, les Arabes poursuivent leur avantage jusqu’à conquérir la capitale Ctésiphon.
Les Arabes nomment cette bataille «La victoire des victoires» et affirment n’avoir perdu «que 7500 hommes», une conception étonnante de pertes minimes, le quart de l’effectif tout de même. Il faut dire qu’en face l’armée Perse est décimée.
Les armées Perses subissent une succession de défaites jusqu’à celle d’Ispahan, à la suite de laquelle les Arabes conquièrent le Fars. Ensuite ils envahissent l’Afghanistan ainsi que la province indienne de Sind, au bord de l’Indus. La limite orientale du Monde musulman est atteinte et fixée pour plusieurs siècles.
La noblesse Perse finit par faire allégeance au Pouvoir arabe et un tribut annuel est fixé. Les Perses abandonnent l’alphabet araméen au profit de celui arabe, la religion zoroastrienne est remplacée par l’Islam, en échange de quoi les Perses gardent le pouvoir et nous pouvons noter l’absence de migration arabe en territoire perse. Les Perses resteront des Perses jusqu’aujourd’hui.
Ibn Khaldoun dans son livre «Histoire des Arabes et des Berbères du Maghreb»11 de la page 3 à la page 10, explique avec rigueur, précision et concision le processus d’arabisation des autres pays conquis, Syrie, Irak, Égypte et Cyrénaïque, et pour partie le Maghreb.
Les causes sont de plusieurs ordres. Les dirigeants arabes dans ces pays ne veulent pas subir les revendications incessantes de leurs compatriotes, ainsi que la contestation de leur autorité, ils préfèrent s’appuyer sur des autochtones qui progressivement occupent les postes dirigeants. Par la suite les Arabes perdront complètement le pouvoir. Les Arabes migrants s’installent dans le confort et le luxe. Ils y perdent leurs formidable aptitude à la guerre et leur esprit de corps, la Asabiya. De plus les incessants combats, pendant près d’un siècle, ont décimé les rangs des tribus arabes. Nous reviendrons sur ce point plus en détail dans le cas du Maghreb.
En 656 le troisième Calife, Othman Ibn Affân est assassiné par un groupe venu d’Égypte. S’ensuit douze années de guerre civile en Arabie. C’est la période des grands schismes de l’Islam. Pendant cette période la politique de conquête est interrompue.
Pour étudier cette période troublée, le livre de Hicham Djaït12 donne l’enchainement des évènements ainsi que les causes qui ont vu naître le Kharidjisme et le Chiisme.
Les Arabes au Maghreb
Avec la fin de la guerre civile arabe, la Dynastie Omeyade s’installe en 661 dans sa capitale Damas, La politique de conquête est réactivée, la Sicile, l’Anatolie, la prise de Kaboul, la Sardaigne et les Iles Baléares, ainsi que celle du Maghreb qui débute en 665, la Libye est alors déjà occupée.
Ce n’est qu’après 705 que les Arabes réussissent à s’imposer au Maghreb. La dernière étape est celle de la soumission des Znâta et des Maghrâoua du Maghreb extrême, puis les Barghouâta, qui tiennent une large part de la côte atlantique, sont vaincus et contraints à se soumettre.
Moussa Ibn Noçaïr obtient alors l’aval du Calife pour lancer la conquête de l’Espagne. En 710 il envoie Tarif ibn Malik exécuter un raid dans le sud de l’Espagne, on parle de 600 hommes. Tarif revient avec un butin conséquent sans avoir rencontré de résistance significative.
Moussa Ibn Noçaïr expédie la flotte utilisée pour la Sicile vers Tanger afin d’assurer la traversée des Armées. En 711, il donne l’ordre à Tarik Ibn Ziyad d’entamer la conquête de l’Espagne avec 7000 hommes. Il le rejoindra avec un nouveau contingent de 18 000 hommes. Ils achèvent la conquête d’une part importante de l’Espagne.
Les deux hommes sont convoqués à la Cour du Calife à Damas et subissent une disgrâce sur des soupçons de captation d’une part du butin.
Plus tard en 740 éclate la grande révolte des Berbères, faite au nom du Kharidjisme, un schisme de l’Islam nait au cours de la Grande Fitna. Le Kharijisme prône une égalité absolue entre croyants, sans considération d’origine ou de couleur de peau.
Un phénomène très analogue s’était produit avec la contestation berbère par le Donatisme naissant, trois siècles plus tôt, avec l’exigence d’application rigoureuse de la foi chrétienne sans concession du fait de l’allégeance à l’Empire romain.
En 750, la Dynastie abbasside supplante la Dynastie omeyade, la famille régnante est massacrée, à l’exception d’une seule personne, Abd-ar-Rahman 1er qui se réfugie en Espagne Andalouse. Il prend le pouvoir avec le soutien des Jound (garnison armée avec les familles) syriens et yéménites. Il achève la conquête de la Péninsule Ibérique et fonde l’Emirat de Cordoue en 756.
Son descendant Abd-ar-Rahman III s’affranchit totalement de la tutelle de Baghdad, purement formelle auparavant, et institue le Califat de Cordoue en 929.
Au Maghreb, progressivement le pouvoir Arabe est contesté, région après région il bascule sous une direction berbère, de sorte qu’en 880, il n’y a plus de domination arabe.
La domination arabe aura duré entre un siècle et demi et deux siècles suivant l’appréciation.
Les Empires Berbères
Il convient d’abord de dresser le contexte. À ce stade, les Arabes ont perdu leurs formidables aptitudes guerrières comme nous avons pu l’expliquer auparavant. La symbiose avec les peuples du Croissant Fertile s’est opérée, de l’Irak à la Libye, ce sont à présents des pays arabes.
Le Monde musulman contrôle le commerce mondial avec la Chine, l’Inde l’Asie centrale d’un côté, l’Europe via Venise et à travers l’Émirat de Cordoue.
Les deux Califats, de Baghdad et celui naissant de Cordoue brillent de mille feux, économiquement mais aussi sur les plans artistique, littéraire et scientifique.
La fédération tribale Znâta contrôle le Maghreb central et ouest.
Les Ktâma, proto-kabyles, choisissent de rejoindre le parti chiite, conquièrent l’Égypte et créent le Califat fatimide.
Viennent ensuite les Almoravides, en provenance des confins de la Maurétanie actuelle. Le troisième de la dynastie Abou Bakr ben Omar, entame la conquête du Nord. Il combat les hérésies, force un grand nombre de tribus de religion chrétienne ou juive à se convertir. Il impose à tous un Islam de rite Malékite, qui deviendra la norme au Maghreb.
Abou Bakr épouse Zeïnab el Nefzaouia, veuve de Laghouat El Maghrawi émir local, mort à la guerre. Les chroniqueurs de l’époque racontent que Zeïnab est une femme d’une grande beauté, d’une intelligence exceptionnelle servie par un caractère bien trempé.
Une anecdote est rapportée, Zeïnab conduit son mari Abou Bakr, les yeux bandés à l’aller et au retour et lui fait visiter une grotte dans laquelle est rassemblé son trésor, fantastique.
Abou Bakr décide de retourner dans le désert y combattre des rebellions. Il divorce de Zeïnab, qui ne peut partager une vie d’errance, et propose à son cousin Youssef Ibn Tachfin d’assurer son intérim au pouvoir et d’épouser Zeinab, ce qui sera chose faite trois mois plus tard
Zeïnab devient co-sultane et prend une part de plus en plus importante dans les affaires de l’Empire almoravide. Son mari Youssef Ibn Tachfin, qui a entièrement confiance dans le jugement de son épouse lui laisse les rênes d’un Empire immense. Il meurt en atteignant 100 ans, Zeïnab de 27 ans sa cadette, abdique au profit de ses enfants et se retire à Aghmat, sa ville natale, pour y mourir 11 ans plus tard.
L’Empire almohade succèdera à celui des Almoravides, le pouvoir bascule de la Nation Senhâdja vers celle des Masmûda.
Viendra ensuite le temps des Mérinides. Ils appartiennent à la confédération Znâta. Ces trois dynasties successives couvrent du début du XIe siècle au XIVe siècle et même un peu au-delà.
Les routes commerciales voient le développement de centres urbains, avec une production assurée par des artisans organisés en compagnonnage. Ce sont aussi les voies de transmission des savoirs et des œuvres.
Dans la seconde partie nous expliciterons les causes de la décadence, pour ensuite parvenir à la géopolitique du Maghreb moderne et contemporain.