Mali : entre Bamako et la Coordination des mouvements de l’Azawad, la tension va croissant

La tension est encore montée d’un cran entre le pouvoir central de Bamako et la CMA, la Coordination des mouvements de l’Azawad, une alliance de groupes touareg et nationalistes arabes du Nord du pays, signataires de l’accord de paix d’Alger en 2015. Amadou Albert Maïga, membre du Conseil national de transition, a en effet diffusé le 10 février une vidéo dans laquelle il prédit une guerre entre les forces maliennes et les groupes armés signataires. Ces derniers ont vivement condamné ces propos.

Dans une vidéo publiée vendredi 10 février 2023 sur sa page Facebook, Amadou Albert Maïga, membre du Conseil national de transition (CNT), organe législatif de la transition malienne, déclare que « la guerre est inévitable » entre les forces armées maliennes et les mouvements regroupés au sein de la CMA.

Une déclaration va-t’en guerre

Des propos immédiatement dénoncés sur les réseaux sociaux par Mohamed Elmaouloud Ramadane, membre du directoire de la CMA qui écrit : « Nous condamnons cette déclaration va-t’en guerre venant d’un responsable de l’une des premières institutions de la République, en l’occurrence l’organe législatif du Mali, et nous prenons la communauté internationale à témoin de tels agissements. Nous prenons cette déclaration au sérieux, car apparemment, cela a été fait suite à sa sortie d’une audience que le président de la transition lui avait accordée. »

Toujours sur la page Facebook d’Amadou Albert Maïga, l’on voit en effet une photo non datée sur laquelle il pose aux côtés du président de la transition, le colonel Assimi Goïta, dans une tenue identique à celle qu’il arbore dans sa vidéo. Enregistrée en français et en bambara, langue la plus parlée au Mali, cette sortie belliqueuse d’Amadou Albert Maïga apparaît donc aux yeux de la Coordination des mouvements de l’Azawad comme une initiative de la présidence malienne.

Depuis l’insurrection malienne de 2012, au cours de laquelle l’armée s’est opposée dans le Nord du pays aux rebelles touareg et aux salafistes d’Ansar Dine, les pouvoirs maliens successifs défendent la souveraineté du Mali et son intégrité territoriale. A l’époque, des organisations telles que le MNLA, le Mouvement national de libération de l’Azawad, revendiquent l’indépendance de l’Azawad qui selon eux correspond aux trois régions septentrionales de Kidal, Tombouctou et Gao.

Aujourd’hui encore, Kidal, située dans le nord-est du pays, à plus d’une journée de route de Bamako, reste sous contrôle de la CMA qui regroupe quelques-unes des organisations ayant participé à la rébellion avant la signature d’un accord de paix en 2015. D’ailleurs, dans son monologue qui dure un peu moins d’une douzaine de minutes, Amadou Albert Maïga reprend à son compte l’argument selon lequel la France aurait permis à la Coordination des mouvements de l’Azawad de s’assurer le contrôle de Kidal. Evoquant la fin de l’opération Barkhane et le départ des troupes françaises du Mali, Amadou Albert Maïga affirme : « Elle (la France) est partie sans pour autant partir, parce qu’elle a ses représentants au Nord du Mali qui sont ces groupes armés. » Autrement dit, la France continue de soutenir les groupes qui composent la CMA et qui viennent d’annoncer leur fusion.

Le bras de fer se poursuit

Le 8 février dernier en effet, au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée à Kidal, trois groupes armés ayant combattu l’Etat central et regroupés jusque-là au sein de la CMA ont fusionné. Il s’agit d’une part des autonomistes du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), et d’autre part des indépendantistes du MNLA, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad.

Dans une déclaration d’une page envoyée à nos confrères de l’AFP et authentifiée par les signataires, ces trois organisations ont « décidé de fusionner les mouvements qui composent la CMA en une seule entité politique et militaire. » Si les signataires de cette déclaration invoquent « la volonté des populations de l’Azawad (le nord du Mali) d’unir leurs efforts pour faire face à tous les défis », il s’agit aussi pour eux de peser davantage face au gouvernement malien.

Entre Bamako et la CMA, les sujets de discorde sont en effet nombreux, à l’instar des inquiétudes exprimées dès le départ par la CMA sur le groupe russe Wagner. En décembre dernier, la Coordination des mouvements de l’Azawad a suspendu sa participation aux mécanismes de mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger. Signé en 2015, cet accord prévoit notamment l’intégration dans l’armée des anciens rebelles, ainsi qu’une décentralisation du pouvoir dans les régions du Nord. Sur le terrain, l’un des points de blocage dans la mise en œuvre de cet accord concerne l’épineuse question de la chaîne de commandement dans la nouvelle armée reconstituée.

En suspendant sa participation aux mécanismes de suivi de l’accord de paix d’Alger, la CMA entend dénoncer « l’absence persistante de volonté politique des autorités de transition à appliquer l’accord » et « l’inertie de celles-ci face aux défis sécuritaires ayant occasionné des centaines de morts. » Et même le médiateur algérien ne parvient pas pour l’instant à rapprocher les points de vue.

En visite à Bamako le 9 janvier dernier, le ministre algérien des Affaires étrangères Lamtane Lamamra s’est en effet heurté au refus des autorités maliennes de se réunir en terrain neutre comme le réclament les ex-rebelles du Nord. Depuis, le bras de fer se poursuit, en particulier avec cette autre décision de la Coordination des mouvements de l’Azawad qui indique dans un communiqué daté du 27 janvier et transmis à l’AFP le lendemain 28 janvier, « qu’elle ne prendra pas part à la commission chargée de la finalisation du projet de Constitution ». Ce projet de nouvelle Constitution apparaît pourtant comme l’un des éléments les plus importants du vaste chantier invoqué par la junte pour se maintenir au pouvoir jusqu’en 2024. En décidant de ne pas siéger au sein de la commission chargée de finaliser le projet de nouvelle Constitution, les ex-rebelles de la CMA réitèrent leurs critiques à l’encontre du gouvernement, tout en continuant de réclamer une réunion bilatérale en terrain neutre.