Renvoi de migrants illégaux vers le Rwanda : les Européens légitimisent le régime de Kigali

Le Prince Charles sera à Kigali, fin juin, pour assister au Sommet du Commonwealth. Le Rwanda semble jouir des faveurs du Royaume-Uni, qui a signé, le 14 avril, un accord pour y déporter des migrants illégaux.

“Le but de Londres est surtout d’effrayer les migrants à Calais pour qu’ils n’aillent pas en Grande-Bretagne, en les menaçant de les envoyer au Rwanda. Mais le gouvernement britannique renforce ainsi la légitimité du président rwandais Paul Kagame”, estime Michela Wrong, venue récemment présenter à Johannesburg son livre “Do Not disturb : The story of a political murder and an african regime gone bad” (2021, non traduit), consacré aux assassinats politiques commis par le régime de Kagame.

Le Danemark s’apprête lui aussi à signer un tel accord avec Kigali.

Un enjeu économique et stratégique

Pour la journaliste britannique, l’accueil des réfugiés dans le pays pourtant le plus surpeuplé du continent africain ne représente pas seulement un apport financier pour Kigali (140 millions d’euros, comme premier versement), mais fait aussi partie d’une opération de charme du chef d’Etat du Rwanda.

“Il est prêt à aider les Occidentaux à résoudre leurs problèmes, en leur présentant des solutions efficaces et peu couteuses”, estime-t-elle.

La participation de 5000 soldats rwandais à des opérations de maintien de la paix (Centrafrique) et contre le terrorisme islamique (Somalie, Mali, Mozambique) s’inscrit dans cette même logique. La même intention de séduire l’Occident se reflète dans le financement du club de foot d’Arsenal ou dans la protection des gorilles de montagne.

“Cette ‘histoire d’amour’ est, en grande partie, le résultat de la culpabilité compréhensible de l’Occident, incapable d’empêcher le génocide des Tutsis”, selon l’auteur du livre.

Malgré son régime dictatorial et l’assassinat de ses opposants, la moitié du budget au Rwanda est soutenu par l’aide occidentale.

Les Etats-Unis se montrent toutefois beaucoup plus critiques depuis la condamnation en 2021, à 25 ans de prison, de Paul Rusesabagina, qui a inspiré le film “Hôtel Rwanda”. Les délégués américains à la session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le 25 janvier à Genève, ont ouvertement critiqué – avec d’autres- le non-respect des droits de l’homme au Rwanda.

Kagame n’a pas été invité au sommet sur le climat organisé par Biden en avril avec cinq présidents africains. “Malgré son régime dictatorial et l’assassinat de ses opposants, la moitié du budget au Rwanda est soutenu par l’aide occidentale” dénonce Wrong.

Elle déplore que “les organisations d’aide internationale qui vantent l’exemple du Rwanda en matière de développement accréditent l’idée qu’une dictature efficace peut être un modèle pour l’Afrique. Il y a pourtant une totale opacité sur les ressources venant de RDC”.

Le Rwanda serait-il le “proxy” de la France ?

“Même l’Afrique du Sud est en train de laisser le Rwanda lui ravir le rôle de leader en Afrique”, poursuit Wrong. Les relations entre les deux pays sont pourtant tendues depuis l’assassinat de l’ex-chef des services secrets du Rwanda Patrick Karegeya à Johannesburg en 2013 et les quatre tentatives d’assassinat à l’encontre du général Kayuma Nyamwasa (la journaliste consacre plusieurs chapitres de son livre à ces deux proches de Kagame tombés en disgrâce).

“Le déploiement de 2000 soldats rwandais au Mozambique depuis juillet 2021, sans consultation des pays de la SADC (Afrique australe), a aussi mécontenté Pretoria”, ajoute Liesl Louw, de l’Institut des études de sécurité, à Pretoria.

Les pays d’Afrique australe reprochent au Rwanda de se comporter en proxy de la France. Depuis l’intervention des Rwandais dans la province du Capo Delgado, où un énorme projet d’exploitation de gaz par Total était menacé par l’insurrection islamiste, Paris multiplie les accords financiers avec Kigali.

“C’est assez significatif qu’il n’y ait eu aucune rencontre à haut niveau entre le Mozambique, la SADC et le Rwanda pour coordonner leur stratégie”, poursuit Liesl Louw.

Même si Kagame, qui préside depuis 2016 la commission en charge des réformes au sein de l’Union africaine, se profile en leader de l’Afrique, son style autoritaire passe mal en Afrique australe.